Gavrinis
Après le Maeshowe orcadien et Newgrange irlandais, voici enfin le Gavrinis breton. Depuis le temps que j’avais envie de m’y rendre, avec un sentiment d’urgence ! Et malgré les touristes (peu nombreux il faut bien l’avouer) et la guide obligatoire (fort intéressante car érudite et très gentille au demeurant), la visite fut très agréable.
Comme Er Lannic, l’ile de Gavrinis, rocher granitique de 750 m de long, de 400 m de large et de 24 m de haut à son point culminant, était reliée au continent lors de la construction du cairn primitif.
La colline dominait les cercles de pierres en contrebas, de l’autre côté de la rivière de Vannes qui, au fil du temps, forma des gorges profondes dans lesquelles virent s’engouffrer les eaux des marées. C’est peut-être de là que l’ile tient son nom, du gaélique inis, l’ile (enez en vieux breton), et du vieux celtique govero, associé à l’idée de ravin, de torrent encaissé, d’où provient le français gouffre. Ce serait alors « l’ile du gouffre ».
Ou bien aussi du vieux celtique gabelo, avec l’idée d’une fourche ou d’une île entre les bras de deux rivières. L’ile de Gavrinis étant bordée à l’ouest par la rivière d’Auray, et au sud par celle de Vannes, le nom de « ile située entre les bras des rivières » serait conforme à la situation géographique.
Mais… la première mention de l’ile connue remonte aux XIIe et XIIIe siècles, où l’on parle de Guirv Enes en 1184 et Guerg Enes en 1202. En gaélique, le sens de guerg est actif, agissant, énergique, celui de gwerg efficace, performant. Ce serait dans ce cas pour certains « l’ile travaillée, ou cultivée ». Je vois un tout autre sens, lié aux énergies naturelles du lieu activées.
Historique
Les archéologues ont retrouvé une partie de la trame de l’histoire de l’ile, les documents écrits en parlant étant très rares. Ils font remonter la construction primitive d’un premier cairn vers 3500 avant notre ère (donc plus ancien que Newgrange avec 3000 et Maeshowe avec 2750).
Les fouilles du parvis ont mis à jour le sol néolithique, dans lequel se trouvaient des fosses remplies de matière organique et de dreikanters en quartz (galets érodés par l’action du vent) qu’ils pensent avoir été utilisés pour graver les pierres du cairn (pour rappel, la façade de Newgrange est faite de galets de quartz blanc). Furent aussi retrouvés des trous de poteaux, indiquant qu’une structure en bois se trouvait devant l’entrée.
Des traces de combustion de ces pieux ont été conservées par l’apport massif de terre et de pierres ayant recouvert le tout, condamnant l’entrée mais en même temps protégeant ce témoignage d’un incendie volontaire et d’une dissimulation du cairn vers – 3000. L’ile fut fréquentée plus tard par des gallo-romains, pour preuve les amphores et les céramiques sigillées retrouvées sur le tumulus.
Au XIIe siècle, les Templiers (la tradition parle de moines rouges, nom attribué aux Templiers en Bretagne) y installèrent un monastère. Au XVIIe siècle, l’ile fut achetée par Nicolas Fouquet, surintendant des finances de Mazarin.
En 1801, le propriétaire, le docteur Cauzique, défricha les terres, arasa les derniers vestiges du monastère afin d’y construire une ferme. Il dégagea le tumulus et découvrit la chambre du dolmen. Depuis, les campagnes de fouilles se succédèrent.
Zacharie Le Rouzic fit une première restauration en 1930. Le monument fut racheté par de département du Morbihan en 1961 et fut classé aux Monuments Historiques. Charles-Tanguy Le Roux, dans les années 80, restitua le monument dans un état proche de celui d'origine.
Description
Gavrinis, c’est un tumulus presque circulaire de plus de 50 m de diamètre, recouvrant un cairn quadrangulaire aux angles arrondis qui contient un dolmen à couloir à chambre simple de près de 16 m de long (tumulus : éminence artificielle composée de pierres et de terre, le cairn étant fait uniquement de pierres et le tertre de terre).
Le cairn, constitué d’un amoncellement de pierres locales (granite clair à grain fin) et de terre sableuse, mesure plus de 30 m de diamètre et atteignait 6 m de hauteur. Il fait partie des cairns à degrés, et mis à part son sommet, reste pratiquement intact.
L’arrière est recouvert de terre, alors que l’avant, dégagé, laisse au jour la façade de 28 m le long constituée d’un parement en pierre sèche réalisé avec soin et dont l’inclinaison atteint 70°.
