Charlieu, historique
Avant 870, quelques cénobites s’installèrent près de la rivière Sornin, dans un lieu de marécages, la vallée noire, situé sur l’antique route reliant les Ségusiaves (capitale Feurs) aux Eduens (capitale Bibracte puis Autun). Ce lieu fut appelé Carilocum. En 870, des bénédictins venus de Touraine créèrent la première abbaye avec l’appui de Ratbert, évêque de Valence et propriétaire des terres. Elle fut placée sous le patronage de saint Etienne et de saint Fortunat, envoyé en mission en 180 par Irénée de Lyon et mort en martyr en 212, patron et fondateur de l’église de Valence.
Boson, gouverneur du Lyonnais et comte de Mâcon, devenu roi de Provence, fit don de l’abbaye, « Abbas Cariloci », dont il s’était emparé, à Cluny par testament, donation confirmée par Hugues de Provence en 932.
Une première église fut construite, ne comprenant qu’une seul nef couverte d’une charpente, abritant les reliques de saint Etienne et saint Fortunat.
Vers 940, sous l’abbatiat d’Odon de Cluny, elle fut agrandie de deux nefs, voûtée de pierre et pourvue d’un déambulatoire.
La ville se développa autour de l’abbaye devenue prieuré, et l’église, devenue trop petite et insalubre, fut reconstruite au XIe siècle. Consacrée en 1094, la prieurale ressemblait à l’église d’Anzy-le-Duc. Elle comportait une nef à trois vaisseaux de quatre travées, un transept saillant doté de deux absidioles, un chevet à chapelles. Un narthex fut ajouté au XIIe siècle.
Philippe Auguste fit fortifier la ville et la dota d’un châtelain royal. Au XVe siècle, les bâtiments monastiques furent réaménagés ou reconstruits. Charlieu joua alors un rôle important lors de la guerre entre Armagnacs et Bourguignons, puis, privée de trafic routier, commença son déclin.
Le monastère fut fermé avant la Révolution, en 1787. Puis il fut vendu comme bien national avant sa destruction partielle. De l’église, il ne reste plus que le narthex et la dernière travée.
L’église Saint-Fortunat
Mis à part les fondations dégagées en 1950, le narthex et les piliers de la première travée, quelques chapiteaux et colonnes conservées dans la salle capitulaire, il ne reste plus rien de la prieurale Saint-Fortunat. Et vu ce qu’il nous en est parvenu, elle devait être d’une grande beauté, tant par son architecture que par la symbolique de ses sculptures.
Le narthex
Ce terme est en fait passé dans le langage courant en se dénaturant. Il vaudrait mieux parler de galilée.
Un narthex, en architecture religieuse, avait une fonction bien précise : c’était un portique intérieur précédant la nef, ouvert sur celle-ci mais fermé sur le dehors, accueillant ceux qui n’avaient pas le droit d’entrer dans le sanctuaire, les catéchumènes et les pénitents.
Cette fonction liturgique disparut avec le temps et le narthex devint une simple avant-nef. A Charlieu, le narthex, comportant une salle haute destiné aux hôtes, fut ajouté à la nef dans le deuxième quart du XIIe siècle.
Le rez-de-chaussée du narthex, voûté en cintre brisé, contient deux sarcophages. L’un d’eux, gallo-romain, date du IIe siècle et porte cette inscription : "Au repos éternel de Maria Severolia... son mari et son fils ont fait élever ce tombeau et l'on dédié sous l'ascia (hache)".
Le deuxième est de facture plus récente.
Le grand portail
Fait rarissime, il s’ouvre côté nord, peut-être par manque de place à l’époque de la construction du narthex, au premier tiers du XIIe siècle, ou pour une fonction qui nous échappe. Sculpté avec élégance, finesse et précision, il est l’œuvre du « maitre de Charlieu », ou de son école, qui fit probablement le portail de Saint-Julien-de-Jonzy et influença les artistes travaillant à Semur-en-Brionnais.
Le tympan, surmonté de l’agneau Pascal, représente dans une mandorle le Christ en majesté, les pieds sur la Jérusalem céleste, entouré de deux anges et des symboles des évangélistes. Le linteau est sculpté de la Vierge entourée de deux anges au centre, et des 12 apôtres.
A gauche le roi David et le bienfaiteur, le roi Boson, et à droite Saint-Jean-Baptiste et le fondateur, l’évêque de Valence Ratbert. De chaque coté de l’archivolte, deux musiciens nous indiquent que la musique va jouer un grand rôle dans la construction et la symbolique du bâtiment.
Le petit portail
Situé à droite du grand, il représente au linteau un sacrifice d’animaux au temple, et sur le tympan, le premier miracle, les noces de Cana.
L’archivolte présente saint Pierre, Elie, Moïse, le Christ, saint Jean et saint Jacques. Les différentes églises (ésotériques et exotériques) et différentes voies d’initiation sont représentées.
