Les grottes de Jonas
Historique
Ces grottes furent creusées par l’homme dans une falaise haute de 100 mètres et longue de 500, formée à la suite d’éruptions volcaniques.
Le volcan fissural de Jonas (la lave sort suivant une ligne de faille horizontale) en forma la plus grande partie et le volcan voisin, le Pic Saint-Pierre, ajouta des projections de matière pyroclastique qui se mélangèrent à la lave. Il en résulta une roche rougeâtre appelée tuf, assez tendre pour être creusée.
Les premiers hommes connus qui creusèrent la paroi furent les Celtes. Ils construisirent au IVe siècle avant notre ère un premier sanctuaire dont l’autel fut retrouvé.
Près de là, dans la vallée, à Lomprat, un monticule de pierres creusé de niches et surmonté de pierres taillées rudimentaires, ancien ensemble païen christianisé en calvaire, date aussi de cette époque.
Une statue gallo-romaine atteste de la reprise de l’endroit puis, christianisme oblige, des moines cénobites s’installèrent et en firent un oratoire. Le monastère primitif date du VIIIe ou du IXe siècle.
Le site, comptant plus de 70 grottes, devint refuge lors des invasions barbares (entre 856 et 916 les scandinaves arrivent en Limagne).
Au Xe siècle, une chapelle, dédiée à saint Laurent, fut creusée au-dessus du premier sanctuaire. Au début du XIIe siècle, le chevalier à qui appartenait les terres, Anet Dalmas de Jaunac, fit construire un manoir, c’est-à-dire une place forte capable de résister aux envahisseurs.
Il pouvait ainsi contrôler la vallée. Un de ses descendants, Armand de Jaunac, quittant le château de son suzerain, vint s’y installer. Le site devint laïc. En 1223, il fit don de la chapelle Saint-Laurent à l’abbaye de Chantoin de Clermont avant de partir pour les croisades comme chevalier hospitalier.
La seigneurie de Jonas, sous protection de l’abbaye, passa aux mains des riches seigneurs de La Tour d’Auvergne qui réaménagèrent le site. En 1316, il est désigné comme « castrum repayrium », c’est-à-dire maison forte. C’est à cette époque que Jonas connut son apogée, plus de 600 personnes vivaient dans les grottes. Elles servirent encore une fois de refuge lors de la Guerre de 100 ans. Puis les propriétaires, las de l’inconfort, partirent vivre ailleurs et Jonas fut progressivement abandonné.
L’abbaye de Chantoin conserva la chapelle jusqu’en 1633, date à laquelle elle passa aux mains des Carmes déchaux. La place forte de Jonas passa en 1683 à la famille de Montal-Nozières. Jacques de Montal-Nozières devint baron de Coteuges et Jonas. Un tremblement de terre en 1706 fit des dégâts considérables. La chapelle fut restaurée en 1718 et fut utilisée jusqu'en 1789. La commune en fit l’acquisition pendant la Révolution. Les grottes de Jonas ont été classées au titre des Monuments Historiques en 1886. Une dernière restauration se fit en 1958.
La légende parle de chevaliers templiers qui, fuyant les persécutions du roi de France Philippe le Bel, virent se réfugier à Jonas en 1309. Il se pourrait qu’il y ait eu confusion : il existait une maison forte, le mas Chantoin, dépendant de la commanderie Saint-Barthélemy du Puy-en-Velay. Les deux « Chantoin » furent peut-être confondus. Ce qui est vrai, c’est que lors de l’arrestation des Templiers en 1307, sur les 65 captifs de la sénéchaussée de Beaucaire dont dépendait le Velay, on comptait cinq frères servants de la commanderie du Puy, mais pas un seul chevalier. « L’eschapatoire » de ces frères leur aura peut-être permis de venir jusqu’à Jonas, emportant avec eux le trésor du Puy convoité par la royauté…qui ne fut jamais retrouvé.
L’oratoire
C’est la partie la plus ancienne de Jonas, le premier sanctuaire celtique qui fut repris par les gallo-romains puis les premiers moines cénobites. La grotte n’a pas été creusée n’importe où, on sent bien une différence d’énergie avec le reste du site.
Le pilier central fut mis en place lors de la restauration de 1958.
Lors du tremblement de terre de 1706, une partie de la chapelle Saint-Laurent s’effondra et tomba dans l’oratoire. On peut encore voir un autel et une partie de la voûte avec le chapiteau d’une colonne d’angle. L’enduit de l’autel ne se retrouve que sur sa partie supérieure, ce qui montre qu’il était enchâssé dans une estrade.
La chapelle Saint-Laurent des Roches
La chapelle est dédiée à saint Laurent, fêté le 10 août. Né au début du IIIe siècle à Huesca en Espagne, il rencontra le pape Sixte II à Saragosse où il étudiait et fut pris à son service. Ses qualités lui permirent de devenir archidiacre de l’église de Rome. En tant que tel, il avait la garde du trésor de l’église. Il fut martyrisé en 258 à Rome lors des persécutions de l’empereur Valérien.
