Autrefois appelée Sauvecanne, l’abbaye cistercienne de Silvacane tire son nom du latin silva cannorum, la forêt de roseaux. Les moines ont en effet asséché les marais sur la rive gauche de la Durance pour en construire les premiers bâtiments.
Elle fait partie des « trois sœurs provençales », avec Sénanque (Var) et Le Thoronet (Vaucluse). Contrairement à ses deux sœurs, issues de l’abbaye de Mazan, elle-même fille de Bonnevaux, fille de Cîteaux, Silvacane est issue de l’abbaye de Morimond en Haute-Marne, elle-même quatrième fille de Clairvaux. Toutes trois cisterciennes, elles n’ont pourtant pas la même filiation. Silvacane est la plus récente des trois et reste la seule sans activité conventuelle.
1 Porterie
|
11 Salle capitulaire
|
2 Hôtellerie
|
12 Escalier
|
3 Bâtiments liés à l’hôtellerie, boulangerie
|
13 Parloir
|
4 Cellier
|
14 Scriptorium
|
5 Cimetière
|
15 Réfectoire
|
6 Source
|
16 Cloitre et lavabo
|
7 Jardin des moines et bassin
|
17 Fontaine
|
8 Abbatiale
|
18 Citerne
|
9 Armarium
|
19 Bassin moderne
|
10 Sacristie
|
|
Historique
Ce sont donc des moines cisterciens de l’abbaye de Morimond qui furent envoyés en 1145 sur ces terres appartenant à l’abbaye Saint-Victor de Marseille.
Sur place se trouvait une hostellerie du XIe siècle (la première trace écrite date de 1030) construite sur l’emplacement de l’église d’un ancien ermitage par des moines pontiers au niveau du gué de Gontard (un bac reliait alors les deux rives à l’aide de cordes tendues), ceux-là même qui avaient décidé, suite au passage de saint Bernard dans le Languedoc, de s’affilier à Cîteaux.
Grâce aux donations de Bertrand des Baux (Bertran dels Baus) et de son épouse Thiburge d’Orange (Tibors de Sarenom), célèbre trobairitz (féminin de troubadour), l’abbatiale fut commencée en 1175. Othon, demi-frère de l’empereur Conrad III de Hohenstaufen en fut le premier abbé.
L’abbaye reçut de nombreux dons des familles nobles locales et se retrouva sous la protection des comtes de Provence, ce qui lui permit de se développer et d’étendre son influence entre les XIIe et XIIIe siècles, suscitant la jalousie de l’abbaye de Montmajour. Une abbaye-fille, Valsainte, fut même fondée sous l’autorité du cinquième abbé, Norbert, en 1188. Pas n’importe où d’ailleurs, près d’Apt, sur un ancien site sacré dédié à Bélénos près de la source du Calavon.
À la fin du XIIIe siècle, vers 1289, les bénédictins de Montmajour envahirent l’abbaye et en chassèrent les moines. S’ensuivit un lent déclin. Survint alors la grande peste entre 1347 et 1342 qui fit des ravages au sein de la communauté. L’abbaye fut ensuite pillée en 1358 par une troupe de mercenaires menée par Rican Corvi, seigneur d’Aubignan. En 1364, le froid fit périr les oliviers et une grande partie des vignes, enlevant à l’abbaye des revenus conséquents. Entre 1413, l’abbé Jean Salsine quitta même les lieux pour aller se réfugier à Valmagne. Les moines ne revinrent qu’en 1420 et commencèrent à bâtir le nouveau réfectoire.
En 1440, une crue de la Durance fait de nombreux dégâts. L’abbaye fut rattachée au chapitre de la cathédrale d’Aix-en-Provence en 1455 et l’abbatiale devint simple église paroissiale de la Roque-d’Anthéron en 1513.
Les guerres de Religion n’arrangèrent pas les choses : à la fin du XVIe siècle, Silvacane servit de carrière de pierre et en 1742 l’église est abandonnée. L’abbaye, très dégradée, fut déclarée bien national lors de la Révolution et vendue en lot comme exploitation agricole à des protestants. Le réfectoire devint grenier à foin, la nef pigeonnier et la salle capitulaire écurie.
