Les statues-menhirs
Les statues-menhirs sont des pierres levées sculptées de façon anthropomorphe, c’est-à-dire qu’elles représentent ou suggèrent un humain. Ces statues sont présentes partout en Europe, du Portugal à l’Ukraine même si certaines régions sont plus riches que d’autres, comme la Crimée ou le sud de la France.
Les plus anciennes de ces statues-menhirs, que l’on nomme parfois stèles ou dalles, sont datées, selon les archéologues, du Néolithique, vers 3 800 avant notre ère. Les statues corses font parties des plus récentes.
Celles des steppes de l’Europe de l’est seraient à l’origine du concept, montrant l’apparition de nouveaux outils comme les poignards en cuivre et les haches plates. Certains parlent de la culture de Maïkop comme leur berceau. Cela a pour moi son importance, m’intéressant de près à cette région, entre Turquie, Arménie et Iran.
Après la Corse, Filitosa et le plateau de Cauria, c’est au musée Soulages de Rodez que j’ai découvert une de ces statues. En effet, bien mise en valeur au milieu de l’immense salle, la statue-menhir de la Verrière accompagne de ses stries les peintures en « outrenoir » du peintre qui déclara dans son livre Statues-menhirs, des énigmes de pierre venues du fond des âges, aux éditions du Rouergue :
« Lorsque pour la première fois j'ai vu les stèles gravées du musée Fenaille ce fut un choc. Ces pierres venant de loin allaient loin en moi. J'y lisais certes une volonté d'aller à l'essentiel pour arracher au bloc inerte une présence humaine. Mais surtout je me suis senti proche de l'homme qui avait gravé ainsi, sculpté ainsi. …
…Ces statues-menhirs se présentent comme des œuvres hors d'un temps, d'une consistance indéfectible. C'est la densité, la frontalité, l'impression d'une puissance permanente. On sait qu'elles sont préhistoriques, mais leur présence, leur force surgies du passé, les fait aussi y échapper et nous en oublions leur origine. Elles sont là, devant nous, énigmatiques et fascinantes. Ce qui me touche c'est la charge d'émotion portée par ce monolithe grossièrement, péniblement mais fortement gravé, élevé à la dignité de figure. ...
…Au-delà d'une représentation, ce qui m'anime c'est la force de cette présence. Ces statues-menhirs nous atteignent indépendamment de l'époque et du lieu de leur création. … Ce ne sont pas les significations, connues ou non, qu'elles pouvaient avoir pour leurs auteurs qui nous concernent. Nous n'avons ni les mêmes religions, ni les mêmes mythes, nous vivons dans des sociétés différentes, et pourtant elles ont le pouvoir de provoquer et de répondre à ce que nous y investissons de nous-mêmes, maintenant. La vie d'une œuvre est faite par ceux qui la voient.
Les statues-menhirs du musée Fenaille sont suffisamment allusives pour ne pas appartenir à un art "abstrait" (dans l'acception actuelle de ce mot) et, bien qu'allusives, elles ne représentent pas, elles présentent. Elles n'expriment pas, elles sont. »
« C’est peut-être à cause des émotions que j’ai eues devant ces objets que j’ai été amené à regarder ailleurs et peut-être même à guetter, pendant que je peignais, ces moments d’origine. »
Soulages a donc ressenti des émotions particulières en présence de ces statues, comme il en a eu devant l’abbatiale de Conques, ce qui n’est pas sans rappeler Andrée Putman et son amour pour Fontenay. Je suis donc allée visiter, après le musée Soulages, le musée Fenaille.
La première partie du musée est effectivement consacrée aux statues-menhirs du Rouergue. Et la première, celle qui nous accueille, s’appelle la Dame de Saint-Sernin.
Cette statue-menhir fut découverte en 1888 par un jeune vicaire, Frédéric Hermet, abandonnée le long d’un chemin à Saint-Sernin-sur-Rance, en Aveyron. C’est à partir de cette découverte que l’intérêt de la communauté scientifique pour ces stèles commença.
La Dame possède, comme ses sœurs, des caractéristiques bien particulières, même si ces statues ne sont jamais les mêmes. Cette statue-menhir féminine est sculptée dans un bloc de grès rose, mesure 113 cm de haut, 56 cm de large et 18 cm d’épaisseur. Représentée debout, ses quatre faces sont sculptées. Les traits du visage sont sommaires : seuls les yeux et le nez sont représentés, ainsi que des traits sur les joues que l’on devine être des scarifications, des peintures ou des tatouages.
