Les-Saintes-Maries-de-la-Mer, historique
Voici l'historique de ce lieu envoûtant, où l'on retrouve tout ce qui fait un lieu magique : une grotte, un puits à l'eau guérisseuse, un ancien temple païen, un culte au Matres, une église romane puis une vierge noire. Les Saintes-Maries-de-la-Mer devait être un lieu d'habitation très ancien, la première mention du village date du IVème siècle. Elle nous vient du poète et géographe Festus Avienus qui, signalant plusieurs peuplades dans la région, cite oppidum priscum Ra, que le grand historien des Gaules Camille Jullian place à l'endroit des actuelles Saintes-Maries-de-la-Mer. "Oppidum" signifiant forteresse et "priscum" ancienne, ce serait donc "l'ancienne forteresse Ra". Aviennus y voyait le nom égyptien d'une île consacré à Râ, le dieu du Soleil et père de tous les dieux. Mais, à l'ère des grandes influences chrétiennes, Râ se transforma en Ratis, mot qui signifie bateau, radeau ou îlot.
En 42, selon la tradition, c'est l'arrivée des saintes avec d'autres disciples en Provence. Il est dit aussi qu'un temple païen existait déjà en ce lieu. (voir le culte des Matres plus loin)
En 513, l'évêque d'Arles évangélise les campagnes encore fortement imprégnées de cultes païens ou romains en transformant si nécessaire d'anciens lieux cultuels en édifices chrétiens. Il crée ainsi un monastère ou une église aux Saintes, ce qui confirme la présence probable d'un temple païen (voir la porte des lions et l'autel). Il est transmis que saint Césaire d'Arles ait légué par testament à sa mort en 542, Sancta Maria de Ratis à son monastère. Le village devint donc Saintes-Maries-de-la-Barque (ou Saintes-Maries-de-Ratis), aussi nommé parfois Notre-Dame de la Barque (ou Notre-Dame-de-Ratis).
Pendant l'hiver 859-860, resté comme le plus rude du IXème siècle, les Vikings hivernent en Camargue et selon toute vraisemblance, aux Saintes, avant d'entreprendre leur razzia dans la basse vallée du Rhône jusqu'à Valence.
En septembre 869, les Sarrasins dévastent la contrée lors d'un raid. Le tracé du sanctuaire de l'époque, après la reconstruction, pourrait correspondre à celui de l'abside et du choeur. En 1080, l'archevêque d'Arles donne Sainte-Marie-de-Ratis aux moines de Montmajour qui assureront les charges pastorales du sanctuaire jusqu'en 1786.
C'est environ au XIIème siècle que ce nom se transformera en "Notre-Dame-de-la-Mer". La reconstruction de l'église continue, la nef de l'ancien sanctuaire devient le choeur des moines. Les colonnades et les chapiteaux sont sculptés.
En 1244, le bourg est entouré de remparts, qui seront relevés en 1386 et 1410. L'église-forteresse est intégrée dans le système de défense.
En 1315, la confrérie des Saintes-Maries est fondée. Le pélerinage de Compostelle prend de l'ampleur, Les Saintes se trouve sur le trajet.
En 1349, on creuse la crypte.En 1448, sous l'impulsion du roi René, "invention" des reliques des saintes Maries Jacobé et Salomé (voir épisode du roi René plus loin). Les comptes rendus de l'époque signalent une église primitive à l'intérieur de la nef actuelle. Pour certains, ce bâtiment pourrait correspondre à une chapelle mérovingienne du VIème siècle. En 1449, le roi René fait agrandir la crypte.
En 1521, première mention de Sara dans la légende des saintes Maries. A la révolution, le culte est suspendu entre 1794 et 1797. Les créneaux de l'église sont démolis et leurs pierres vendues. Ils seront rénovés en 1873.
En 1838, le village prend le nom des "Saintes-Maries-de-la-Mer" et peu après est mentionné pour la première fois le pélerinage des gitans : au mois de mai, ils viennent de toute l'Europe honorer ici leur sainte patronne, Sara, la vierge noire.
Au début du mois de juin 1888, Vincent Van Gogh qui vient d'arriver en Provence, fait un court séjour de cinq jours aux Saintes. Il y peint notamment les barques sur la plage et le village vu des dunes cotières.
En 1899, Folco de Baroncelli-Javon, dit le Marquis de Baroncelli, s'installe aux Saintes. En juillet 1909, il crée la Nacion Gardiano, qui a pour objectif de défendre et maintenir les traditions camarguaises. La procession à la mer en l'honneur de Sara est instituée.
En 1948, Mgr Roncalli, nonce apostolique en France et futur pape Jean XXIII, célèbre aux Saintes le cinq centième anniversaire de l'invention des reliques.