Silvacane fut rachetée à ses propriétaires le 30 janvier 1846 par le préfet et l’État français dépêcha deux architectes des Monuments historiques pour sa rénovation, Henri Révoil puis Jean Camille Formigé.
Le site fut classé en 1945, les premières fouilles débutèrent en 1952 et le site fut ouvert au public. La commune de la Roque-d’Anthéron en devint propriétaire le 9 juin 2008 et l’abbaye accueille maintenant des concerts, comme par exemple lors du festival de piano de La Roque ou du festival international du quatuor à cordes du Luberon et des expositions d’art contemporain. Vu la qualité de celle que j’ai vue, les moines qui n’en demandaient pas tant doivent se retourner dans leurs tombes. Mais bon, comme on dit, des goûts et des couleurs…
L’abbatiale
Construite entre 1175 et 1230, mesurant 39,20 mètres de longueur, elle présente un plan en croix latine et comprend une nef centrale, deux bas-côtés et un transept dont les bras sont pourvus de chapelles à chevet plat.
L’abbatiale est un exemple d’architecture cistercienne de transition, mélangeant le style roman et le gothique. C’est l’un des premiers monuments majeurs à utiliser la voûte en berceau brisé, caractéristique de l’architecture de transition roman-gothique.
En raison de la forte déclivité du terrain du côté nord, le plan du collatéral sud est plus élevé que le reste de l’église.
La façade ouest est divisée en trois parties par deux puissants contreforts. Le tympan, surmonté de voussures, est orné de l’agneau pascal portant un étendard, blason des chanoines d’Aix-en-Provence. Il est surmonté par trois baies en plein cintre puis d’une petite rosace à huit lobes.
Au-dessus, trois trous ronds posés en triangle où s’intégraient des bacinis, coupes en céramiques décorées de motifs islamiques recouvert d’une glaçure brillante.
Ces petites bassines étaient fabriquées au Moyen-Orient, au Maghreb et en Espagne. On en retrouve en Italie et dans le sud de la France. Les trous sont placés au sommet d’angles remarquables ayant servi à l’élévation de la façade. (108° pour l’angle de la toiture des collatéraux, 90° qui positionne au sol la longueur du transept, 72° celle de la nef, 60° la limite des trois baies, 36° tangent à la rosace, 18° qui encadre la baie centrale et le portail)
Le clocher, posé sur la croisée du transept, reste inachevé. Il possède des baies géminées en plein cintre séparées par une colonnette.
La nef à trois travées est voûtée en berceaux brisés qui reposent sur des colonnes engagées, supportées par des culots. Sa hauteur atteint les 15 mètres.
Une particularité due à l’orientation de l’axe selon la dédicace (15 août, fête de la Dormition de marie) : ce jour précis, un rayon du soleil couchant vient taper sur un pilier du collatéral nord. C’est aussi à cause de la dédicace que l’axe de l’église n’est pas exactement orienté sur la ligne est/ouest.
Dans le collatéral sud se trouve le caveau, restauré en 1940, que l’on attribue à la famille des Baux. C’est là que serait enterré Bertrand des Baux et son épouse Tibors. Ce caveau particulier est appelé un pourrissoir : on déposait le corps sur des barres transversales de pierre ou de bois qui permettaient, une fois le corps décomposé, de faire tomber les os dans le fond permettant ainsi l’arrivée d’un nouveau corps sur les barres.
Les chapiteaux carrés sont ornés de feuilles d’eau. La feuille d’eau est un motif ornemental inspiré des feuilles de lotus, utilisé dans le style de transition entre le roman et le gothique dans les abbayes cisterciennes. Cette sculpture est devenue le symbole de Cîteaux.
Le transept est couvert d’une croisée d’ogives de style gothique.
Le chœur, achevé en 1192, est de nouveau paré d’une voûte en berceau brisé. L’autel est d’origine. Il reste des traces de peintures murales datées du XIVe siècle avec la représentation d’une Vierge et de figures de moines.
Le chevet carré aussi large que la nef est plat et éclairé par trois fenêtres romanes en plein cintre et un oculus à huit lobes.
L’harmonie des proportions, la précision de la taille des pierres et le fini des chapiteaux, pourtant très sobrement ornés, témoignent de l’apogée de l’architecture cistercienne de l’époque.