Ses cheveux, tirés en arrière, semblent se diviser en deux nattes. Autour de son cou, cinq colliers et ce que les archéologues appellent une « pendeloque » qui se termine en forme de Y. Ses seins sont bien marqués, ses bras sont prolongés dans le dos par des épaules en forme de crosse, ses mains sont posées sur son ventre. Elle porte une ceinture et un long manteau qui forme de grands plis. Ses jambes, bien droites, sont terminées par des pieds nus dont les orteils ne touchent pas le sol.
Si on applique le principe d’universalité du symbole, il y a là matière à réflexion. Partons du haut de la statue :
- Les cheveux représentent la force physique ou vitale et sont considérés comme des capteurs naturels de l’énergie cosmique. Les nattes, qui peuvent avoir un lien avec l’au-delà, canalisent cette énergie.
- Les yeux, miroirs de l’âme, sont symbole de connaissance universelle, de perception intellectuelle, de communication et de clairvoyance (troisième œil). De nature solaire, ils sont associés à la lumière.
- Le nez procède de la même symbolique que l’œil. Il montre une certaine lucidité, la prémonition, l’intuition (avoir du pif).
- Les tatouages autorisent une identification aux représentants du monde céleste, permettant de communiquer avec elles.
- La bouche représente la parole (vérité mais aussi mensonge) et le souffle (puissance créatrice). Son absence peut indiquer la maitrise de l’expression de la pensée (comme l’aveugle devient visionnaire).
- Les oreilles ont la capacité d’entendre les messages. Plus elles sont longues, meilleure est la compréhension. Contrairement à la bouche, la communication, reçue et non transmise, est passive. Leur absence, par analogie, montre peut-être la capacité d’écoute maitrisée.
- Les colliers, en plus de marquer la fonction ou la dignité, couvrent le chakra de la gorge, le centre de la parole, de l’émotion. Le 5, somme du principe céleste (3) et terrestre de la mère (2), manifeste l’énergie créatrice à l’œuvre dans la matière ; il est symbole de l’être humain (les deux bras, les deux jambes et la tête de l’homme de Vitruve). Le Y, en forme de coupe, pourrait rassembler ces énergies et les conserver, ou bien les envoyer par son pied vers la terre.
- Les épaules nous montrent la puissance d’agir dans le monde physique, la force de réalisation.
- La main est l’emblème de la transmission du pouvoir, spirituel ou temporel. Les mains transmettent l’énergie de transformation, comme chez les magnétiseurs. Plus elles sont grandes, plus elles ont de pouvoir.
- La ceinture est liée à la sexualité, à la fécondité et au plaisir (ceinture d’Aphrodite), mais aussi à la chasteté et à la fidélité, à la maitrise des instincts : elle contient les reins, elle coupe l’énergie tellurique matérialisante captée par les jambes des plans supérieur de l’être. L’homme portant alors la ceinture peut se consacrer aux choses de l’esprit : c’est la fonction du cordon des moines par exemple.
- Les jambes et les pieds, organes de la marche, permettent d’être en contact avec les énergies terrestres. Ils correspondent à la nature profonde de l’homme : avoir les pieds nus ou porter des chaussures ne laisse pas la même trace. Ici, les pieds ne touchent pas le sol, preuve d’une volonté de se rapprocher du ciel, ou signe de la divinité ? Il se pourrait aussi que la taille très petite des jambes par rapport au corps indique que la femme soit représentée en position assise. Ou bien les jambes, reliées aux plans inférieurs, n’ont que peu d’importance.
Tout laisse à penser que cette statue-menhir représente, à défaut d’une déesse, une initiée portant les symboles de ses pouvoirs. Petite précision : les paléobotanistes pensent que les statues rouergates ont été érigées au milieu de forêts denses où dominaient les chênes. Taillées le plus souvent dans des roches exogènes, elles ont donc été transportées, parfois sur près de 20 km.
Plus loin, nous trouvons cette fois-ci la représentation d’hommes, portant haches, parfois un arc et des flèches, poignards et baudriers (où est souvent suspendu un ustensile de forme triangulaire pourvu d’un anneau, appelé « objet ». Comme avec la « pendeloque », nous voilà bien avancés. Peut-être un fourreau pour un poignard ?
Certaines de ses statues ont été transformées au cours des siècles : le sculpteur leur a fait changer de sexe. Le plus souvent l’homme est devenu femme par ajout de seins, de colliers, de ces fameuses pendeloques en forme d’Y, et effacement des attributs d’origine. L’inverse existe mais est bien plus rare.
