Les sauroctones et les céphalophores
Nous avons déjà rencontré, au gré de nos visites dans la symbolique romane, des hommes particuliers, aux drôles de noms : les sauroctones et les céphalophores.
Les sauroctones
Le nom vient des mots grecs « saûros », le lézard, et « ktonos », le tueur. Les sauroctones sont donc ceux qui tuent un lézard. Le mot « saûros » va se retrouver dans saurien (sous-ordre des reptiles), ou dans dinosaure, dont les squelettes, d’après certains, sont à l’origine des légendes des dragons.
Un proto-récit d’origine asiatique fut retrouvé par des chercheurs, datant au moins du début du Paléolithique supérieur, c'est-à-dire vers – 30 000 ans.
Les sauroctones sont nombreux. Nous allons les retrouver en majorité christianisés, à proximité d’un point d’eau, près d’une ville en expansion, combattant les menaces naturelles ou surnaturelles mettant en danger la population et/ou la religion.
Les plus connus des sauroctones chrétiens se nomment saint Michel chez les archanges, saint Georges chez les hommes et sainte Marguerite ou sainte Marthe chez les femmes.
Mais avant eux Apollon tua Python, Persée délivra Andromède, fille de Cassiopée, d’un monstre marin et Héraclès délivra de la même manière Hésione, sœur de Priam, roi de Troie, avant de tuer l’Hydre de Lerne.
Krishna vainquit le roi des serpents célestes Kaliya, le roi gallois LLudd aidé de son frère Llefelys enferma les dragons rouge et blanc dans un puits, Siegfried transperça Fáfnir gardien du trésor et mangea son cœur.
Rê sur sa barque solaire envoie Seth, Isis et Bastet tuer Apophis, personnification du chaos voulant mettre fin à la création.
Nos gros lézards représentant les forces brutes de la nature se transformèrent en dragons puissants, terrassés et non pas tués par des héros solaires. Le dragon sera abondamment décrit dans les récits du Moyen-âge, qu’ils soient hagiographiques ou romanesques.
Reprenant les anciennes traditions païennes, le chevalier partira en quête, et notre héros christianisé deviendra le saint ou la sainte imposant sa volonté aux sauriens. La symbolique primitive se retrouva enfouie, mais resta présente.
Le serpent ainsi que le dragon devinrent l’allégorie du paganisme ou la représentation du mal que la vraie religion allait vaincre. Mais sous jacent reste la puissance du symbole duel, celui de la lutte du bien contre le mal, de la lumière du dieu solaire contre les ténèbres du chaos, de l'esprit contre la matière.
Il faudra apprendre à maitriser cette force brutale afin de pouvoir accéder à la dimension spirituelle. Le saurien, le serpent issu de l'inconscient, symbolisera alors l'agent des transformations qui doivent s’opérer, qui fait mourir à l’état de vieil homme et renaître à l'homme nouveau. Il sera le gardien du trésor que l’on porte en nous-mêmes.
Plus loin que la simple dualité, on retrouvera le serpent primitif dans les cosmogénèses diverses et variées, depuis l’aube des civilisations, maitre du principe vital des origines, maitre des énergies et des forces de la nature. Il est ce qui anime, ce qui maintient.
Il crée le temps en plus de la vie, dans sa représentation de l’ouroboros. Les chaldéens n’avaient qu’un seul mot pour dire serpent et vie. Il sera dieu créateur aux origines comme Atoum chez les Egyptiens, représentant de l’incarnation de l’esprit dans la matière, maitrisant la vie, mais aussi la mort.
De part sa capacité à changer de peau, il sera symbole d’immortalité et de renaissance, comme Quetzalcóatl le serpent à plumes chez les Aztèques.
Il deviendra protecteur sous la forme de l’uraeus au front des pharaons, guérisseur s’enroulant sur le bâton d’Asclépios. Chez les indiens, lové au niveau du premier chakra, il attendra d’être éveillé pour conduire à l’état de Samadhi, état d’expansion illimitée de la conscience.
Il sera initiateur en portant les symboles des 4 éléments : la terre (la grotte où il demeure), le feu (le dragon le crache), l’air lorsque les ailes lui poussent (dragons ailés) et l’eau (vouivre). Il sera alors symbole des sciences, de la connaissance et de la sagesse, maître des mystères de la mort et de la renaissance. Le futur initié devra passer par ces 4 épreuves.
Le dragon, mot issu de l’indo-européen « dak », briller, qui donna le grec ancien « drakôn », du verbe « derkomai », regarder, fixer d’un regard perçant, voir clair, qui lui-même donna le latin « draco », sera aussi la représentation des forces telluriques qui s'expriment dans un lieu à travers une rivière, une caverne ou une montagne.
