Notre-Dame de l’Hermitage
Les rochers à cupules
En passant la dernière boucle de la départementale menant au sanctuaire de Notre-Dame de l’Hermitage, j’ai été attirée par un chaos granitique. La voiture garée, j’ai éprouvé cette sensation bizarre qui me prend à l’approche d’un lieu sacré.
Un petit sentier taillé au milieu des airelles confirme que l’endroit est fréquenté.
Je décide de descendre un peu afin d’en trouver l’entrée : comme dans toute approche d’un sanctuaire, il nous faut grimper, suer, se fatiguer, se vider, pour pouvoir, une fois arrivés, se remplir. J’imagine donc que la voie partait du pied de la montagne.
Une fois l’entrée trouvée, je me faufile entre les blocs de granite. L’endroit, dédié au féminin, dégage une atmosphère douce, enveloppante, presque caressante quoique sévère.
De profonds bassins, naturels ou creusés de main d’homme, se trouvent aux endroits les plus énergétiques, ce qui me laisse à penser qu’ils servaient à fabriquer l’eau lustrale nécessaire aux rituels de soins de nos anciens.
Voilà une belle approche avant d’arriver au sanctuaire marial.
Historique
Il semblerait que le sanctuaire de Notre-Dame de l’Hermitage et sa source ait été un lieu sacré depuis fort longtemps, comme en témoignent les pierres granitiques creusées de cupules que l’on trouve alentours et les légendes qui s’y rapportent.
Quoi qu’il en soit, plusieurs églises se sont succédées près de la source, et les pèlerins, de plus en plus nombreux, incitèrent le prieuré de Noirétable, dépendant de Cluny, à construire sur place une grande église au XIVe siècle, sur l’emplacement actuel de l’église du cimetière. Elle était desservie par les bénédictins de Noirétable. En 1669 un grand monastère fut installé près des rochers de Peyrotine par les missionnaires du diocèse de Clermont. Le monastère prend le nom de « mission de Saint-Sauveur au désert » puis est rebaptisé « mission royale de Notre-Dame de l'Hermitage ».
En 1746, un vaste bâtiment est érigé et le monastère devient noviciat, c’est-à-dire un centre de formation pour les futurs missionnaires. Durant la Révolution, les missionnaires étant partis, le monastère périclite et les bâtiments tombent en ruine. Mais les pèlerins ne lâchent pas l’affaire.
Ce sont les prêtres missionnaires de la congrégation de la Salette qui restaurèrent les lieux à partir de 1889. Après leur départ au début du XXe siècle, ce sont les prêtres séculiers qui s’occupent du sanctuaire. Les pères de la Salette reprennent le monastère en 1925.
En 1932, une nouvelle église est construite. En 1951, le bâtiment principal est incendié puis reconstruit. Depuis 2001, ce sont les sœurs de la Salette qui ont pris possession des lieux.
Les légendes
La tradition dit que les druides officiaient en cet endroit et que, plus tard, la Vierge y apparut à un ermite voulant expier en ce lieu désert une grave faute commise. Quelle faute ? La légende affirme qu’au début du XVe siècle, Jean d’Urfé fut assassiné dans son château ainsi que toute sa famille, par des domestiques ayant eu connaissance de la présence d’une forte somme d’argent destinée à racheter la seigneurie de Crémeaux. A l’exception de leur dernier enfant, Antoine : celui-ci fut épargné car il choisit entre une pomme et une pièce en or qui lui furent présentées, le fruit. Les malfaiteurs furent arrêtés, jugés et soumis à la peine de mort sauf l’un d’entre eux qui réussit à s’enfuir. Il s’installa dans une grotte près de l’antique source sacrée des druides. C’est là que la Vierge lui apparut et le força à avouer ses fautes. Pris de remords, il se fit ermite afin de faire pénitence en ce lieu sacré. On dit parfois dans les campagnes que cette personne n’était pas l’un des serviteurs mais le vrai commanditaire de l’agression, un chevalier auvergnat, Robert, un ami cupide de Jean. Depuis, une trace de main ensanglantée, celle de Jean, est toujours visible sur une des pierres du donjon.
Qu’en est-il vraiment ? Un seigneur d’Urfé, descendant d’Arnould Raybe, à qui le sire de Beaujeu avait confié la tour de garde construite entre Saint-Marcel-d’Urfé et Champoly afin de surveiller les forteresses de son rival le comte du Forez, fut effectivement assassiné en 1418 dans son château ainsi que sa famille pour de l’argent. Il s’appelait Guichard, bailli du Forez et sénéchal du Quercy.
