Mis à part les fondations dégagées en 1950, le narthex et les piliers de la première travée, quelques chapiteaux et colonnes conservées dans la salle capitulaire, il ne reste plus rien de la prieurale Saint-Fortunat. Et vu ce qu’il nous en est parvenu, elle devait être d’une grande beauté, tant par son architecture que par la symbolique de ses sculptures.
Le narthex
Ce terme est en fait passé dans le langage courant en se dénaturant. Il vaudrait mieux parler de galilée.
Un narthex, en architecture religieuse, avait une fonction bien précise : c’était un portique intérieur précédant la nef, ouvert sur celle-ci mais fermé sur le dehors, accueillant ceux qui n’avaient pas le droit d’entrer dans le sanctuaire, les catéchumènes et les pénitents.
Cette fonction liturgique disparut avec le temps et le narthex devint une simple avant-nef. A Charlieu, le narthex, comportant une salle haute destiné aux hôtes, fut ajouté à la nef dans le deuxième quart du XIIe siècle.
Le rez-de-chaussée du narthex, voûté en cintre brisé, contient deux sarcophages. L’un d’eux, gallo-romain, date du IIe siècle et porte cette inscription : "Au repos éternel de Maria Severolia... son mari et son fils ont fait élever ce tombeau et l'on dédié sous l'ascia (hache)".
Le deuxième est de facture plus récente.
Le grand portail
Fait rarissime, il s’ouvre côté nord, peut-être par manque de place à l’époque de la construction du narthex, au premier tiers du XIIe siècle, ou pour une fonction qui nous échappe. Sculpté avec élégance, finesse et précision, il est l’œuvre du « maitre de Charlieu », ou de son école, qui fit probablement le portail de Saint-Julien-de-Jonzy et influença les artistes travaillant à Semur-en-Brionnais.
Le tympan, surmonté de l’agneau Pascal, représente dans une mandorle le Christ en majesté, les pieds sur la Jérusalem céleste, entouré de deux anges et des symboles des évangélistes. Le linteau est sculpté de la Vierge entourée de deux anges au centre, et des 12 apôtres.
A gauche le roi David et le bienfaiteur, le roi Boson, et à droite Saint-Jean-Baptiste et le fondateur, l’évêque de Valence Ratbert. De chaque coté de l’archivolte, deux musiciens nous indiquent que la musique va jouer un grand rôle dans la construction et la symbolique du bâtiment.
Le petit portail
Situé à droite du grand, il représente au linteau un sacrifice d’animaux au temple, et sur le tympan, le premier miracle, les noces de Cana.
L’archivolte présente saint Pierre, Elie, Moïse, le Christ, saint Jean et saint Jacques. Les différentes églises (ésotériques et exotériques) et différentes voies d’initiation sont représentées.
L’ancien portail de la façade
Datant des environs de l’an 1100, protégé à présent par le narthex, c’est l’un des plus anciens de la région.
Le linteau est orné des 12 apôtres assis sous des arcs en plein cintre.
Très sobre, le tympan représente un Christ en majesté dans une mandorle portée par deux anges.
Un escalier à vis monte à l’étage.
Aussi voûtée en cintre brisé, la salle haute s’ouvre côté est par une baie en plein cintre.
De chaque côté des chapiteaux intéressants, comme cette sirène telle qu’elle était représentée dans la mythologie grecque avant le IIIe siècle avant notre ère : une tête de femme sur un corps d’oiseau.
Ces sirènes-oiseaux, Platon, dans « La République », nous dit qu’elles produisaient la musique des sphères célestes ou Harmonie. Elles symbolisaient donc la Musique et inventèrent l’harmonie ou chant choral qui est instinctif chez certains peuples. Elles ne sont pas là pour détourner les hommes de leur route, mais pour les inciter à reproduire dans leur vie l'harmonie dont elles donnent l'exemple.
Dans les nécropoles funéraires de Grèce, on retrouve des figurines de sirènes-oiseaux en argile déposées pour accompagner le défunt dans son Grand Passage. Ces sirènes funèbres sont des Stryges, des Sphinges qui figurent l’esprit des morts qui, bienheureux, s'élève droit au ciel vers les étoiles. Les Égyptiens eux aussi représentaient l'âme des morts comme un oiseau à tête humaine.
De l’autre côté de la baie, un homme/animal sortant du feuillage, ses oreilles bien dressées pour entendre la musique, regarde le soleil se coucher au solstice d’été. La sirène, lunaire, regarde au solstice d’hiver. Il semblerait que, comme à Mailhat, cet homme/animal se débarrasse de sa matière fécale, lourde, de ses pulsions animales qui maintiennent dans la matière et empêchent de monter vers le cosmique.
Une tête d’animal nous montre les dents… Attention, dent j’ai ? Pourtant, ce n’est pas un chat, situé la plupart du temps sur des endroits aux énergies puissantes. De quel danger nous parle-t-il ? Les yeux et les oreilles ont bien ouverts. Peut-être est-ce pour nous prévenir de bien entendre la musique des sirènes.
Le chapiteau suivant nous montre la lune, yeux fermés par des mains, bouche ouverte, comme si elle chantait. Encore la musique. Sur sa tête, les cornes symbolisent la vache, à l’instar d’Hator, symbole lunaire de la Terre-Mère, la grande nourrice, modèle par excellence du principe féminin, souveraine des quatre coins du ciel et maîtresse des points cardinaux. C’est le monde des apparences, de la transformation intérieure. Puis le soleil, yeux ouverts mais bouche fermée. Les rayons en forme de pétale de fleur sont rabattus sur son front. C’est le monde de la réalité, de la lumière révélée, de l’évolution.
Au revers de la façade occidentale, on retrouve la baie en plein cintre de l’étage du narthex. De ce côté, nous retrouvons une sirène, mais à queue de poisson bifide cette fois. Elle indique la présence de deux courants d’eau souterrains, à moins que par sa ceinture solaire et sa place en haut de l’édifice elle ne nous montre l’eau du ciel.
En face d’elle, le signe du Capricorne, mi chèvre mi poisson.
Côté nord de la baie, nous avons un acrobate particulier, le même que celui de Briennon avec quelques différences.
Ses pieds, nus, semblent de détacher du sol, de la matière. Ses mains ne séparent pas sa barbe (symbole de sagesse) en deux morceaux, mais au contraire les rassemble. Ses oreilles sont bien ouvertes, il entend la musique harmonieuse de la sirène.
La première travée
C’est la seule qui nous reste, avec les collatéraux voûtés d’arêtes.
Elle est encore ornée de quelques chapiteaux intéressants, comme au sud ces coquilles Saint-Jacques montrant le passage des pèlerins de Compostelle, surmontées du symbole de l’eau.
En face, deux centaures affrontés se tiennent par la barbichette. Le premier des deux sages qui rira, aura...
Au nord, un chapiteau reprend le thème de l’homme sortant des feuillages. Dans un premier temps, deux lions, symbole de la force brutale, mais aussi maitre de la puissance solaire, posent leurs pattes sur la tête d’un homme qui sort des feuillages. Au-dessus, proche du ciel, la fleur solaire.
Dans un deuxième temps, l’homme, nu, est totalement sorti des feuilles. De sa main droite, il supporte sa tête, la main en direction du ciel. Les lions lui lèchent les épaules et la fleur solaire s’épanouit. Du tellurique, il va passer au cosmique.