La légende des trois Maries
Sous le vocable des Saintes Maries la tradition catholique désigne trois femmes : Marie-Madeleine, Marie-Salomé et Marie-Jacobé. Il se peut que ce culte soit la transposition d'un culte plus ancien dédié aux matres : aussi appelées matrae ou encore matrones, les matres étaient des déesses mères protectrices, symboles de la fécondité. Elles étaient représentées par groupe de trois. Elles tenaient sur leurs genoux des fruits dans une corbeille ou une corne d'abondance, ou bien elles versaient sur la terre le contenu d'une patère ou coupe. Parfois, l'une d'entre elles portait dans son giron un nourrisson qu'elle allaitait.
Les trois Matres peuvent être devenues les trois Maries : le culte des Saintes Maries succéda à celui d'une triade de déesses mères si ancré dans l'inconscient collectif que la marialisation du lieu n'a pas suffi. Il fallait trois Maries et pas une de moins. Le culte était si tenace que quand la légende a fait partir Marie-Madeleine pour la Sainte-Baume, on dut rajouter un nouveau personnage, Sara. La patronne des Gitans ne se nomme pourtant pas Marie. Salomé non plus ne se nommait pas Marie : les prénoms composés n'existaient pas chez les juifs du 1er siècle. On lui a accolé le nom de Marie pour respecter la triade. Ainsi elle prit le nom de Marie-Salomé. On retrouve dans le culte des trois Maries les trois matres, dans les coupes, les vases d'aromates. Mais on peut aussi y voir la réminiscence d'Isis et de la barque solaire, la barque de Râ, que l'on retrouve dans le nom même de l'ancien village.
A Mignière, près de Chartres, il existe un lieu de pèlerinage dédié aux trois Maries. À Lugdunum, le culte de Sucellus, dieu au maillet, symbole de fertilité et celui des Trois Matres, déesses mères, symboles de fécondité sont souvent représentés et associés.
Sara
La légende des Saintes Maries venues de Palestine à bord d'un navire sans voile ni rame, qui vint miraculeusement aborder dans le delta du Rhône est bien connue. Cette légende diffère sur la présence à bord de Sara. Ou bien elle était leur servante depuis Jérusalem, (originaire d'Egypte) ou bien elle les accueillit à leur arrivée. C'est la version gitane : "Sara campait avec sa tribu, dont elle était la reine, en pleine forêt de pins parasols, à l'endroit où s'élève aujourd'hui Aigues-Mortes. Avertie miraculeusement elle courut vers la mer et, s'étant dévêtue, elle étendit sur les vagues sa robe qui la porta vers les saintes. Baptisée de leurs mains, elle les conduisit au temple païen où affluaient les grands pèlerinages de sa race." Quoi qu'il en soit, les nouveaux chrétiens batirent sur place, surement à l'emplacement de l'ancien temple, un premier oratoire afin d'y célébrer leurs mystères.
Mais la première mention du nom de Sara n'apparait dans la légende qu'en 1521. Pourtant, le culte de Sara ressemble à un culte à la vierge noire. La crypte, le puits, la statue noire, les miracles, la dévotion des fidèles, l'atmosphère envoûtante qui se dégage autour de la statue en plâtre, tout concorde.
Je me suis retrouvée en face d'elle en plein mois d'Août, entourée de centaines de personnes. La crypte, où brûle en permanence de nombreuses bougies, est surchauffée. Les gens passent devant elle sans la voir, et ressortent rapidement à cause de la chaleur. Je me suis approchée d'elle, me suis agenouillée. Bizarrement, les gens se sont éloignés. J'ai fermé les yeux, et j'ai senti sa présence. Une puissante énergie se dégage d'elle. Je ressens encore cette énergie, ne serait-ce qu'en pensant à cet instant. D'ailleurs, en ce moment même...
C'est dans le livre de Pierre Derlon, "traditions occultes des gitans", que j'ai trouvé l'explication qui m'a paru la plus proche de la vérité quand aux sensations que j'ai éprouvées devant Sara.
"La dévotion des gitans s'adresse à Sara la noire, Sara la Kali. La crypte fut interdite aux gadjés c'est à dire ceux qui ne sont pas gitans, jusqu'en 1912. En 1935, les gadjés ont sorti Sara de l'ombre pour en faire une attraction : intégrée à la cérémonie chrétienne, elle fait recette."