Le cloitre
Attenant au mur nord de l’abbatiale, construit entre 1250 et 1300, il est formé de quatre galeries voûtées en berceau sur leur longueur, mais ses angles sont voûtés en ogives.
Compte tenu de la déclivité du terrain, son sol est à 1,60 mètres en-dessous de celui de l’église.
Les murs, très épais, sont percés de portes et de baies en plein cintre autrefois découpées en deux baies géminées décoré d’un oculus dans la partie supérieure au centre du tympan.
Une de ces arcades a été reconstituée dans la galerie nord.
Plusieurs piliers carrés sont sculptés en bas-relief de feuilles d’orchis et les colonnes sont décorées de feuilles d’eau.
Dans un angle du jardin, face au réfectoire, une partie de l’emmarchement de la fontaine circulaire fut reconstituée avec des fragments d'origine retrouvés lors de travaux dans les années 60 et remise en place. Les pierres sont décorées d’anneaux et de colonnettes.
Ce lavabo était alimenté par une source située à l’est qui fut canalisée par les moines jusqu’à l’abbaye. Très abondante il y a encore peu de temps, elle s’est progressivement tarie et ne coule plus depuis 2005.
L'armarium claustri
Ce mot latin, issu de arma, outils, ustensiles ou instruments, et de claustrum, le lieu clos, le cloitre, désignait une niche dans un mur servant à ranger des objets. Notre armoire en est la descendante. Dans un monastère, l’armarium contenait des manuscrits et des livres de liturgie et d’étude, utilisés pour la lecture durant les repas et souvent reproduits par les moines copistes.
Dans les abbayes d’importance, les premiers armariums, situés dans le cloitre entre l’abbatiale et la salle capitulaire, devinrent des pièces à part entière, prémices des scriptoria, futures bibliothèques.
L’inventaire de 1269 atteste à Silvacane la présence de 102 ouvrages qui traitaient de médecine, de géométrie, de musique et d’astronomie. On y trouvait aussi les ouvrages d’auteurs classiques tels que Platon, Horace et Aristote.
Silvacane est riche en armariums. Quatre dans le scriptorium, face à la cheminée.
Dans les galeries du cloitre nous en avons deux autres, formés de deux baies en plein cintre séparées par un pilier droit. On voit encore la trace des rainures portant les étagères.
Puis nous avons ce que nous pourrions qualifier de bibliothèque, une petite pièce voûtée d'environ 8m² dont l’entrée est formée de deux baies séparées par une fine colonnette à chapiteau. Juste au-dessus, une cavité circulaire devait recueillir, comme sur la façade ouest de l’église, une céramique ornementale, un bacini.
La salle capitulaire
Construite entre 1210 et 1230, ses dimensions sont basées sur deux rectangles d’or mis côte à côte. On appelle rectangle d'or un rectangle tel que le rapport des mesures de sa longueur et de sa largeur soit le nombre d'or φ (environ égal à 1,618), c'est à dire tel que son format vérifie L sur l = φ. Voir sur cette vidéo une animation simple de la réalisation d’un tel rectangle.
Il faut descendre quatre marches pour y accéder de la galerie est du cloitre.
Elle possède six voûtes sur croisées d’ogives qui reposent au niveau des murs sur des culots à chapiteaux et au centre de la pièce sur deux imposantes colonnes. La première, ornée de cannelures torses, fut refaite à l’identique en 1960. L’autre est formée de quatre colonnettes jointes. Leurs chapiteaux sont décorés de feuilles d’eau.
L’entrée est entourée de deux baies géminées en plein cintre séparées en deux par une colonnette.
Le scriptorium
Construit entre 1210 et 1230, comme la salle capitulaire attenante, restauré en 1960, ses dimensions sont basées sur un rectangle d’or simple.
Cette salle, appelée aussi chauffoir ou encore salle des moines, est la seule de l’abbaye à posséder une cheminée, avec bien sûr la cuisine et souvent l’infirmerie. Les moines copistes avaient droit à un traitement de faveur.
Comme la salle du chapitre, le scriptorium est couvert de six voûtes sur croisées d’ogives retombant sur deux colonnes plus massives, à chapiteaux ornés de feuilles d’eau.