Souvent dans les récits hagiographiques le dragon habite près de l’eau, dévore les jeunes gens (souvent des jeunes filles vierges d’ailleurs, ce qui laisse à penser que les mythes liés au matriarcat détrôné par les mâles ne sont pas loin), se réfugie dans une grotte, se soumet grâce à un voile, une corde ou une ceinture. Il n’est pas tué mais maitrisé ou renvoyé dans son monde d’où il ne pourra plus revenir. Les forces telluriques devront s’équilibrer avec les forces cosmiques
La maîtrise des énergies du dragon est une première étape dans le cheminement initiatique. L’étape suivante sera celle de « la tête coupée ».
Les céphalophores
Le nom vient des mots grecs « képhalê », la tête, et « phorein », le verbe porter. Les céphalophores sont donc ceux qui portent leur tête coupée. Le plus connu d’entre eux chez les chrétiens se nomme saint Denis, chez les musulmans ce sera Qassim ibn Abbas, cousin du prophète. Jolie légende, ça change un peu (au moins de noms) :
« Il existait, dans la province de Sogdiane, une vieille ruelle qui montait sur la colline sacrée jusqu’aux portes de l’antique ville d’Afrosyab, autrement dit Samarcande. L’endroit, habité depuis les premières époques de l’humanité, avait connu les idées du Mazdéisme, puis de Zoroastre, de Bouddha, de Mani.
C’est ici, en l’an 676, que vint s’installer Qassim le missionnaire, cousin du prophète Mahomet. Il voulut faire connaitre la nouvelle religion, ce qui ne fut pas du goût de tout le monde. Un jour qu’il était en prière dans la ruelle, un mécréant lui coupa la tête. Qassim s’empara alors de son chef, puis descendit dans un puits qui le mena droit au paradis. Depuis, Qassim, aidé de deux assesseurs siégeant à ses côtés pour l’assister dans ses fonctions, préside la cour des âmes. »
Cette belle légende reprend le mythe zoroastrien du juge des Enfers. Au quatrième jour de la mort, sur le pont Činvat qui relie le Ciel et la Terre, Ahura Mazdâ pèse l’âme avec ses bonnes et mauvaises actions. Il est aidé par le vertueux Rashn et le bienheureux Srôsh. Anubis, Mikael et les autres, si vous nous lisez…
Il fallut attendre le XIe siècle pour qu’un mausolée soit construit, à la place des anciennes murailles de la ville, là où Qassim fut tué. La nécropole Shah-i-Zinda, c'est-à-dire du Roi Vivant, devint le principal lieu saint de la ville, et au XIVe siècle il fallut réaménager le site. Le tombeau de Tamerlan le Conquérant y fut construit, ainsi que ceux de nombre de ses femmes. Plusieurs mosquées s’y ajoutèrent. Au XVIIIe siècle, un escalier de 40 marches fut aménagé, menant sur le haut de la ruelle puis sur le plateau.
Mais nous avons bien avant Qassim et dans toutes les traditions la même symbolique. Je vous renvoie pour un cas précis à la légende de sainte Spérie. Nous avons dans ces légendes des symboles récurrents : le lieu sacré, l’eau, le sang, le passage, la caverne.
Les céphalophores portent leur tête, le plus souvent au niveau du cœur. Que représente cette tête ? C’est avant tout le principe actif. C’est l’esprit agissant, l’activité, la volonté, la force vitale. Chevalier et Gheerbrant nous parlent de l’autorité de gouverner, d’ordonner, d’éclairer. Ils disent que la tête symbolise l’esprit manifesté, par rapport au corps qui est une manifestation de la matière.
Par sa forme sphérique, elle est comparable à un univers. Tout cela converge vers le symbolisme de la perfection, de la divinité. La porter signifie la maitrise de ces principes. Mais avant tout, la tête, c’est le siège du mental. La couper et la porter au niveau du cœur, c’est abandonner les barrières mentales qui empêchent l’avancée et c’est prévaloir le cœur sur la voie de l’initiation.
Au final, toutes ces légendes nous renvoient aux anciens mystères initiatiques, de tout temps perpétrés en secret. Et quoi de plus malin que de les cacher dans des contes à dormir debout ? « Qu’on lui coupe la tête ! » dit la reine rouge de Lewis Carroll, la reine de cœur du pays des merveilles.
Il le faudra bien si nous voulons passer de l’autre côté du miroir, faisant ainsi notre retournement, comme nous le propose l’initié de la porte de l’église de Thuret.
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00360165/file/Volume1_francais_.pdf
https://fr.wikipedia.org/wiki/Dragon_europ%C3%A9en
http://www.insolitepaysflechois.org/Croyances_files/Sauroctones.pdf
http://www.tao-yin.com/astrologie/dragon_Occident.html
http://www.mythofrancaise.asso.fr/mythes/themes/saurocto.htm
http://laplumefeerique.over-blog.com/pages/Le_Mythe_du_Dragon-6344533.html