Une autre tradition raconte que cette histoire fut inventée de toutes pièces par la famille d’Urfé qui cherchait une excuse pour lâcher le château inconfortable afin de s’installer dans la plaine, à la Bâtie. Une autre, plus récente, dit que la trace indélébile de la main ensanglantée du sire d’Urfé se trouve encore sur l’une des pierres de son château qui se nomme aujourd’hui les cornes d’Urfé. En effet, le site servit durant des années de réservoir de pierres de taille et des pans des murs forment comme des cornes.
Les rochers de Peyrotine
En pénétrant dans la cour du sanctuaire, qui, mine de rien, se situe à 1112m de haut, je suis bien entendu attirée par les deux énormes rochers de granit blanc, dont l’un porte la statue de saint Joseph et l’autre une croix. Ils se nomment les rochers de Peyrotine, autrement appelés Perrotine ou bien encore Peiroboutine, ce qui signifie en patois la pierre des chèvres.
Le premier est surmonté de la statue de saint Joseph tenant l’enfant dans ses bras, installée en 1873. A ses pieds, une petite niche creusée dans la roche abrite une statue de saint Roch. Près de lui, la cloche du campanile fut mise en place en 1873, date de la reprise du pèlerinage après la Révolution.
Le deuxième se gravit en montant des escaliers taillés dans la roche, dont l’un sert de chemin de croix et l’autre porte le nom de scala sancta. L’escalier saint original se trouve à Rome, transporté selon la tradition du palais de Ponce Pilate à Jérusalem par Hélène la mère de l’empereur Constantin. Cet escalier de 28 marches fut, dit-on, gravi à plusieurs reprises par le Christ et donne des indulgences (100 ans par marche) à qui le monte à genoux. Celui de l’Hermitage, quant à lui, n’offre que 9 ans par marche, mais vu la rareté de ces escaliers dans le monde, on s’en contentera.
C’est à la base du rocher que se trouve la grotte de l’ermite, où une statue de Marie-Madeleine fut posée en 1667. Celle-là n’en est qu’une copie, l’originale ayant été transportée dans l’église de Noirétable.
La roche semble effectivement dégager quelque chose de mystérieux. En arrivant au sommet, je suis frappée par la grande cuvette creusée au sol. Elle mesure près d’1 mètre 40 de diamètre. A l’intérieur, une cuvette plus petite est placée au centre.
Des rigoles partent sur son pourtour. D’aucuns, les imaginatifs, prétendent que c’est un bassin que les anciens ont creusé à des fins rituéliques, d’autres, les rabat-joie terre à terre, que c’est la meule dormante d’un ancien moulin à vent. Et si les meuniers avaient arrangé un ancien bassin rituélique pour moudre du grain ? Hein ?
La chapelle de la source
En partant de l’Hermitage, un sentier forestier nous emmène à l’ombre de ses sapins. La statue de saint Antoine de padoue me semble inopportune en ce lieu paisible et accueillant, ce franciscain qui, dénommé « le marteau des hérétiques », passa sa vie à prêcher contre les cathares. A moins que le commanditaire ait eu un grand besoin de retrouver une chose qu’il avait perdue. Nous descendons vers la gauche.
Une deuxième statue, de Jean le Baptiste cette fois, est posée sur une des rochers du chaos granitique qui prend tout le sommet de la montagne. Sur la pierre est peinte l’inscription suivante : « Je suis la voie qui crie dans le désert, je prépare la voie du Seigneur, rendez-droits ses sentiers, faites de dignes fruits de pénitence ». Le catholicisme est bien ancré.
Le chemin arrive dans une prairie où se trouve la source miraculeuse et sa chapelle. C’est le cœur du sanctuaire. C’est ici, près de l’antique source sacrée, que, selon la tradition, la Vierge apparut à l’assassin de Jean d’Urfé. C’est cette eau que les anciens utilisaient à des fins thérapeutiques et magiques. L’eau coule sous la chapelle puis est canalisée jusqu’au bassin où les pèlerins peuvent la puiser. Très pure, rafraichissante, réconfortante, elle reste toute l’année à 6,7°.
Sur le pourtour du bassin ovale est inscrit « Mon âme a soif du Dieu vivant ». Ou peut-être bien de la Déesse des eaux qui fut certainement honorée en ce lieu.
La première chapelle date vraisemblablement du XIe siècle et depuis de nombreuses constructions se sont succédées. La chapelle actuelle, construite grâce aux dons de Just de Villechaize et de sa famille, date de 1896 et a été restaurée en 1969. A l’intérieur, des centaines d’ex-voto témoignent de la ferveur qu’inspire ce lieu. Une statue de la Vierge est transportée chaque année lors des pèlerinages du 15 août et du 8 septembre de l’église à cette chapelle.
