La ville de Saint-Denis est construite sur l’ancienne plaine du Lendit. Cette plaine alluviale, située sur l’ancienne route de l’étain (qui reliait l’Angleterre à l’Italie) et à l’est d’un méandre de la Seine, fut habitée depuis le néolithique, voire le paléolithique, comme en témoignent les pointes de silex, les sépultures, les poteries retrouvées sur place. Plusieurs mégalithes alentours nous sont connus, tels les menhirs le "pet au diable", la "pierre au lait" et la "pierre au lart" à proximité de l'église de Saint-Merry.
Les traces d’un habitat permanent sont attestées aux alentours dès 4 000 avant notre ère. Puis les Celtes de la culture de Hallstatt s'implantèrent sur le territoire : Nanterre, par exemple, tire son nom de « Nemetodurum », le nemeton.
C’est en ce lieu que convergeaient les territoires de quatre peuples gaulois : Bellovaques et Suessions au nord, Carnutes et Sénons au sud. C’était aussi la limite entre la Belgique et la Celtique. Quelques chercheurs pensent qu’en cet endroit un tumulus sacré fut construit au lieu dit de la « Montjoie », premier sanctuaire connu. Il semblerait que les tribus s’y retrouvaient pour le commerce, la politique et la religion. Les druides s’y retrouvaient en assemblée annuelle, comme à Autricum (Chartres) ou à Anicium (Le Puy).
« À proximité et sans doute sur le flanc même de la Montjoie du Lendit, existait un « Perron ». Ce genre de tumulus avec pierre plate date de l'âge du bronze ou de Halstatt, c'est-à-dire entre 1200 et 800 environ avant notre ère. Grâce au respect qu'il inspira aux ethnies successives, le Perron traversa les siècles et il est encore bien attesté au Moyen Age. L'auteur de Fierabras, chanson de geste du XIIe siècle, après s'être réclamé de ses sources san-dyonisiennes, raconte comment Charlemagne répartit, à son retour d'Espagne, les reliques conquises sur les Sarrasins. Ce partage solennel, opéré devant une foule immense, a lieu au « Perron du Lendit : A Saint Denis en France fu li tresors portés ; Au perron, au Lendi, fu parti et donnés. Pour les saintes reliques dont vous après orés, Par chou est il encore li Lendis appelés. »
Les « perrons » étaient des mégalithes jouant le rôle d’estrade ou de tribunes pour annoncer des jugements de justice ou des décisions de l’autorité publique.
Sur ce plan de Paris de 1565, sur la route menant de Paris à
Saint-Denis, sont encore figurées quelques colonnes et pierres de
l’ancien temple de la Montjoie.
Montjoie désigne aussi les tas de pierre que les voyageurs de l'antiquité accumulaient en l'honneur de Mercure, le dieu de la route, pour marquer le chemin. Ils devinrent petit à petit des oratoires, puis des promontoires d’où les pèlerins criaient leur joie à la vue du but de leurs pérégrinations.
D’après Anne Lombard-Jourdan, c’est aussi dans la plaine que fut érigé le pilier des Nautes, à l’époque de l’occupation romaine. Le premier bourg prit alors le nom de Vicus Catulliacus, du nom du propriétaire du domaine, Catullus. A cette époque existait déjà un cimetière gallo-romain, une nécropole. Puis vint l’ère chrétienne. Aux environs de l’an 250, trois missionnaires apportant d’Italie la bonne parole à Lutèce : Denis, Rustique et Eleuthère, furent martyrisés, et leurs corps ensevelis à Catulliacus.
La vie de saint Denis
Grégoire de Tours raconte qu’aux environs de l’an 250, le pape Fabien envoya en Gaule plusieurs missionnaires : Paul à Narbonne, Trophime à Arles, Saturnin à Toulouse, Martial à Limoges, Gatien à Tours, Austremoine à Clermont et Denis à Paris. Denis, Rustique le diacre et Eleuthère le prêtre apportèrent donc d’Italie la bonne parole à Lutèce.
Denis devint le premier évêque de la ville avant d’y subir le martyre avec ses compagnons, sous la persécution de Dèce ou de Dioclétien. Montmartre serait le lieu de la décapitation, dont l’étymologie propose le Mons Martis, mont de Mars, ou Mons Mercurei, mont de Mercure, ou bien le Mons Martyrium, mont des martyres. Les fouilles archéologiques montrent que de nombreux chrétiens furent inhumés sur la butte Montmartre.
Quoi qu’il en soit, selon l'hagiographie carolingienne, Denis se serait relevé, aurait mis sa tête sous le bras, et aurait marché vers le nord jusqu'au lieu de sa sépulture. Parfois, il est dit qu’à la fin de son trajet, il aurait donné sa tête à une pieuse femme originaire de la noblesse romaine nommée Catulla, ce qui rejoint le nom du propriétaire terrien du Saint-Denis de l’époque.