L’ancien portail de la façade
Datant des environs de l’an 1100, protégé à présent par le narthex, c’est l’un des plus anciens de la région.
Le linteau est orné des 12 apôtres assis sous des arcs en plein cintre.
Très sobre, le tympan représente un Christ en majesté dans une mandorle portée par deux anges.
Un escalier à vis monte à l’étage.
Aussi voûtée en cintre brisé, la salle haute s’ouvre côté est par une baie en plein cintre.
De chaque côté des chapiteaux intéressants, comme cette sirène telle qu’elle était représentée dans la mythologie grecque avant le IIIe siècle avant notre ère : une tête de femme sur un corps d’oiseau.
Ces sirènes-oiseaux, Platon, dans « La République », nous dit qu’elles produisaient la musique des sphères célestes ou Harmonie. Elles symbolisaient donc la Musique et inventèrent l’harmonie ou chant choral qui est instinctif chez certains peuples. Elles ne sont pas là pour détourner les hommes de leur route, mais pour les inciter à reproduire dans leur vie l'harmonie dont elles donnent l'exemple.
Dans les nécropoles funéraires de Grèce, on retrouve des figurines de sirènes-oiseaux en argile déposées pour accompagner le défunt dans son Grand Passage. Ces sirènes funèbres sont des Stryges, des Sphinges qui figurent l’esprit des morts qui, bienheureux, s'élève droit au ciel vers les étoiles. Les Égyptiens eux aussi représentaient l'âme des morts comme un oiseau à tête humaine.
De l’autre côté de la baie, un homme/animal sortant du feuillage, ses oreilles bien dressées pour entendre la musique, regarde le soleil se coucher au solstice d’été. La sirène, lunaire, regarde au solstice d’hiver. Il semblerait que, comme à Mailhat, cet homme/animal se débarrasse de sa matière fécale, lourde, de ses pulsions animales qui maintiennent dans la matière et empêchent de monter vers le cosmique.
Une tête d’animal nous montre les dents… Attention, dent j’ai ? Pourtant, ce n’est pas un chat, situé la plupart du temps sur des endroits aux énergies puissantes. De quel danger nous parle-t-il ? Les yeux et les oreilles ont bien ouverts. Peut-être est-ce pour nous prévenir de bien entendre la musique des sirènes.
Le chapiteau suivant nous montre la lune, yeux fermés par des mains, bouche ouverte, comme si elle chantait. Encore la musique. Sur sa tête, les cornes symbolisent la vache, à l’instar d’Hator, symbole lunaire de la Terre-Mère, la grande nourrice, modèle par excellence du principe féminin, souveraine des quatre coins du ciel et maîtresse des points cardinaux. C’est le monde des apparences, de la transformation intérieure. Puis le soleil, yeux ouverts mais bouche fermée. Les rayons en forme de pétale de fleur sont rabattus sur son front. C’est le monde de la réalité, de la lumière révélée, de l’évolution.
Au revers de la façade occidentale, on retrouve la baie en plein cintre de l’étage du narthex. De ce côté, nous retrouvons une sirène, mais à queue de poisson bifide cette fois. Elle indique la présence de deux courants d’eau souterrains, à moins que par sa ceinture solaire et sa place en haut de l’édifice elle ne nous montre l’eau du ciel.
En face d’elle, le signe du Capricorne, mi chèvre mi poisson.
Côté nord de la baie, nous avons un acrobate particulier, le même que celui de Briennon avec quelques différences.
Ses pieds, nus, semblent de détacher du sol, de la matière. Ses mains ne séparent pas sa barbe (symbole de sagesse) en deux morceaux, mais au contraire les rassemble. Ses oreilles sont bien ouvertes, il entend la musique harmonieuse de la sirène.
La première travée
C’est la seule qui nous reste, avec les collatéraux voûtés d’arêtes.
Elle est encore ornée de quelques chapiteaux intéressants, comme au sud ces coquilles Saint-Jacques montrant le passage des pèlerins de Compostelle, surmontées du symbole de l’eau.
En face, deux centaures affrontés se tiennent par la barbichette. Le premier des deux sages qui rira, aura...
Au nord, un chapiteau reprend le thème de l’homme sortant des feuillages. Dans un premier temps, deux lions, symbole de la force brutale, mais aussi maitre de la puissance solaire, posent leurs pattes sur la tête d’un homme qui sort des feuillages. Au-dessus, proche du ciel, la fleur solaire.
Dans un deuxième temps, l’homme, nu, est totalement sorti des feuilles. De sa main droite, il supporte sa tête, la main en direction du ciel. Les lions lui lèchent les épaules et la fleur solaire s’épanouit. Du tellurique, il va passer au cosmique.
Charlieu, l'abbaye
Le cloître
Adossé à l’abbatiale, il fut reconstruit dans les années 1460-1470. Il fut abimé au cours du XIXe siècle, et perdit alors la galerie nord et une parie de la galerie ouest.