La chapelle du cimetière
Du sentier forestier menant à la chapelle de la source, il suffit de prendre à droite et de remonter un peu pour arriver à la chapelle des Morts ou du père Gaschon, qui fut construite en 1890 sur les fondations de bâtiments plus anciens, dont la grande église du XIXe siècle. Le cimetière attenant fut créé alors pour recevoir les restes des chapelains et missionnaires de la Mission Royale.
La Vierge de l’Hermitage
L’Hermitage possède plusieurs statues de Vierges. L’une d’entre elles me parait digne d’intérêt, puisqu’elle est romane et date du XIIIe siècle. Cachée pendant la Révolution puis oubliée, elle fut retrouvée en 1979.
Ses mains immenses, la cathèdre et d’autres critères comme les légendes se rapportant à sa découverte pourraient en faire une prétendante aux Vierges noires qui sont très présentes dans ce coin de France, comme sa voisine de Vollore-Ville ou celle de Courpière. Mais l’enfant n’est pas assis dans son giron, il est debout sur ses genoux. Les couleurs ne sont pas les bonnes, les traits de la Vierge sont plutôt bonhommes. La statue ressemble plus à une interprétation naïve d’une Vierge antérieure.
Cette Vierge a été mentionnée dans des écrits comme l’Étude historique sur l'ancienne Mission diocésaine de Clermont de l’abbé Randanne qui parle d’une ancienne statue qui se trouvait au XVIIIe siècle dans la grande église, ou comme le Registres des Insinuations ecclésiastiques qui mentionne un autel dédié à Notre-Dame de l’Hermitage. C’est au XVIIIe siècle qu’apparait une de ses représentations dans le Nouveau Missionnaire du Clergé du père Déat, supérieur des Missionnaires. La gravure de 1790 montre l’enfant debout sur les genoux de la Vierge.
L’abbé Randanne parle d’une autre statue située sous le rocher Peyrotine, vénérée en 1682 sous le nom de Notre-Dame des Neiges. La statue est une copie de celle d’Antoine Coysevox de l’église Saint-Nizier de Lyon. Cachée pendant la Révolution, elle reprit sa place en 1968.
Une autre Notre-Dame des Neiges se trouve tout près, à Vollore-Ville. Le culte de Notre-Dame des Neiges à Vollore est tardif, même si la légende de sa découverte possède des caractéristiques d’une Vierge noire : « en 1778, le cimetière fut transféré dans un champ voisin du village. Il fallut couper les arbres et dans le tronc d’un saule fut découverte une statue de la Vierge, debout, portant l’enfant. Elle fut portée dans l’église mais on la retrouva le lendemain près du saule coupé. Ceci arriva trois fois de suite. Pour finir, le 5 août, les villageois eurent la surprise de trouver le champ couvert de neige. La Vierge montrait qu’elle avait choisi sa place et ils durent construire une chapelle près du saule afin de la recevoir dignement. Dès lors les miracles se multiplièrent. Les malades souffrant des yeux et les enfants furent les plus privilégiés ». Cette histoire, inventée au XVIIIe siècle, ressemble bien trop aux miracles des Vierges noires pour être honnête.
Il me semble qu’il devait exister à l’Hermitage une statue primitive de la Vierge qui servit de modèle à celles qui lui ont succédé, ce qui est aussi la thèse soutenue par l'abbé Camin en 1912 dans La statue de Notre-Dame de l'Hermitage , étude historique et iconographique : « Nous pensons que l’Hermitage posséda dès le Xe ou le XIe siècle, sinon plus tôt, une statue miraculeuse par son origine, ou que la foule par sa piété rendit miraculeuse ; que cette statue fut remplacée, au XIIe siècle, par une autre qui était, au XVIIIe siècle, dans la grande église… » Serait-ce celle qui repose au Louvre ?
https://www.leroannais.com/patrimoine/sites-monuments/chateau-des-cornes-durfe/
https://www.notredame-hermitage-noiretable.fr/tourisme
http://roch-jaja.nursit.com/spip.php?rubrique65
http://forezhistoire.free.fr/images/hermitage-camin.pdf
http://www.lunetoile.com/2019/12/02/le-rocher-de-peyrotine-notre-dame-de-lhermitage-noiretable-42/
https://www.forez-info.com/encyclopedie/balade/135-balade-a-noiretable.html
https://www.notredame-hermitage-noiretable.fr/les-statuts-de-la-vierge
http://roch-jaja.nursit.com/spip.php?rubrique192
http://1jourphoto.canalblog.com/archives/2016/10/30/34498400.html