La chapelle Saint-Baudile de Mornas
Il suffit de continuer le sentier qui passe devant la forteresse en direction du nord, vers la pointe de l’éperon rocheux, de faire 450 mètres au milieu des senteurs entêtantes des plantes aromatiques, des genêts, des bruyères et des chênes kermès, pour se retrouver devant la chapelle de Saint-Baudile.
D’origine préromane, cette chapelle aux murs très épais de pierres plates et dont la porte d’entrée est orientée au sud, fut restaurée une première fois au XIVe siècle.
Les guerres de Religion la laissèrent en ruine.
C’est l’association des amis de Mornas qui releva le cul-de-four de l’abside et refit la porte et les fenêtres en 2013.
De la chapelle, construite à 190 mètres d’altitude, on aperçoit le château et la vallée du Rhône au sud.
Elle est posée au sommet de l’éperon rocheux, sur une ligne tellurique puissante, ce qui explique les sensations étonnantes que l’on pourrait avoir en ce lieu, les miracles qui lui sont attribués et les légendes qui s’y rapportent.
Mais tout d’abord qui est Baudile, le saint de la dédicace ? Baudile était peut-être un notaire sous l’empereur Dioclétien, sous-diacre à Nîmes, Gênes et Arles, qui refusa d’enregistrer un décret de persécution des chrétiens. Le plus souvent il est décrit simplement comme un homme originaire d’Orléans qui vint avec sa femme dans la région de Nîmes afin d’évangéliser les païens. Païens qui, voulant qu’on leur foute un peu la paix, n’apprécièrent pas qu’il vienne interrompre une de leurs cérémonies sacrificielles dans le bois sacré de chênes hors des remparts de la ville.
N’ayant que peu le sens de l’humour, ils décidèrent d’un commun accord de punir l’importun en le décapitant manu militari. En gros, le sacrifié, ce fut lui, pour le plus grand bonheur du bélier prévu à cet effet. Sa tête roula et rebondit par trois fois, créant ainsi trois fontaines. Un oratoire fut construit en ce lieu, toujours présent rue des Trois Fontaines à Nîmes.
Dans le livre du chanoine Benoit Mathon, Le martyr de saint Baudile, écrit en 1837, il est écrit que cette cérémonie était celles des Agonales, une des plus anciennes fêtes romaines. Elle était célébrée plusieurs fois dans l’année (le 9 janvier en l’honneur de Janus, le 17 mars jours des Liberalia, fêtes du printemps, le 21 mai, le 11 décembre en l’honneur du Sol Invictus).
L’histoire de Baudile se déroula le 21 mai (même si le jour de son natalice, jour de sa naissance au ciel, reste pour le calendrier chrétien le 20 mai), lors des Agonales en l’honneur de Vediovis, un Dieu étrusque pré-indo-européen, prince des révoltés et des insoumis, rebelle à toute forme d’injustice et d’oppression, protecteur des quêtes justes et désespérées. Toujours en colère, aimant par-dessus tout la lumière, il apporte la force, la volonté, l’énergie, l’intelligence et le charisme. Pas loin d’être un de mes Dieux préférés.
Cette chapelle fut le théâtre de ce que l’on appelle des neuvaines de pétition. Cette prière, faite à la même heure durant neuf jours consécutifs ou durant neuf heures d’affilée, demandait à Baudile d’intercéder auprès de Dieu pour obtenir de l’aide ou une grâce particulière. Souvent ce fut pour demander la guérison des enfants souffrant de maladies de peau. Aujourd’hui, les catholiques considèrent que ces neuf jours font référence aux jours qui séparent l’Ascension de la Pentecôte, jour où les apôtres, en prière, reçurent l’Esprit Saint.
N’oublions pas que le neuf représente un principe de perfection réalisé sur trois plans : physique, mental et spirituel. Le nombre sous-entend que ces trois niveaux ont été harmonisés et maitrisés, chacun dans leur propre triplicité. Neuf est pour cela l’illustration du trois que multiplie le trois, la triple couronne et le nombre du Grand-Œuvre.
Les cartes du Tarot illustrent le nombre neuf par l’Ermite, détenteur de la lumière, de la Sagesse et de la Connaissance. Les neuf Muses sont dépositaires de la somme des connaissances et l’ennéade égyptienne englobe toutes les forces de l’Univers. Le neuf, triple ternaire, impair donc mâle et actif, est aussi un symbole de fécondité, qui annonce la fin d’un cycle et le commencement d’un nouveau.
Une légende se trouve rattachée à la chapelle, celle de la Raphagnaude, un dragon sans ailes ressemblant à une écrevisse crachant des flammes ayant élu domicile sur son emplacement il y a très longtemps, bien avant la construction de la forteresse de Mornas. De couleur noire, cette bête maléfique découpait avec ses pinces quiconque venait troubler son repos et emmenait ses victimes dans la grotte où elle avait élu domicile afin de les dévorer. Sa tête était pourvue d’une immense bouche pourvue de dents acérées.
Heureusement, elle se déplaçait lentement sur sa dizaine de petites pattes, faisant trainer par terre sa carapace, ce qui provoquait des sons effrayants. Elle n’était dangereuse que pour ceux qui s’aventuraient trop près de son antre. Ce fut le cas d’un jeune homme qui, voulant aller chasser sur la montagne, ne revint pas. Sa fiancée, décidée à aller le rejoindre dans la mort, s’approcha à son tour le la bête. Voyant une si belle jeune fille s’approchant d’elle sans crainte et pleine d’espoir, la Raphagnaude prit peur et recula dans sa grotte où elle tomba dans un puits très profond en hurlant. Personne ne la revit jamais.
Quand on sait que les dragons (le village au nord de Mornas s’appelle Mondragon, mons draconis) sont souvent dans les contes la représentation des courants telluriques, pas étonnant d’en voir apparaitre un ici, qui ressemble d’ailleurs dans sa rescription fortement à la Tarasque, représentation d’un ancien dieu gaulois vaincu par le christianisme personnifié par sainte Marthe. Les forces telluriques doivent s’équilibrer avec les forces cosmiques. Le dragon, à Mornas la Raphagnaude, incarne les forces de la Terre, perturbatrices.
La jeune fille fait office de porte-parole des puissances du ciel. Les deux amènent l’harmonie. Le dragon de Mornas pourrait-il aussi ressembler à la figure appelée Le lion de Mornas, monstre androphage sculpté dans la pierre comme nous l’avons vu dans l’historique ?
L’écrevisse, dans l’art roman, est représentée d’une façon singulière. Elle pourrait, effectivement, ressembler aussi à notre Raphagnaude.
Cette écrevisse était la représentation du signe du Cancer et on la retrouve dans la lame XVIII du Tarot, la Lune, précurseur de la lame XIX, le Soleil.
Pour une symbolique plus poussée, je vous renvoie à l’article sur les sauroctones (littéralement tueurs de lézards). La maitrise du dragon est la première étape dans le cheminement initiatique, suivie par celle du céphalophore (celui qui porte sa tête coupée). Pour aller plus loin, nous serions amenés à faire un parallèle avec Jonas avalé par la baleine, mais c’est une autre histoire.
Parmi les principaux personnages maitrisant le dragon, nous trouvons l’humain saint Georges, patron de la chapelle castrale de Mornas, et saint Michel, parèdre des vierges noires. Les deux se trouvent la plupart du temps sur les hauteurs, la Vierge se tenant en bas, dans l’obscurité de la grotte. Je ne serais pas étonnée qu’il y ait eu à Mornas le culte d’une Vierge noire oubliée.