Sara ne se donne pas au premier venu. " Ce ne fut qu'une fois dans la crypte que je compris. Sara ne porte le sourire qu'à ceux qui savent la retrouver dans l'ombre de sa crypte, aux heures propices. N'étant guère convaincu de la vertu surhumaine d'une simple statue, j'essayais de comprendre d'où venait son incontestable envoûtement. Les sages m'avaient appris que les objets morts ne pouvaient vivre que dans la mesure où l'homme leur donnait la vie. En terme de magnétiseurs ou de sorciers, la statue de Sara la Kali est "chargée". En elle se condense les énergies subtiles de plusieurs générations de nomades. Ceux qui ont préservé une certaine forme de sensibilité pourront donc les provoquer puis les capter. Ils en retireront un sentiment de joie, de bien-être et de confort, en plus de réels avantages physiques. Pierre le Petit, kakou en Arles, disait : "Ce n'est pas le retour sur toi que tu vas trouver aux Saintes, c'est le ventre de ta mère, le sourire de ta mère, sa bouche, ses mains, ses reins. Marche pieds nus, deux cierges à la main, va sans que tes yeux ne cessent de regarder les siens. Et quand ta bouche sera près de la sienne, tu la verras sourire et prononcer ton nom."
En 1935, quand le clergé sortit la statue de Sara de sa crypte et l'emmena en procession, certains maitres du feu se firent l'épreuve dite du "feu au poignard" en signe de deuil. "Le soleil a brûlé les yeux de Sara", dirent-ils, "et il est des forces qui meurent si de l'ombre on les sort à la lumière..."
La patronne des gitans, à l'encontre des autres saints, n'existe en double dans aucune autre église du monde.
D'après Pierre Derlon, une transposition se fait des Saintes à Aigues-Mortes au niveau des kakous, les sages des tribus...
Le roi René
En 1448, une bulle papale autorise le roi rené d'Anjou, comte de Provence, d'entreprendre des fouilles. Il découvre en décembre 1448 plusieurs têtes disposées en croix et les corps de deux squelettes enfouis dans la terre, dont l'un aurait les bras croisés. Pour les chercheurs ce ne pouvaient être que les corps des saintes femmes. Personne ne s'est posé de questions, à savoir si ce n'était que la trace d'un foyer très ancien qui se serait touvé à l'emplacement de l'église ... Au temps du roi René, nul doute ne vint à l'esprit des chrétiens. Selon les consignations de l'évèque, un miracle vint confirmer les certitudes de tous : un parfum suave se répandit, qu'exhalaient ces restes humains.
Il consigna aussi la découverte, presque sous l'autel majeur d'un pilier et d'une dalle de marbre (que l'on appellera plus tard "l'oreiller des Saintes", actuellement enchâssée dans une colonne de l'église), qui furent considérés comme les restes d'un autel portatif. Cet autel gallo-romain est placé aujourd'hui dans la nef. Fait important, ces reliques sont mises à jour sous le maître autel de la première église, ce qui confirmerait l'idée que ces ossements sont bien ceux des saintes femmes, l'usage voulant, dans l'église primitive, que la messe soit célébrée au dessus des reliques.
En accordant une sainte origine et un pouvoir miraculeux à ces ossements, les ecclésiastiques les désignaient comme des reliques que l'on peut adorer. Un culte nouveau venait de naître.
Lors d'une importante cérémonie en présence du Roi René, de la Reine Isabelle, d'un grand nombre d'évêques et de grands seigneurs de Provence, les reliques sont ammenées devant le maître autel. Le légat les lava avec du vin blanc, puis les déposa dans une châsse en bois de cyprès avec un peu de terre prélevée sur les lieux des fouilles. Le tout fut recouvert d'une etoffe de soie brodée d'or. La chapelle haute, dite de Saint-Michel, fut aménagée pour recevoir les châsses.
Le roi René ordonna par la suite d'aménager l'église qui accueillait le culte nouveau. Ceci fut malheureusement fait sans ménagement pour certaines pièces perdues à jamais : ainsi la chapelle intérieure "assez étendue, close par devant par une grille de fer, et sur les deux côtés et par derrière, par un mur de pierres de taille" située au centre de la nef, fut carrément détruite ! Sans doute pour permettre d'agrandir la nef à l'intérieur et de recevoir plus de pélerins. Cette chapelle primitive était pourtant considérée comme le premier logis des deux Saintes !
Puis la petite chapelle souterraine, boulversée par les fouilles, fut étendue. Le sol fut excavé sous le choeur et l'abside et une nouvelle crypte bâtie. Pour en permettre l'accès, on établit un large escalier central. Seulement voilà, la crypte nécessita le réhaussement du niveau du choeur ...
Ensuite, le puits d'eau douce, au milieu de la nef, ceinturé d'une grille en guise de margelle, dont la source, selon la tradition, outre son origine miraculeuse, avait des vertus de fécondité et des propriétés antirabiques. De plus il était un élément défensif essentiel pour la population en cas de siège de la ville par les ennemis. Ce puits donc, fut déplacé sans ménagement ... il resta cependant dans l'église, et la symbolique fut respectée.