La légende dit qu’il put envoyer, juste avant sa mort, le Saint Calice utilisé par le Christ lors de la Cène à ses parents à Huesca (la coupe finit dans la cathédrale de Valence).
D’après ses hagiographes, le préfet de Rome voulut récupérer le trésor de l’église pour les dépenses publiques (tient, ça me rappelle un truc…), mais Laurent avait eu le temps de tout vendre et de donner l’argent aux pauvres. Dépité, le préfet ordonna qu’il fût fouetté puis attaché sur un grill et rôti vif. Il est dit que Laurent, qui possédait un vrai sens de l’humour, aurait prononcé ces mots lors de son martyr : « voici, ce côté est maintenant bien rôti. Retourne-moi pour que l’autre cuise aussi ! » Il est devenu le saint patron des rôtisseurs, des cuisiniers, des pompiers et des pauvres. On est proche de l’histoire des Templiers du Velay… Bis repetita placent.
Revenons à notre chapelle. Au IXe siècle, les moines, désireux d’agrandir le sanctuaire, creusèrent juste au-dessus de l’oratoire, mais ne purent terminer correctement le volume rectangulaire voulu au départ : le mur ouest part en diagonale. Ils posèrent par contre bien à sa place l’autel à l’est, au soleil levant, du côté de la façade de la falaise. La chapelle est donc de plan irrégulier.
Juste en face de l’entrée, une ouverture au plafond indique l’emplacement du clocher. Les deux petits trous servaient à faire passer les cordes des cloches.
La partie nord fut creusée probablement pour servir de sacristie. Au sud, deux petites chambres rectangulaires dont l’une sert d’emplacement à l’autel depuis 1718.
Côté est, sept piliers délimitent les six arcades en plein cintre d’un bas-côté très étroit. De petits culs-de-four étaient primitivement creusés le long de la paroi. Le quatrième en partant du nord, qui n'a pas de fenêtre et dont l'arc est abaissé, abritait l’autel principal.
La sixième et dernière travée, effondrée en 1706, était la seule voûtée d’arêtes. Le deuxième autel, retrouvé dans l’oratoire, y était installé.
Cet autel était probablement dédié à la Vierge Marie. Le chanoine Bernard Craplet, archiprêtre de la cathédrale de Clermont, parle, dans son livre « l’Auvergne romane » publié en 1955, d’une statue de vierge romane en majesté posée dans une petite niche dans la chapelle de Jonas. Il en est aussi fait mention dans des écrits du XVIIe siècle. La commanderie Saint-Barthélemy du Puy-en-Velay possédait une copie de Notre-Dame du Puy… qui ne fut pas retrouvée. Le couvent de la Providence de Clermont, construit en 1897 pour accueillir l’orphelinat jusqu’alors installé dans la maison des Carmes déchaux, possédait une statue de la Vierge, Notre-Dame de Gloire, provenant de l’ancienne abbaye de Chantoin où elle était appelée Notre-Dame des Lumières. Dans tous les cas, tout est là pour accueillir une Vierge noire : la crypte, la chapelle troglodyte, l’ancien culte celte, les énergies de l’ancien volcan… Dommage que Laurent ne se soit pas appelé Michel.
La chapelle Saint-Laurent fut transformée lors de la restauration de 1718. Les autels changèrent de place : l’un fut posé côté sud, l’autre côté ouest. Les piliers, qui n’étaient que décoratifs, furent enlevés. La porte d’entrée fut refaite, la façade fut consolidée par de la maçonnerie, l’angle manquant fut muré. Elle fut utilisée jusqu’à la Révolution. Lors de la restauration de 1958, la maçonnerie de l’angle sud fut à son tour défaite, un contrefort fut posé contre la façade et les piliers furent reconstruits.
Les fresques
Les fresques de Jonas, classées monument historique en 1886, sont les plus anciennes connues en Auvergne. Couvrant la voûte du bas-côté, les culs-de-four et les écoinçons des arcades, elles font l’objet d’un nettoyage régulièrement, le dernier fut fait en 2002. Elles représentent les épisodes de la fin de vie du Christ. Les plus anciennes furent datées du IXe siècle, les plus récentes du XIe.
« Le mot fresque est une contraction du mot italien « dipingere a fresco », peindre à frais. Cette technique consiste à peindre directement sur un enduit frais (sable et chaux) tout juste posé sur un mur. Le peintre utilise simplement des pigments de couleurs (substances colorées réduites en poudre) délayés dans de l’eau.
