Voilà un bien étrange nom, que nous retrouvons souvent dans la toponymie française. Notre bon géant Gargantua, avatar du dieu Lug, ou bien fils de la déesse Belisama et du dieu Belenos, ou bien le Dagda irlandais, en tout cas l'un des 3 aspects du dieu soleil dans sa forme représentant le couchant (le soleil caché, dont le symbole est la grotte), est présent sur les lieux sacrés de nos ancêtres. De nombreuses légendes lui attribuent la paternité des monts, des rochers, des grottes, des mégalithes.
Le Mont Saint-Michel était un mont Gargan, le Monte Gargano en Italie lui était dédié, pour ne parler que des plus célèbres. Son aspect solaire en fait l'ancêtre de notre chef des armées célestes. En langue celte, pierre = GAR, géant, grand = GAN, celui, l’être, l’homme = TUA. Celui de la pierre géante est donc en langue celte, "Gargantua".
Notre grotte de Gargas est donc en rapport avec le soleil couchant, la pierre sacrée, la grotte initiatique. Sa légende locale (que l'on pourrait nommer "comment la religion chrétienne se débarrasse des anciens culte") rapporte d'ailleurs qu'elle était habitée par le géant Gargas, époux de la fée Tibirane, fille de Merlin l'enchanteur. Les ossements découverts dans la grotte étaient les restes des chrétiens qu'ils dévoraient tous les deux...
Le cosmographe François de Belleforest fit la première description de Gargas en 1575. Il le décrivait comme un lieu souterrain « où jadis nos pères idolâtres alloyent sacrifier ou à Vénus ou aux dieux infernaux ». Dès 1865, la grotte fut étudiée par le Docteur Garrigou, qui trouva bon nombre d'ossements d'animaux, et en 1874, il découvrit les vestiges d'une fréquentation humaine attribués à l'âge du Renne. Félix Régnault, libraire à Toulouse, reprend ces fouilles, et date la présence humaine au paléolithique, à l'âge de l'Ours. Le 11 juin 1906, il découvre trois mains rouges mutilées peintes en négatif sur la paroi.
Depuis, une datation au carbone 14 a été réalisée sur un ossement fiché dans une fissure d'une paroi ornée de mains négatives. Si elle ne donne pas directement l'âge des peintures, cette date proche de - 27 000 ans indique que la grotte était fréquentée au Gravettien ancien, période du paléolithique supérieur.
De cette époque datent la Dame de Brassempouy,
la Vénus de Willendorf,
la Vénus de Lespugue,
la Vénus de Savignano, de Kostienki, de Montpazier, etc...
Commençons la visite. Dans le massif du bois de Gouret, au flanc d'une colline, s'ouvrent deux galeries. L'entrée actuelle du réseau se trouve au niveau supérieur, que l'on atteint en gravissant un sentier taillé au milieu des buis.
La galerie supérieure descend dans une succession de grottes, dont la température constante est de 11°C, comportant de nombreuses concrétions calcaires. C'est dans cette partie que l'on trouve la plupart des signes, peintures et gravures d'animaux. Sur la paroi de droite, une tache rouge au dessus d'une niche.
30 mètres plus bas, un ensemble de points noirs (ou ponctuation), disposés en 5 lignes courbes, une autre tache rouge. Cela ressemble à des indications d'orientation, à un message.
Puis apparaissent le bouquetin, gros corps rectangulaire et petite tête, les chevaux, des bovidés et des cervidés. La partie la plus sacrée se trouve au fond de la grotte, où l'on trouve les bisons. "Cette silhouette peinte au manganèse, dont l'avant-train a disparu sous une coulée de calcite, regarde vers la gauche. La queue est relevée en arc de cercle. Les pattes postérieures réduites aux cuisses sont en position de marche. Sous le trait noir élargi qui marque l'échine et la bosse, ainsi que sous la queue, des traces de raclage montrent que la paroi a été préparée avant d'y réaliser la peinture. A l'emplacement de l'avant-train, une crinière hachurée gravée complète la figure."(http://grottesdegargas.free.fr/)
La galerie inférieure, plus large et moins haute, est reliée par un goulet. Malheureusement, cette disposition nous fait commencer la visite par la partie la plus sacrée, celle que l'on doit atteindre en dernier, après avoir été préparé physiquement, énergétiquement, et spirituellement.
Je vous donne la description dans le sens inverse de la visite, afin de retrouver le sens premier du sanctuaire.
la galerie est large et humide (elle est souvent inondée). Le plafond s'abaisse progressivement, comme pour nous faire arriver au saint des saints avec humilité.
