La légende des trois Maries
Sous le vocable des Saintes Maries la tradition catholique désigne trois femmes : Marie-Madeleine, Marie-Salomé et Marie-Jacobé. Il se peut que ce culte soit la transposition d'un culte plus ancien dédié aux matres : aussi appelées matrae ou encore matrones, les matres étaient des déesses mères protectrices, symboles de la fécondité. Elles étaient représentées par groupe de trois. Elles tenaient sur leurs genoux des fruits dans une corbeille ou une corne d'abondance, ou bien elles versaient sur la terre le contenu d'une patère ou coupe. Parfois, l'une d'entre elles portait dans son giron un nourrisson qu'elle allaitait.
Les trois Matres peuvent être devenues les trois Maries : le culte des Saintes Maries succéda à celui d'une triade de déesses mères si ancré dans l'inconscient collectif que la marialisation du lieu n'a pas suffi. Il fallait trois Maries et pas une de moins. Le culte était si tenace que quand la légende a fait partir Marie-Madeleine pour la Sainte-Baume, on dut rajouter un nouveau personnage, Sara. La patronne des Gitans ne se nomme pourtant pas Marie. Salomé non plus ne se nommait pas Marie : les prénoms composés n'existaient pas chez les juifs du 1er siècle. On lui a accolé le nom de Marie pour respecter la triade. Ainsi elle prit le nom de Marie-Salomé. On retrouve dans le culte des trois Maries les trois matres, dans les coupes, les vases d'aromates. Mais on peut aussi y voir la réminiscence d'Isis et de la barque solaire, la barque de Râ, que l'on retrouve dans le nom même de l'ancien village.
A Mignière, près de Chartres, il existe un lieu de pèlerinage dédié aux trois Maries. À Lugdunum, le culte de Sucellus, dieu au maillet, symbole de fertilité et celui des Trois Matres, déesses mères, symboles de fécondité sont souvent représentés et associés.
Sara
La légende des Saintes Maries venues de Palestine à bord d'un navire sans voile ni rame, qui vint miraculeusement aborder dans le delta du Rhône est bien connue. Cette légende diffère sur la présence à bord de Sara. Ou bien elle était leur servante depuis Jérusalem, (originaire d'Egypte) ou bien elle les accueillit à leur arrivée. C'est la version gitane : "Sara campait avec sa tribu, dont elle était la reine, en pleine forêt de pins parasols, à l'endroit où s'élève aujourd'hui Aigues-Mortes. Avertie miraculeusement elle courut vers la mer et, s'étant dévêtue, elle étendit sur les vagues sa robe qui la porta vers les saintes. Baptisée de leurs mains, elle les conduisit au temple païen où affluaient les grands pèlerinages de sa race." Quoi qu'il en soit, les nouveaux chrétiens batirent sur place, surement à l'emplacement de l'ancien temple, un premier oratoire afin d'y célébrer leurs mystères.
Mais la première mention du nom de Sara n'apparait dans la légende qu'en 1521. Pourtant, le culte de Sara ressemble à un culte à la vierge noire. La crypte, le puits, la statue noire, les miracles, la dévotion des fidèles, l'atmosphère envoûtante qui se dégage autour de la statue en plâtre, tout concorde.
Je me suis retrouvée en face d'elle en plein mois d'Août, entourée de centaines de personnes. La crypte, où brûle en permanence de nombreuses bougies, est surchauffée. Les gens passent devant elle sans la voir, et ressortent rapidement à cause de la chaleur. Je me suis approchée d'elle, me suis agenouillée. Bizarrement, les gens se sont éloignés. J'ai fermé les yeux, et j'ai senti sa présence. Une puissante énergie se dégage d'elle. Je ressens encore cette énergie, ne serait-ce qu'en pensant à cet instant. D'ailleurs, en ce moment même...
C'est dans le livre de Pierre Derlon, "traditions occultes des gitans", que j'ai trouvé l'explication qui m'a paru la plus proche de la vérité quand aux sensations que j'ai éprouvées devant Sara.
"La dévotion des gitans s'adresse à Sara la noire, Sara la Kali. La crypte fut interdite aux gadjés c'est à dire ceux qui ne sont pas gitans, jusqu'en 1912. En 1935, les gadjés ont sorti Sara de l'ombre pour en faire une attraction : intégrée à la cérémonie chrétienne, elle fait recette."
Sara ne se donne pas au premier venu. " Ce ne fut qu'une fois dans la crypte que je compris. Sara ne porte le sourire qu'à ceux qui savent la retrouver dans l'ombre de sa crypte, aux heures propices. N'étant guère convaincu de la vertu surhumaine d'une simple statue, j'essayais de comprendre d'où venait son incontestable envoûtement. Les sages m'avaient appris que les objets morts ne pouvaient vivre que dans la mesure où l'homme leur donnait la vie. En terme de magnétiseurs ou de sorciers, la statue de Sara la Kali est "chargée". En elle se condense les énergies subtiles de plusieurs générations de nomades. Ceux qui ont préservé une certaine forme de sensibilité pourront donc les provoquer puis les capter. Ils en retireront un sentiment de joie, de bien-être et de confort, en plus de réels avantages physiques. Pierre le Petit, kakou en Arles, disait : "Ce n'est pas le retour sur toi que tu vas trouver aux Saintes, c'est le ventre de ta mère, le sourire de ta mère, sa bouche, ses mains, ses reins. Marche pieds nus, deux cierges à la main, va sans que tes yeux ne cessent de regarder les siens. Et quand ta bouche sera près de la sienne, tu la verras sourire et prononcer ton nom."
En 1935, quand le clergé sortit la statue de Sara de sa crypte et l'emmena en procession, certains maitres du feu se firent l'épreuve dite du "feu au poignard" en signe de deuil. "Le soleil a brûlé les yeux de Sara", dirent-ils, "et il est des forces qui meurent si de l'ombre on les sort à la lumière..."
La patronne des gitans, à l'encontre des autres saints, n'existe en double dans aucune autre église du monde.
D'après Pierre Derlon, une transposition se fait des Saintes à Aigues-Mortes au niveau des kakous, les sages des tribus...