Les couleurs vont être fixées pour toujours sous l’épiderme protecteur (composé de sels de chaux) qui se crée naturellement à la surface d’un tel enduit lors de son séchage par une réaction chimique avec le gaz carbonique de l’air. Cette réaction chimique ne prend qu’une journée. Pour décorer un mur le peintre doit procéder par fragments : chaque matin il fait poser l’enduit de finition que sur la surface qu’il peut peindre dans la journée. »
L’artiste n’a utilisé que quelques pigments : un ocre rouge, un ocre jaune, un oxyde rouge, du noir (obtenu avec des matières calcinées) et du blanc (de la chaux). Il a fait son dessin à l’ocre rouge, peint son sujet et redessiné les contours en brun sombre.
Nous retrouvons ici, le reniement de Pierre (avec la présence du coq), Jésus devant Pilate, le couronnement d’épines, la descente de la croix avec un personnage qui recueille le sang du Christ dans une coupe, le Saint Sépulcre, la découverte par Marie-Madeleine du tombeau vide en présence de l’archange Gabriel et l'apparition du Christ à Marie-Madeleine.
Au-dessus de la porte d’entrée, la seule peinture qui demeure dans un cul-de-four est une représentation d’une Vierge en majesté aux mains longues et aux doigts effilés, assise sur une cathèdre, tenant l’enfant dans son giron. Marc Thibout, historien de l’Art, la qualifie de hiératique et figée. Elle est habillée de vert et de rouge à la mode auvergnate. Les attributs des Vierges noires sont là. Les visages ont malheureusement été grattés.
Sur quatre des écoinçons des arcades sont peints cinq personnages en pied, barbus, portant un livre. Ils pourraient être des prophètes montrant les cinq premiers livres de la Bible, le Pentateuque : Genèse, Exode, Lévitique, Nombres et Deutéronome.
La maison forte ou manoir
Elle fut aménagée au début du XIIe siècle par le chevalier Anet Dalmas de Jaunac, qui la fit construire en fortifiant les grottes afin de contrôler la vallée riche et convoitée, de surveiller l’entrée du village et ainsi de protéger les moines et ses gens en cas d’attaque. Au XIIIe siècle, Armand de Jaunac vint s’y installer avec sa famille et aménagea les lieux.
Au départ, le manoir comportait une seule partie, des pièces creusées dans la falaise et reliées par un escalier à vis. Plus tard, une deuxième partie fut construite, creusée et maçonnée.
De l’extérieur, on voyait contre la paroi une tour carrée munie de deux échauguettes (petite loge construite en encorbellement, munie de mâchicoulis et de meurtrières, destinée à abriter un guetteur) qui pouvait ressembler à un donjon. Elle est aujourd’hui détruite.
Dans la partie creusée, au niveau de l’entrée, une grande salle sans fenêtre servait de cuisine et de logis pour les domestiques. Au-dessus, la pièce où le seigneur recevait. Elle possédait une cheminée.
Venait un couloir creusé plus tard qui reliait la partie ancienne à la tour. Au fond, les latrines.
A l’étage du dessus, la pièce à vivre du premier logis possédait une cheminée. Après la construction de la tour, la cheminée fut détruite pour creuser un poste de défense. Sans feu, la pièce ne servit qu’en tant que chambre à coucher. Les fenêtres étaient fermées par des volets en bois.
Le grenier, voûté, était agrémenté d’une cave à laquelle on accédait par une trappe ouverte au sol.
La bretèche, la plus haute salle du premier logis seigneurial, servait à la défense de la porte du manoir située juste en-dessous. Elle fut transformée en colombier et des trous pour les nids, appelés boulins, furent creusés dans la paroi. L’élevage des pigeons apportait au village les œufs et la viande, les fientes étaient utilisées comme engrais dans les cultures.
Le four à pain
Situé hors du manoir, le four à pain faisait partie de ce qu’on appelait les banalités : des installations telles que le four, le moulin, le pressoir, étaient entretenues par le seigneur. En contrepartie, les usagers avaient l’obligation de s’en servir (pas le droit d’aller ailleurs) et devaient payer pour ça. C’est ce que l’on appelle des services publics.
Le four banal était mis en marche deux fois par semaine et restait allumé toute la journée. Une tourte de pain de seigle pouvait durer, pour une famille, une dizaine de jours.
Le mouroir
A la sortie du village, en haut d’un escalier assez raide, se tenait le mouroir. C’est là qu’étaient logés les malades. Les murs étaient recouverts de chaux, dont les propriétés antiseptiques sont connues : elle désinfecte et assainit l’atmosphère. De plus, la chaux laisse respirer les maçonneries et ainsi réduit l’humidité et évite la condensation de l’eau.
http://www.randoalsacevosges.com/2015/02/les-grottes-de-jonas.html
https://fr.wikipedia.org/wiki/Grottes_de_Jonas
https://www.petit-patrimoine.com/fiche-petit-patrimoine.php?id_pp=63383_2
https://mapio.net/pic/p-77001412/
« Les grottes de Jonas et les peintures murales de leur chapelle » article de Marc Thibout, historien de l’Art, dans « Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres », 1945.