Au milieu de la façade, le couloir du dolmen s’ouvre par un trilithe. Orienté vers le lever du soleil au solstice d’hiver, il est long de plus de 13 m, large de 1,30 m et haut de 1,50 m (largeur et hauteur constantes mis à part un léger étranglement au centre).
Il est constitué de 23 dalles de pierre posées verticalement dans une rigole de fondation, sorte de tranchée de 40 cm de profondeur creusée dans le sous-sol, soigneusement juxtaposées, 12 côté nord/est et 11 côté sud/ouest, surmonté de 9 dalles de couvertures.
Sa taille (le plus grand connu en Bretagne) par rapport à la chambre est remarquable, ce qui laisse à penser que sa fonction de « passage » est importante.
Ce qui semble confirmé par les dalles du sol : une pierre de seuil à l’entrée, plusieurs paliers clairement indiqués et une pierre de seuil à l’entrée de la chambre (dommage, ce n’est plus la vraie : elle fut remplacée par un moulage afin de protéger les dessins et surélevée pour en montrer le décor aux touristes).
La chambre, trapézoïdale, mesure 2,55 m de long et de 2,10 m à 2,45 de large pour une hauteur de 1,70 m. Elle est formée de six orthostates, d'une dalle de couverture en orthogneiss (la dalle la plus importante du dolmen) et d’une dalle au sol, plus haute d’1 m que l’entrée du couloir, posée sur un remblai d’environ 80 cm de pierraille et de sable, comme le sol du couloir.
L’orientation générale du dolmen est donc celle du lever du soleil au solstice d'hiver. En fin d’année effectivement, les rayons du soleil frôlent le bas de la paroi sud/ouest du couloir jusque dans la chambre. Mais ils sont arrêtés par le linteau de l'entrée avant d’arriver dans l'axe du solstice. J’aimerais qu’un archéoastronome fasse le point là-dessus.
Bien que le monument soit considéré comme funéraire, aucun artéfact en relation directe avec la mort ne fut retrouvé à Gavrinis. Aucun ossement n’y fut déposé avant qu’il ne soit condamné en – 3000. Ce qui veut dire que cet endroit n’est pas une sépulture.
Les pierres gravées
Les dalles verticales du dolmen, les orthostates, dégrossies et régularisées par martèlement, sont en granite clair local, sauf deux, côté nord/est, en quartz. Elles sont gravées d’un décor que je qualifierais de magique, sauf cinq d’entre elles au début du couloir (n°1, 2, 27, 28, 29) et une en quartz (n°7), restées brutes. Ce qui nous fait, avec la pierre de seuil de la chambre, 24 dalles gravées.
Le décor (ressemblant aux décors de Newgrange en Irlande) fut exécuté, d’après les archéologues, par piquetage sur les orthostates à l’aide de galets à facettes en quartz (dreikanters), retrouvés lors des fouilles sur le parvis. Les motifs font preuve d'une grande homogénéité, et sont formés le plus souvent d'arcs de cercles concentriques et de spirales (voir la symbolique en cliquant sur le mot). Il apparaît aussi parfois des chevrons et des losanges.
Plusieurs thèmes ont été détectés, comme des haches stylisées, des écussons simples ou complexes, des crosses, des cornes, des serpents, des arcs et des flèches.
Lors des fouilles récentes, il est apparu que les faces cachées des orthostates étaient aussi gravées : des représentations de haches emmanchées, un écusson quadrangulaire, furent retrouvées.
Certains archéologues, comme Serge Cassen, ont essayé de traduire ces signes gravés, considérant qu’ils formaient une écriture ornementale racontant une histoire mythique ou symbolique. Le serpent (voir la symbolique en cliquant sur le mot)serait la représentation du monde souterrain (l’incarnation de l’esprit dans la matière, maitrisant la vie et la mort, l’initiation), les écussons celle d’une déesse-mère, les crosses celle de l’autorité (pasteur, évêque), les haches celles de la force destructrice et de l’axe du monde (elles ouvrent ce qui est fermé ou secret, elles séparent et trient) et les cornes celle d’une divinité taurine associée à la déesse-mère (croissant de lune, porté par le taureau, symbole de la grande déesse, de la fertilité, de l’abondance, de la création).
Ainsi, la première dalle sur la gauche (senestre, féminin) en rentrant (n°26) porte un écusson complexe garni de lignes concentriques, alors que son rostre sommital et ses boucles latérales sont entourés d’auréoles successives centrifuges. Au sommet des auréoles du rostre, un nouveau rostre auréolé, comme une émanation du premier formant un couple divin mère-enfant (Isis-Horus, vierges noires). Associé au taureau, on se rapproche de la symbolique des vierges noires…
Sur la dalle n°8, sur la droite (dextre, masculin), un écusson est entouré à gauche par une crosse et à droite par une hache, comme si la déesse était parée de ces attributs (la Crosse-Héqa et le Fléau-Nekhekh du pharaon ? Le rostre pourrait alors représenter l’Uraeus).