Quelques statues-menhirs n’ont plus rien d’humain et se bornent à représenter les attributs. Point d’yeux, de nez, de jambes ou de bras, mais des représentations d’armes, de colliers ou de vêtements, comme la statue de Verrière, la préférée de Soulages.
Revenons sur l’origine de ces statues menhirs. Les archéologues pensent qu’elles proviennent de la culture de Maïkop, située entre la mer Noire et la mer Caspienne (Caucase, Anatolie, Iran) entre 4 000 et 3 000 avant notre ère.
Cette culture, apparentée à celles de Yamna (proto-iraniens et arméniens, à origine de la population proto-indo-européenne) et celle de Kouro-Araxe, fut influencée par celle de Shulaven-Shomu (Arménie, Géorgie, Azerbaïdjan) qui remonte à plus de 6 000 ans avant notre ère. Elle doit son nom au site de Shomutepe dans l'ouest de l'Azerbaïdjan.
Ce qui m’a tout de suite fait penser à Göbekli Tepe, en Turquie du sud-est. Les fouilles de ce site ont mis à jour des structures que l’on pense être des temples, datées pour les plus anciennes d’environ 10 200 ans avant notre ère. Au milieu, des « piliers » en forme de T d’une hauteur impressionnante de 3 à 4 mètres de haut, pouvant peser jusqu’à 10 tonnes. Certains d’entre eux présentent des formes anthropomorphes.
Sur le pilier, qui représente le corps, sont représentés des bras très longs et filiformes, terminés par des mains posées au-dessus d’une ceinture à boucle tenant parfois un pagne en peau d’animal (renard). La tête est représentée par le haut du T, barre horizontale sans aucun signe distinctif (absence des yeux, du nez, de la bouche ou des oreilles).La face ventrale est creusée d’une bande verticale se terminant en haut par un sillon en V qui pourrait styliser un vêtement attaché par une boucle autour du cou.
Ces différentes cultures qui se sont succédées dans cette région du monde se sont-elles transmis cet héritage, le transportant, au cours de leurs migrations plus tardives, jusqu’aux rivages atlantiques de Bretagne ou du Portugal ? Les recherches se basant sur la linguistique, l’archéologie et d’autres sciences comme l’étude de l’ADN (haplogroupes) semblent le confirmer.
C’est en 1956 que Maria Gimbutas a parlé la première de l’hypothèse de la culture Kourgane (mot d’origine tatare désignant les tumuli que bâtissaient ces gens). Gimbutas, l’auteur du livre très connu « Le langage de la déesse », pensait que l’origine de cette nouvelle culture patriarcale et guerrière se situait en Ukraine, d’où serait partie l’invasion des peuples pratiquant le matriarcat. Depuis les études se sont affinées et les hypothèses anatolienne (Remco Bouckaert, Philippe Lemey et Quentin Atkinson) ou iranienne (Maria Ivanova-Bieg) gagnent du terrain.
Quand on regarde tout cela d’une façon plus globale, en prenant du recul et en oubliant ce que veulent bien nous apprendre les universitaires, on se rend bien compte quand même qu’il s’est passé quelque chose d’intéressant dans cette partie du monde : plus anciennes structures semblant être des temples (Göbekli Tepe, près de Şanlıurfa -appelée Urhai, Osroé puis Édesse- où, dit-on, Adam et Eve séjournèrent, et qui serait, selon la légende, la ville natale d’Abraham et le lieu de sépulture de sa femme Sarah), premières traces d’agriculture, premières traces d’élevage, découverte des plus anciens pressoirs à vin, preuve de l’amélioration voulue des espèces avec l’arrivée du blé et de l’épeautre, plus ancienne écriture connue (tablettes cunéiformes) , plus anciennes villes connues (Çatal Höyük), mythes et légendes se rapportant à Gilgamesh et sa quête de l’immortalité, Utanapishtim ou bien Noé, le déluge et le mont Ararat, lieu de villégiature d’Adam et Eve, d’Abraham et de Sarah, etc.
Alors que s’est-il passé il y a 12 000 ans dans cette région du monde ?
https://musee-fenaille.rodezagglo.fr/preparer-sa-visite/circuits/les-statues-menhirs/
https://musees-occitanie.fr/articles-decouverte/les-statues-menhirs/
https://musee-archeologienationale.fr/collection/objet/statue-menhir
https://www.panoramadelart.com/statue-menhir-aveyron
http://archives.pierre-soulages.com/pages/psecrits/statuesmenhirs.html