Les mains et les signes apparaissent en premier, les gravures animalières se concentrent au fond. Les mains, réalisées par la technique du pochoir (le guide nous explique que l'on doit prendre un instrument style sarbacane pour souffler la peinture), sont en général regroupées par panneaux.
Leur taille montre que ces gens mesuraient jusqu'à 1m 90 pour les hommes, 1m 75 pour les femmes, et qu'ils étaient graciles. On en dénombre environ cent quatre-vingt douze sûres et vingt probables, les mains féminines étant majoritaires, ce qui a pour moi son importance, on le verra plus loin.
Du fait de l'absence de certaines phalanges, plusieurs théories explicatives ont vu le jour : maladies ou gelures, amputations rituelles volontaires. On voit mal, dans le contexte de l'époque où les doigts devaient être bien nécessaires à la survie, ces hommes s'amputer, même pour faire plaisir aux dieux. Et dans le cas de gelures ou de maladies, pourquoi les pouces ont-ils été toujours épargnés ? Reste l'explication des doigts repliés avant la projection de la peinture. Dans ce cas, leur signification peut être symbolique, un langage gestuel utilisé lors de la chasse ou pour la transmission de contes initiatiques par exemple. Mais...
"Jean Clottes a expliqué que l'important n'est peut être pas l'image de la main qui reste sur la paroi. Dans une interprétation faisant le lien entre l'art des cavernes et les pratiques chamaniques, il considère que c'est l'acte de couvrir, ensemble, la main et la paroi autour, d'une même substance rituellement préparée qui importait le plus. A cet instant, la main semblait traverser la paroi et « pénétrer dans le monde spirituel caché derrière le voile de la pierre »". Ce qui semblerait avoir été confirmé lors de la visite d'aborigènes, qui se sont d'abord déchaussés, et qui ont reconnu les peintures comme étant les mêmes que chez eux : liées aux pouvoirs chamaniques, elles sont un passage vers d'autres mondes, cachés dans les parois. Là, ça me parle.
L'atmosphère devient de plus en plus spéciale. Une sorte de niche profonde et évasée se trouve sur la droite. Totalement badigeonnée à l'ocre rouge, elle est appelée "le grand tabernacle". Ce beau vagin, mis en valeur, me fait penser à celui de la grotte des sorcières à Saverne. Même ambiance, même fonction du lieu, même époque.
Je me retrouve presque en transe, et je vois les prêtresses faisant passer les rites initiatiques... L'éternel féminin est représenté souvent. Les fentes naturelles suggestives sont peintes, des signes à motifs ovalaires barrés d'un trait vertical, ou en forme de cloche sont gravés. La grotte joue son rôle symbolique, pas étonnant que l'on retrouve une concentration de vierges noires dans le pays.
Puis vient le bestiaire gravé. "Le cheval est l'espèce la plus représentée (29 %). Puis viennent le bison (24%), les bovidés (aurochs) (12%), les bouquetin (10%) et les cervidés (6%). La présence dans ce bestiaire de six mammouths et de deux oiseaux est à remarquer. D'autres espèces comme le sanglier, l'ours, le félin, le rhinocéros et le mégacéros ne sont représentées qu'une fois. Les animaux dessinés sont significatifs de la faune que pouvaient observer les chasseurs du paléolithique. Pour autant, il n'existe pas de lien avéré entre la chasse et l'art pariétal.
A Gargas les animaux représentés ne sont pas ceux dont on a retrouvé les ossements lors des fouilles. Ainsi, le renne est absent des parois alors qu'il compte pour 38% de la faune chassée par les hommes du Gravettien.
La plupart de ces gravures sont réalisées les unes sur les autres. On ne s'explique pas cet enchevêtrement pourtant caractéristique de l'art pariétal paléolithique. Il ne semble pas dicté par des contraintes techniques, ni être le résultat d'une succession de figures. Au contraire la superposition apparaît comme une démarche volontaire. "
Jean Clottes est près de la vérité, si tant est qu'il y en ait une, quand il dit que "la grotte a pu être un lieu d'intercession entre le monde des vivants et celui des esprits, l'image représentée étant à la fois le médium nécessaire pour entrer en contact avec une autre dimension et/ou la conséquence de la transe."
Les photos de l'intérieur de la grotte sont tirées du site http://grottesdegargas.free.fr/, ainsi que les passages entre guillemets, et du livre "la grotte de Gargas, un siècle de découverte", de Pascal Foucher, Christina San Juan-Foucher et Yoann Rumeau, que je recommande vivement.
http://grottesdegargas.free.fr/
http://fmaquaire.free.fr/Incontournables/Gargas1.html
http://www.nationmaster.com/encyclopedia/Finger-flutings
http://fr.wikipedia.org/wiki/Grottes_de_Gargas