Sur la dalle n°21, à gauche, se trouvent 18 lames de haches d’apparat, dont 10 sont présentées par paire. Certaines haches ont été retrouvées sciées longitudinalement en deux, formant deux demi-haches symétriques. Séparation de l’unité en deux ? Mis à part un acte symbolique fort, on ne voit pas pourquoi les hommes de cette époque se seraient donné tout ce mal…
Sur la dalle n°24, qui fait un peu saillie au milieu du couloir, les deux lames de hache, l’arc et les flèches sont présentés comme une mise en garde. Serge Cassen fait un travail formidable, tout ça me parle.
Certaines décorations semblent avoir été réalisées avant la construction du dolmen. L’orthostate n°14, par exemple, a été tronqué afin de s’insérer parfaitement dans la construction, et les dessins, un champ de crosses, l’ont été par la même occasion. Donc… bizarre quand même de graver une pierre dehors (cf les deikanters) pour s’apercevoir ensuite qu’elle n’a pas la bonne taille, non ?
Lors des fouilles des années 80, Charles-Tanguy Le Roux dégagea le dessus de la dalle de couverture de la chambre (3,70 m de longueur sur 3,10 m de largeur et 80 cm d’épaisseur, pesant 17 tonnes) et fit une découverte intéressante : elle était gravée, sur sa face cachée, d’une hache-charrue tronquée, d’un bovidé et des cornes d’un deuxième bovidé.
L’archéologue raccorda la pierre à la dalle de couverture du dolmen de la Table des Marchands à Locmariaquer… Les deux parties correspondaient parfaitement. C’était l’amorce d’un grand menhir de 14 m de haut dont la partie sommitale fut retrouvée dans le dolmen d’Er Grah.
La pierre la plus mystérieuse reste l’orthostate n°18, à gauche en rentrant dans la chambre. Elle présente, au-dessus de deux spirales gravées, une cavité centrale avec deux arceaux, due à l’érosion d’un défaut naturel de la pierre. Pourquoi cette dalle a-t-elle été choisie ?
Plusieurs explications ont été données, jamais satisfaisantes pour moi qui sent une relation de cette pierre avec la naissance. Jusqu’à ce que je tombe sur le site d’Olivier Manaud et Cécile Barrandon, chercheurs au CNRS et spécialistes des rapports musique-architecture-acoustique. Ils ont déjà, par déduction après leurs mesures, retrouvé l’existence d’une coudée mégalithique de 0,43 m qu’ils désignent par la lette M comme module de base :
« Manifestement un module de construction, une sorte de coudée a servi à l’élaboration de l’édifice. Il y avait donc probablement une canne d’arpenteur, un étalon de mesure. Il semble plus petit qu’à l’époque de l’Antiquité ou du Moyen-âge, mais ceci est sans doute fonction de la morphologie et de la taille des hommes de cette époque »
47 Longueur de la chambre = 6M = 2,6 m
Largeur de la chambre = 5M = 2,15 m
Hauteur de la chambre = 4M = 1,7 m
Largeur maximum du couloir = 3M = 1,3 m
Largeur minimum du couloir = 2M = 0,86 m
Longueur totale intérieure = 35M = 15 m
Leurs recherches les ont amenés à ces conclusions et ces questionnements :
- L’existence d’un module de construction. Sa valeur (43cm) correspond à deux fois la distance inter-aurale, et qui, inévitablement à une incidence auditive.
- La deuxième chose intéressante c’est la plage de fréquences indicative que donnent les deux calculs (entre 400 et 680 Hz). Ce sont des fréquences accessibles à la tessiture vocale masculine et féminine, avec une préférence pour la voix des femmes.
- Les acteurs des rituels chantés n’étaient ils pas des femmes ? Ou du moins, les orifices dans la dalle n°18 n’ont-ils pas été conçus pour la voix des femmes ?
- Y avait-il des rites pour les hommes et d’autres pour les femmes ?
- Le point acoustique identifié très clairement au niveau de la dalle n°15 ne correspond-il pas à un emplacement rituel particulier ? La personne avançait-elle de manière initiatique par trois paliers successifs (dalles n°5, puis n°8, puis n°15) pour arriver dans le fond de la chambre ?