Il reste le puits, toujours alimenté en eau.
La salle capitulaire
Sur le côté est du cloître s’ouvre la salle capitulaire.
Elle est délimitée par six arcatures romanes massives, peut-être une partie de galerie de l’ancien cloître, mais il se pourrait qu’elles soient le réemploi des colonnes jumelées du déambulatoire de l’église du Xe siècle.
Les chapiteaux sont, malgré leur apparente facture naïve, très parlants à celui qui sait lire.
Les aigles aux ailes déployées, messagers spirituels entre les dieux et les hommes, nous montrent le côté solaire, alors que des fleurs, proches du ciel, s’épanouissent au travers des feuillages.
Au centre de la salle du XVe siècle, voûtée en croisée d’ogives au début du XVIe siècle, un pilier massif porte un lutrin taillé dans l’une de ses pierres.
Côté nord, la représentation d’un poisson, peut-être un saumon. Chez les celtes, le saumon, homologue du sanglier, est l’animal de la science sacrée, symbole de la connaissance et de la sagesse. Il relie le monde lunaire invisible au monde solaire sensible. C’est lui qui remonte à la source.
La chapelle
De la salle capitulaire on accède à la chapelle de Notre-Dame-de-l’Assomption. Elle fut construite pour le prieur au XVe siècle sur les bases romanes de l’ancienne chapelle Saint-Martin, existant avant l’arrivée des bénédictins auxquels elle fut donnée en 875.
Une petite partie du dallage d’origine est conservée dressée contre l’un des murs.
L’hôtel du prieur
De la chapelle, on accède à la cour de l’hôtel du prieur. Il fut construit à la fin du XVe siècle sur des éléments plus anciens, une tour du Xe siècle étant incluse dans la nouvelle. Ce bâtiment, devenu propriété du conseil général en 1993, n’est pas encore visitable.
Le parloir
C’est toujours depuis le côté est du cloître que l’on arrive à l’ancien parloir. Il fut voûté au début du XVIe siècle et sert actuellement de musée lapidaire.
On y retrouve des chapiteaux romans de la prieurale du XIe siècle, des modillons, des linteaux.
Parmi ces vieilles pierres, le plus ancien témoin de l’abbaye : un bas-relief du Xe siècle représentant Daniel dans la fosse aux lions, peut-être un élément de la clôture du chœur de l’église.
Un autre bas-relief du début du XIIe siècle, provenant de la chaire du lecteur dans le réfectoire des moines, représente une Annonciation avec la Vierge et l’ange Gabriel.
Dans une niche, deux chapiteaux gothiques représentent deux personnes enlacés dans un joli mouvement et un personnage recroquevillé qui semble se boucher le nez.
Le cellier
Quelques marches descendent du parloir à une ancienne cave, le cellier, aménagée en musée d’art religieux en 1984. Sont rassemblées ici les statues données par des particuliers ou déposées par des paroisses.
Ces statues, en pierre ou en bois, la plupart du temps autrefois polychromes, datent du XVe siècle au début du XIXe siècle.
Une Vierge à l'enfant ,dite Vierge à l'oiseau, du XVe siècleet une Vierge au tombeau, du XVIe siècle
Vierge à l'enfant, du XIVe siècle, provenant de Saint-Paulien
Mais aussi une Vierge en majesté du XIIe siècle en calcaire polychrome provenant de Saint-Fortunat. Nous retrouverons cette image au fronton de l’église Saint-Philibert de Charlieu.
L'Eglise Saint-Philibert de Charlieu
C’est au XIIIe siècle que les habitants de Charlieu, devenus plus nombreux, et surtout après le conflit entre les bourgeois et les moines bénédictins de l’abbaye Saint-Fortunat, que l’église Saint-Philibert fut construite.
La première mention de l’église date de 1238.
De cette époque, de style gothique bourguignon, nous sont restés le chevet plat d’influence cistercienne et le chœur.
L’avant chœur, la nef et les bas-côtés furent reconstruits au XIVe siècle.
Les chapelles furent rajoutées aux XVe et XVIe siècles.
La façade fut achevée au XXe siècle. Le tout fut rénové en 2001.
Au tympan de l’entrée nord, celle des « initiés », une Vierge à l’enfant en pierre polychrome nous rappelle les Vierges noires bourguignonnes.
A l’intérieur, une autre Vierge, Notre-Dame de Septembre, patronne des Tixiers et des Tisserands date du XVIe siècle.
Les stalles en bois polychrome représentant des saints et les apôtres tenant une phrase du credo datent du XVe siècle.
Dans l’une des chapelles du XVe siècle, une sirène tient un miroir et un peigne. Il faut remarquer que l’église Saint-Philibert se trouve dans l’axe exact de l’église de l’abbaye Saint-Fortunat. Ce n’est pas pour rien non plus.