L'église des Saintes-Maries-de-la-Mer
L'église
Vue de l'extérieur, l'église ressemble à une forteresse. En effet, Les Saintes-Maries-de-la-Mer sont la porte de la Camargue et de la Provence, à la merci des pillards et tête de pont pour les envahisseurs. En cas de siège, l'église protégeait les reliques, mais aussi la population locale qu'elle accueillait. Un puits d'eau douce à l'intérieur permettait aux assiégés de survivre.
En faisant le tour extérieur de l'église, on peut voir l'architecture de forteresse : les créneaux, derrière lesquels court un chemin de ronde sur encorbellement, la parcimonie des ouvertures, le donjon. Le clocher à peigne a été agrandi pour accueillir la 5ème cloche.
Sur la face Sud, la porte des lions est murée. Les lions proviennent probablement d'un ancien temple païen.
Le chœur et l’abside sont surmontés par un donjon en hémicycle qui renferme l’ancienne salle du corps de garde appelée "chapelle haute". L'abside est ornée de lésènes et de bandes lombardes et présente la fenêtre du choeur décorée par deux colonnettes. L'entrée de la terrasse se trouve sur le donjon. L'entrée habituelle de l'église se fait par une petite porte surmontée de la croix de Camargue.
L'intérieur
Nous sommes dans la pénombre. Une impression de force et d'équilibre. Tout est dépouillé : pas de chapelles latérales. La succession des piliers, la voûte romane du XIIème siècle en berceau brisé, orientent les regards vers le choeur.
L'église est de dimension très humaine : longueur 40m, hauteur 15m, largeur 9m.
La fenêtre-porte, au dessus de l'arc du choeur, donne sur la chapelle haute où sont conservées les châsses avec les reliques des saintes Maries.
Le portail Ouest a été percé au XIXème siècle pour faciliter le passage des pélerins. L'accès muré de la porte aux lions fut transformé en vitrine pour les ex-voto. Le plus ancien date de 1591. Cette vitrine comporte aussi le parchemin de 1448 relatant les fouilles et la découverte des reliques. Le bras avec des reliques des saintes, utilisé pour bénir, est en double exemplaire : le premier ayant été volé, on en a refait un second, puis retrouvé le premier.
Le puits d'eau douce est caractéristique d'une église fortifiée. Il est relié à la nappe phréatique.
Selon la tradition, la crypte fut la demeure des saintes Maries. Elle fut aménagée par le roi René, comte de Provence, au XVème siècle. A cette occasion, on retrouva les corps que l'on identifia comme étant les reliques des saintes.
Au fond de la crypte, la statue de sainte Sara, patronne des gitans. Elle est vêtue de manteaux multicolores et ornée de bijoux. Chaque famille de gitans se fait un honneur de la vêtir. Au fond de la crypte, on peut voir un autel formé par un couvercle de sarcophage du IIIème siècle.
Une colonnade avec arceaux et chapiteaux sculptés décore l'abside. les chapiteaux représentent des satyres, des figures humaines, des masques et des feuilles d'acanthe. Deux d'entre-eux concenrent l'histoire biblique : le sacrifice d'Isaac et les évènements autour de la naissance de Jésus (annonciation à Zacharie, annonciation à Marie, visitation). L'espace du choeur est réservé à la prière. Autant vous dire qu'il est bien protégé par les cerbères de la porte.
Encastré dans un mur, la pierre retrouvée par le roi René. C'est l'oreiller des Saintes Maries, un bloc de marbre sur lequel reposait la tête des corps retrouvés en 1448. La pierre est polie par la vénération des fidèles. On retrouve le rituel des pierres de fécondation. Un peu plus loin,
les saintes Maries dans leur barque avec les vases d'aromates. Lors des pélerinages, la barque est transportée jusqu'à la mer.
La chapelle haute ne se visite pas. Elle est située sous le clocher, dans l'ancienne salle du corps de garde. Elle s'ouvre sur la nef de l'église par la fenêtre située au dessus de l'arc du choeur. Dédiée à saint Michel, elle contient ce qui reste des reliques. Elles se trouvent dans la double châsse qui est descendue dans l'église lors des pélerinages. les corps des deux Maries ont pu être identifiées comme deux personnes de type oriental du 1er siècle.
Nous sommes donc en présence d'une vierge noire, même si elle n'est pas une authentique satue romane en majesté, qui regne sous terre, dans la crypte. Son parèdre, Michel, veille sur les reliques tout en haut de l'église. L'eau du puits, le réseau sacré et les énergies de la vouivre font le reste.