La cheminée est adossée au mur est.
Proche de la cheminée, une fenêtre à meneau, donnant au nord, fut construite au XVe siècle par les chanoines du chapitre d’Aix-en-Provence. Des bancs, appelés coussièges, furent aménagés dans l’embrasure de la fenêtre, ce qui permettait de profiter de la lumière pour effectuer de petits travaux ou lire.
Le dortoir
Situé au niveau supérieur de l’aile est, on y accède par deux escaliers. Le premier, qui arrive en son centre, est ouvert dans la galerie ouest du cloitre entre la salle capitulaire et le parloir.
Le deuxième le relie directement avec le bras nord du transept, ce qui permettait aux moines d’accéder à l’église rapidement lors des offices de nuit.
Cette salle immense, voûtée en berceau brisé sur quatre arcs doubleaux de section rectangulaire, mesure 33 mètres de long sur 7 mètres de large. Elle fut restaurée en 1995.
Sur le mur est, en face de l’escalier, une prière fut peinte avec des pigments naturels par les chanoines du chapitre d’Aix-en-Provence au XVIIe siècle.
Les paillasses des moines étaient disposées chacune sous une baie.
Une porte à l’ouest menait à la terrasse située au-dessus des galeries du cloitre, une autre au nord donnait accès aux latrines.
Le réfectoire
La pièce, rectangulaire, fut terminée à la fin du XIIIe siècle et reconstruite en 1420 par l’abbé Boniface. Elle mesure 25 mètres de long et 7,90 mètres de large. Le style en est gothique : la salle, divisée en quatre travées par des arcs doubleaux, est couverte de hautes voûtes sur croisées d’ogives. Les chapiteaux sont décorés de feuillages très travaillés.
La pièce est éclairée par une rosace ouverte sur le mur occidental.
Les trois fenêtres hautes à lancettes trilobées, partagées par un fin linteau, apportent aussi la lumière du nord.
Dans le mur sud, très épais, est taillé un escalier menant à une petite chaire. C’est là que le moine préposé à la lecture s’installait.
Le parloir
Cette pièce toute en longueur reliait le cloitre aux jardins en terrasses où se trouvaient le potager et le verger. Elle était utilisée comme parloir, c’est-à-dire que les moines, soumis ailleurs à la règle du silence (sauf dans la salle capitulaire), avaient l’autorisation d’y parler entre eux.
Les points d’eau
Silvacane fut construite au bord de la Durance qui n’est qu’à quelques centaines de mètres. Mais les moines avaient besoin d’eau, pour l’irrigation, la cuisine, mais aussi pour la purification et bien d’autres choses.
La source principale, située à l’angle sud/est de l’abbaye, passait sous les latrines et alimentait une canalisation qui traversait les jardins à l’est, en alimentait le bassin, puis passait sous le cloitre pour remplir le lavabo, le traversait jusqu’à la fontaine située à l’ouest et continuait jusqu’à la citerne au nord. Une autre source, au sud, plus petite, passait près de l’hôtellerie.
Un des canaux fut prolongé au XVe siècle pour alimenter le grand bassin qui servait de vivier et qui, aujourd’hui, abrite des carpes Koï et de beaux nénuphars.
Les cours d’eau souterrains principaux, d’après les recherches radiesthésiques de Jean Guyou, qu’il développe dans son essai sur Silvacane, sont au nombre de deux, situés à une vingtaine de mètres de profondeur.
La porterie et l’hôtellerie
Au XIIe siècle l’entrée s’effectuait par la porterie, qui n’existe plus que sous forme de vestiges à l’ouest de l’abbaye. L’arrivée se trouvait donc en face de l’abbatiale, près de l’hôtellerie bâtie sur plusieurs périodes et dont les différents bâtiments ne suivent aucun plan.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Abbaye_de_Silvacane
https://fr.geneawiki.com/index.php?title=Abbaye_de_Silvacane&mobileaction=toggle_view_desktop
http://jeanmarieborghino.fr/temoins-passe-labbaye-de-silvacane/
https://fr.geneawiki.com/index.php/Abbaye_de_Silvacane
Jean Guyou, Silvacane, proportions sacrées et nombre d’or.