L’église Saint-Pierre, l'historique
Le village de Champagne, situé sur un important itinéraire médiéval qui reliait Grenoble au Puy sur un axe de pèlerinage Rome-Compostelle, se construisit autour de sa première église prieurale, que la tradition attribue à l'ordre des chanoines réguliers de Saint-Augustin, sous la juridiction de Vienne, au IXe siècle.
Devenu dépendant de l'abbaye bénédictine Saint-Barnard de Romans au début du XIe siècle, le prieuré abrita une réunion des évêques du royaume de Bourgogne vers 1026, d’après un manuscrit de la bibliothèque de Berne. Locus Champagniae est cité dans un texte d’Urbain II datant de 1088.
Le prieuré devint au XIIe siècle possession de l'abbaye Saint-Chef en Isère qui reconstruisit l’église telle que nous la voyons aujourd’hui : conçue entre 1150 et 1160 comme une église forteresse, dans un but militaire et défensif autant que religieux.
Les pierres de l’ancienne église du XIe siècle, en moellons de grès jaune et beige, servirent à l’édification de la nouvelle. Le village fut entouré de remparts. En 1319, Saint-Chef passa sous la dépendance directe de l'évêque de Vienne et en 1328, le prieuré fut supprimé : l’église devint simple paroisse.
En 1361, le prieuré fut rétabli au profit des Célestins jusqu'en 1773. L’église fut mutilée lors des guerres de religion, les sculptures des linteaux des portails ayant été partiellement détruits. Au XVIIe siècle, l’église fut restaurée : les tours nord et sud furent en partie démantelées.
Le tracé des frontières sur la carte de Cassini de 1776 montre Champagne, possession des comtes d’Albon, comme une enclave, place forte avancée du Dauphiné dans le Vivarais et le royaume de France. Le village endossait un rôle portuaire, commercial et militaire.
En 1848, l’élargissement de l’ancienne route royale devenue nationale 86 fit disparaître le porche voûté, vestige de la tour accolée à la façade. Le cimetière qui jouxtait l’église au sud fut supprimé. Entre 1889 et 1893, l’église fut à nouveau restaurée. En 1976, par décision du pape Paul VI, l’église devint abbatiale des chanoines réguliers de Saint-Augustin.
L'église Saint-Pierre, l’extérieur
L’aspect massif de l’église est donné par le rôle militaire et défensif qu’elle portait lors de sa construction au milieu du XIIe siècle.
Le réemploi de pierres insérées sur les murs extérieurs montrent qu’elle fut construite sur l’emplacement d’un sanctuaire plus ancien, église primitive voire temple romain. Parmi ces éléments sculptés, qui ne sont plus vraiment à leur place, nous trouvons :
Un homme récoltant le fruit de la vigne, l'arbre sacré, symbole de la vie éternelle. La vigne, donc le vin, boisson des dieux, permet de changer notre état mental pour empecher d'intellectualiser un message qui ne peut se comprendre qu'avec le coeur. L'accompagnent un homme chevauchant un oiseau et un homme se vidant dans un pot : il se débarrasse de sa matière lourde.
Des griffons, des sirènes-oiseaux (tête humaine sur un corps de poisson ailé et pattes de lion).
Un homme s'enlevant une épine du pied : il enlève un obstacle, ce qui va lui permettre de se retrouver debout sur ses pieds, qui s'opposent à sa tête, et d'avancer.
Plusieurs fois sont représentés des joueurs de lyre, symbole de l'harmonie cosmique, de la connaissance des vibrations du monde qui permet d'unir le ciel et la terre.
Des têtes de taureaux, de lions
des têtes d'hommes les yeux et les oreilles grands ouverts.
Un lion mangeant une feuille de chélidoine, ses yeux vont s'ouvrir.
Sur la tour Sud, David portant une fronde, David tranchant la tête de Goliath, Goliath en tenue d'homme d'armes prêt au combat. Goliath, fait pour être vu verticalement, fut placé horizontalement par le maçon.
Les modillons ne sont pas en reste. La présence d’une chouette, oiseau nocturne en relation avec la lune, nous indique que nous pouvons accéder à la connaissance en explorant notre partie sombre, à la perception de la lumière solaire par son reflet lunaire.
La feuille de chélidoine, entourant la chouette, va aider à ce que l'on puisse ouvrir les yeux.
La chélidoine, appelée aussi grande éclaire, tire son nom du grec "Khelidon", qui signifie hirondelle. On pensait autrefois que l'hirondelle se servait du latex de la plante pour nettoyer les yeux de ses petits. Symbole de l’accès à la lumière, c'est à vous de "voir"...
Et c’est bien une histoire de transformation qui nous est contée, à en croire les différentes phases de l’initiation. Une figure bestiale se transforme en humain,
un penseur va retourner les jambes vers le ciel.