Denis fait partie des saints céphalophores, dont il est le plus illustre représentant (Bon, y’a aussi saint Tropez…). « On a pu interpréter cette particularité de porter sa tête entre ses mains par une considération iconographique : l'artiste aurait trouvé cette solution pour représenter dignement, avec toute sa tête, celui qui en fait l'avait perdue. Et la légende se serait ensuite créée afin de justifier de telles images. » Bof. Je n’y crois pas trop.
Je préfère me pencher sur la symbolique qui entoure ces saints : leur légende se développe selon des schémas récurrents : le saint part de l’endroit du martyre, traverse une rivière, gravit une côte, gagne un lieu élevé avant de parvenir au lieu qui lui accordera enfin le repos. Il lave sa tête dans une fontaine, la pose sur une pierre. La distance est toujours indiquée avec précision.
Puis un personnage féminin se charge des derniers soins à lui donner. Le lieu d’arrivée correspond à un ancien sanctuaire païen qu’il s’agit de christianiser : un mont sacré, un mégalithe, un arbre, une fontaine. En étudiant la légende, en lisant entre les lignes, on peut retrouver le culte préchrétien.
Denis, c’est aussi la forme latine du grec Dionysos. Dionysos est le fils de Zeus et de la mortelle Sémélé. C’est le dieu de la renaissance et de l'éternel recommencement, de la fécondité, de la végétation et de la vigne et surtout du vin, boisson des dieux.
Il est aussi le dieu de la transgression, le dieu d’un ancien et lointain rapport immédiat et parfois violent à la nature, mais en même temps il est le dieu central et indispensable du renouveau, de la joie et de la vie, de l'ouverture à l'autre, qui va contre la tendance de l'homme et de la cité à se replier sur les certitudes de leur maîtrise et de leur identité autochtone. Il est le dieu des grands arbres, ses fidèles brandissant le thyrse (bâton terminé par une pomme de pin) et du lierre (feuillage restant vert en hiver). On voit que Denis nous apporte une symbolique puissante.
Si vous voulez passer un bon moment, je vous propose un conte, écrit par Quinel et de Montgon, qui nous emmène à Catulliacus au temps de Denis : http://www.histoire-en-ligne.com/spip.php?article289
Leur martyr suscita une grande ferveur, et un premier mausolée fut vraisemblablement élevé à l'emplacement de leur tombe. La plus ancienne construction découverte en fouille, qui date de la fin du IVème siècle ou du début du Vème, fut une église de 20,60 mètres de long sur 9 m de large, dont les assises étaient constituées d’anciens blocs gallo-romains. Il se pourrait qu’elle corresponde à la chapelle funéraire que fit élever à Denis sainte Geneviève vers 475.
D’ailleurs, le nom de saint Denis apparaît pour la première fois vers 520 dans "la Vie de Sainte Geneviève". Cette chapelle fut le noyau primitif des églises ultérieures et l'embryon urbain de toute la ville actuelle. La chapelle fut agrandie entre 629 et 639, avec une nef entourée de galeries, œuvre de Dagobert Ier qu’il confia à son conseiller, saint Eloi. La dédicace se fit le 24 février 636.
Le roi Dagobert, dont le nom signifie '’brillant comme le jour’', était fin politique. Il se servit de saint Denis et du culte de plus en plus renommé, pour affermir son pouvoir royal. Il fonda le premier monastère et assura par la même occasion sa légitimité dynastique en choisissant d’y être inhumé, premier roi ayant une sépulture dans l'église, à côté des reliques des trois martyrs. La première foire du Lendit vit le jour, assurant des revenus importants.
Une autre légende vit alors le jour : « alors qu'il était adolescent, Dagobert partit à la chasse au cerf. Ses chiens en poursuivirent un qui se réfugia dans une chapelle édifiée à Catulliacum, sur le tombeau des Saints Denis, Rustique et Eleuthère. Un miracle empêcha les chiens d'entrer, impressionnant Dagobert qui conçut pour les saints une grande vénération ». Dagobert choisit alors Saint-Denis comme nécropole royale. Politiques et religieux y trouvèrent leur compte pour asseoir leur pouvoir.
La légende de Denis se mit en place. La reine Bathilde, en 650, dota la basilique du privilège d’immunité, et imposa aux moines la règle de Colomban, remplacée rapidement par celle de Benoit. Les dons affluèrent.
En 741, Charles Martel y fut inhumé, inaugurant la nécropole royale carolingienne. La construction d’une nouvelle église fut initiée en 768 par l'abbé Fulrad. Elle s’acheva en 775, grâce à l'aide de Charlemagne. L'édifice de 63 m sur 22,6 m, de plan basilical, était alors composé d'une nef à trois vaisseaux et de neuf travées et s'achevait par une abside surélevée, en raison de la présence d'une crypte annulaire bâtie de façon à permettre aux pèlerins d’accéder aux reliques.