- L’initié ou le patient était-il en position debout ou allongée au niveau de la dalle n°15 ? En effet, la position allongée sur le dos au niveau à cet emplacement est particulièrement saisissante au plan des perceptions acoustiques.
- Les actes de chants dans ce lieu avaient-ils une fonction initiatique ou thérapeutique ? Avaient-ils une fonction pour les accouchements ? Le fait que le site se trouve enfouis sous terre permet-il symboliquement de soulever cette hypothèse ?
- Pour l’ensemble des prises de son, nous sommes arrivés très vite à une saturation auditive très puissante lorsqu’on arrive aux fréquences de résonance. Ceci est particulièrement identifiable à des emplacements donnés de l’édifice. (Le lieu où le phénomène est le plus puissant est auprès de l’orthostate n°15). C’est là que nous avons choisi de positionner les micros. On notera que cela correspond aux orthostates où sont gravés des haches ou des crosses.
- Une nette différence entre les résonances de la voix chantée dans ou hors des orifices.
- Un renforcement très caractéristique de l’harmonique de basse fréquence pour la voix féminine lorsqu’elle est chantée dans l’orifice. Ceci accentue l’énergie de l’acte vocal et lui donne une force particulière, quasi impossible à obtenir de manière ordinaire. Ce type d’harmonique est ordinairement la caractéristique de la voix masculine. On observe aussi dans le surgissement d’harmoniques très aigues autour de 2000Hz et 3500Hz, un peu comme lorsqu’on passe le doigt humide sur un verre de cristal.
- A l’inverse pour la voix masculine, le fait de chanter dans l’orifice amenuise l’harmonique basse fondamentale. Il n’y a pas quasiment pas de surgissement d’harmoniques suraigües, sauf à la fréquence 418Hz.
- Les zones acoustiques particulières sont au niveau de la dalle n°15 et de la dalle n°8, où l’énergie sonore est très forte.
Incroyable. Pour moi, ils ont retrouvé par le son les différents paliers énergétiques amenant à la chambre, quelques fonctions du lieu comme les vibrations émises par une voix féminine dans le trou de l’orthostate n°18 qui provoquera un accouchement (la renaissance symbolique de l’initié), l’utilisation du sanctuaire par des femmes…
Autre chose peut-être… Peu de gens font le rapprochement des gravures de Gavrinis avec les dessins bien connus des jardins zen, faits au râteau dans le sable ou le gravier, autour de rochers, en imitant de l’eau. « Originaires de Chine, ils symbolisaient le paradis dans le monde. Selon les anciennes légendes, ce paradis trônait au sommet de la grande montagne, dans les îles lointaines au milieu de la mer, où se trouvait l'élixir de longue vie qui permet d'accéder à l'immortalité. Ils étaient considérés comme des lieux magiques, représentant un cosmos miniature dans lequel on cherchait à recréer l'image d'une nature idéale, compromis constant entre les dimensions esthétiques et symboliques allant toujours vers la simplicité ».
Au fil du temps ces jardins passèrent dans la culture japonaise. « Il sortit alors l’image de la montagne sacrée, de l’ile où vivent les immortels représenté par un gros rocher, puis de deux rochers, un plat et un élevé symbolisant une tortue et une grue (la longévité et le bonheur). Le sable était ratissé en partant du levant au couchant, les lignes ondulantes représentaient des vagues et des courants, circulant autour des rochers ou des îlots. Puis les rochers devinrent la demeure des Kami, des divinités représentant les éléments de la nature (Amaterasu étant la déesse primordiale du soleil), les animaux ou les forces créatrices de l'univers, ou des esprits de personnes décédées ».
L’art du jardinage, art sacré et ésotérique devenu abstrait, était transmis oralement par un maître à ses élèves. Les rares manuels étaient conservés secrètement et très peu diffusés. La symbolique de ces jardins n’est pas si éloignée de celle de notre sanctuaire breton finalement. Paradis allégorique posé au sommet de sa colline sacrée, séparé de la terre des hommes initiés par la rivière qui sera la frontière entre le spirituel et le divin, il porte l’essence primordiale féminine de la création, de la naissance du monde… Nous ne sommes pas si éloigné de Gavrinis.
http://www.larmorbaden.com/tourisme/sites-a-visiter/ile-de-gavrinis
http://www.culture.gouv.fr/fr/arcnat/megalithes/fr/index.html
https://fr.wikipedia.org/wiki/Cairn_de_Gavrinis
http://lespierresquichantent.over-blog.com/2014/10/echo-graphie-du-cairn-de-gavrinis.html
http://dbiette.free.fr/archeam2/arch2trubert6-11.htm