La façade ouest est surmontée d’un toit à double pente formant un fronton triangulaire à la mode antique. On retrouve la trace de l’ancienne tour, détruite en 1848, au centre. De cette tour, on accédait à deux portes permettant jadis d’entrer dans les tribunes.
Les trois portails, abimés par le temps et les hommes, s’ouvraient sur le narthex antérieur. Ils sont surmontés d’un tympan et d’un linteau.
A gauche, le Christ couronnant Pierre et Paul.
Au centre, la passion du Christ avec, à droite, son arrestation au jardin des Oliviers, à gauche, la comparution devant Pilate et, au centre, la crucifixion. C’est l’une des premières images du Calvaire dans l'art monumental français, avec celle de Saint-Gilles du Gard. le décor derrière Pilate semble s'inspirer de l'art islamique ou au moins de Byzance. Chose rare, la signature du sculpteur sur la bordure inférieure du linteau représentant la Cène : Girbertus.
A droite, l’agneau pascal protégé par les archanges Gabriel et Michel, à qui deux chapelles hautes étaient dédiées. Sur le cercle glorieux on peut lire "Ecce agnus Dei qui tollit peccata mundi".
Les contreforts furent installés au siècle dernier, lors du percement des fenêtres donnant sur les bas-côtés. Seules les baies supérieures, étroites et sans ébrasement, sont d'origine.
L'église Saint-Pierre, l'intérieur
La structure de l’église avec tribunes et déambulatoire laisse supposer qu’à l’époque de la dédicace, elle contenait des reliques précieuses, d’où la présence du déambulatoire. L’église se trouvant sur une route de pèlerinage, une telle forme est appropriée.
L’église Saint-Pierre est l’un des rares exemples en France d’un sanctuaire roman dont la nef de cinq travées est couverte par une file de trois coupoles sur trompes (avec la cathédrale du Puy et Saint-Hilaire de Poitiers), chaque coupole s’étendant sur deux travées.
Les coupoles sont séparées entre elles par un arc diaphragme. Les deux premières englobent chacune deux travées, ce qui forme un plan carré au sol.
Un arc transversal les partage en leur milieu. La dernière, plus étroite, est faite sur une seule travée. L’architecte a-t-il voulu nous parler au travers de la géométrie sacrée ?
De solides piliers, cantonnés de quatre demi-colonnes couronnées de chapiteaux, recueillent les arcs en plein cintre délimitant l'espace des cinq travées. Au dessus de ces arcs s'ouvrent les baies jumelles des tribunes.
Les chapiteaux, dont les feuilles s’ouvrent de plus en plus en remontant vers le chœur, nous annoncent la transformation du pèlerin.
Les deux bas-côtés, recouverts d'une voûte d'arêtes, sont percés de baies rajoutées au XIXe siècle.
Sous le balcon sud nous retrouvons quelques consoles sculptées, qui nous racontent, telle une B.D. de l’époque, comment parvenir à se transformer : maitriser la dualité et se retourner. Le lion va nous y aider.
Le transept, légèrement saillant, est pris dans le massif des deux anciennes tours.
L’abside en cul de four, constituée d'un chevet à trois pans, protège un chœur de forme semi circulaire voûté en demi-coupole surélevé de quelques marches,
et un déambulatoire, sans chapelles rayonnantes, bordé de six colonnes. Depuis quelques années, on connait l'existence d'une confession (crypte de petite dimension dans laquelle était exposé le tombeau d'un martyr) sous l'autel provisoire actuel : la bouche d'accès profonde d'à peu près 2 m donne sur un caveau d'1,70 m de long et 0,75 m de large. A l'intérieur fut trouvé un ancien autel brisé (IXème ou Xème siècle).
Les parties hautes de l’église ne sont pas accessibles. Elles sont pourtant, d’après ce que j’ai pu en lire, intéressantes. Comme dans Saint-Philibert de Tournus, une chapelle est dédiée à saint Michel l’autre à Gabriel. On y parvient à l’aide de deux escaliers à vis qui débouchent au dessus des deux bras du transept.
Ces chapelles communiquent entre elles par un passage supérieur au niveau des combles (ce même passage conduit à une salle située au dessus de la demi-coupole du chœur) et avec les tribunes par de petits passages étroits.
C’est à l’intérieur de l’église Saint-Pierre que l’on sent tout ce que ce genre d’église peut apporter. L’ambiance est douce, enveloppante, mais très émouvante. Le parcours énergétique marche encore, et c’est les larmes aux yeux que j’en suis sortie. J’aurais aimé savoir quel saint ou quel martyr était vénéré dans la confession.
http://www.patrimoine-ardeche.com/visites/serrieres.htm
http://www.abbaye-champagne.com/themes/champagne/eglise/eglise.htm