Les récits hagiographiques virent le jour à compter du IXème siècle. Le plus célèbre fut sans doute celui que rédigea Hilduin, abbé de Saint-Denis, qui cherchait, encore à l’époque, à faire oublier les anciens rites païens. Le thème de la céphalophorie fut introduit afin de justifier le transfert du corps de Lutèce à Catulliacus. Hilduin, en 882, fit agrandir l’abbatiale à l’est, ajouta une chapelle dédiée à la vierge. L'implication progressive des abbés de Saint-Denis dans la vie politique atteignit son apogée quand Charles-le-Chauve s’appropria le titre d’abbé en 867. Le bourg monastique, doté d’un mur d’enceinte, prit alors le nom de Castellum Sancti Dionisii Martyris.
En 1125, Suger, abbé de Saint-Denis, mais aussi conseiller du roi Louis VI le Gros et de Louis VII le Jeune, affranchit des habitants du bourg et entreprit des travaux d'agrandissement de l'abbatiale carolingienne. Le massif occidental et le chevet apparurent, reprenant le principe du déambulatoire à chapelle rayonnante. Chacune des chapelles comporte de vastes baies jumelles munies de vitraux filtrant la lumière. Le voûtement adopte la technique de la croisée d'ogives qui permet de mieux répartir les forces vers les piliers.
Le narthex fut remanié, composé d'une façade dotée pour la première fois d'une rose et de trois portails de grandes dimensions. Il s’inspira du nouveau style entraperçu dans la cathédrale Saint-Étienne de Sens, inaugurant ainsi le francigenum opus, le premier art gothique. Le roi Louis VII en posa la première pierre le 14 juillet 1140. Suger remit pour la première fois à un roi de France la fleur de lis, remplaçant le crapaud mérovingien, et la bannière devenue célèbre sous le nom d'oriflamme.
A cette époque furent construits les « montjoies de Saint-Denis » qui reliaient par un chemin sacralisé l'abbaye à la capitale. Neuf petits monuments commémoratifs sur une base à trois arcatures où s'inscrivaient des statues de rois, surmontés d’une croix.
Oriflamme La bannière prit aussi le nom de Montjoie. Dans les combats, le nom de l'étendard consacré à Saint-Denis devient le cri de ralliement des soldats du roi : « Montjoie Saint-Denis », future devise du royaume, qui se place ainsi sous la protection du saint. Cette enseigne était systématiquement levée en temps de guerre par les souverains qui venaient la recueillir des mains de l'abbé sur l'autel des saints martyrs. Saint Louis prit l'oriflamme à Saint-Denis, en 1248.
En 1231, l'abbé Eudes Clément, avec le soutien de saint Louis et Blanche de Castille, décida de reprendre les travaux. Il conserva la façade et le déambulatoire rayonnant de Suger. Le chœur fut démonté jusqu'aux abaques des colonnes. Ces dernières furent remplacées par des piles plus solides, capables de soutenir une plus forte élévation. Les travaux furent achevés en 1260.
A la fin du Moyen Age, la bibliothèque du monastère était la plus importante du royaume. En 1435, les Anglais s'emparèrent de l’abbaye et en enlevèrent l'or, l'argent et les vases sacrés. La guerre de Cent Ans, les guerres de Religion, la Fronde accentuent le déclin de la ville et de l'abbaye. Jusqu'à la Révolution, Saint-Denis n'est plus que le dépositaire de la nécropole royale.
En 1793, les révolutionnaires s'attaquèrent aux symboles de la monarchie mais la basilique échappa à la destruction totale : les sépultures des rois furent profanées, les squelettes et les corps embaumés des Bourbons jetés dans une fosse commune. Une partie du trésor de la basilique fut transformée en monnaie. Quant aux gisants, ils furent en grande partie détériorés.
En 1806, Napoléon Ier ordonna la restauration de l’abbaye, les bâtiments monastiques furent attribués à la Grande Chancellerie de la Légion d'honneur. Puis Louis XVIII restitua à l'abbatiale son rôle de nécropole. Les travaux de restauration se poursuivirent tout au long du XIX ème siècle et furent dirigés par les architectes Debret puis Viollet-le-Duc à partir de 1846. En 1841, la flèche de pierre de la tour gauche menaçant de s'effondrer fut abattue.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_personnes_enterr%C3%A9es_dans_la_basilique_Saint-Denis ((liste des tombeaux des rois de France)
http://www.tourisme93.com/basilique/abbaye-saint-denis.html
http://www.musagora.education.fr/dionysos/default.htm
http://www.mythofrancaise.asso.fr/mythes/themes/cephalop.htm
http://fr.topic-topos.com/basilique-de-saint-denis-saint-denis
http://fr.wikipedia.org/wiki/Basilique_Saint-Denis
http://architecture.relig.free.fr/denis2.htm
http://www.uquebec.ca/musique/orgues/france/sdenisp.html
http://www.histoire-image.org/site/etude_comp/etude_comp_detail.php?i=856 (photo de la façade de Viollet le Duc)
http://revues.unilim.fr/nas/document.php?id=2170
Saint-Denis, la basilique (dossiers d'archéologie)