L'église Saint-Marcel d’Iguerande
Historique
Les hommes se sont installés sur ce territoire depuis très longtemps, comme le prouvent les découvertes archéologiques d’une hache de porphyre poli, d’un bois de cerf taillé, et enfin d’outils beaucoup plus anciens, des bifaces, remontant à la période acheuléenne.
Le village, fondé sur l’une des sept collines de la commune, et dominant la vallée de la Loire, possède un nom gaulois : Iguerande (d’ Equoranda, limite par les eaux), poste frontière de la Gaule celtique entre les Eduens, les Arvèrnes et les Ségusiaves. Situé sur la voie reliant Feurs à Autun, les romains s’y installèrent et construisirent plusieurs villæ.
La première mention du village, sous le toponyme de Vuiranda, apparaît en 867. Au Xe siècle, le village possède trois églises : Saint-André, Saint-Jean-Baptiste et Saint-Marcel. En 938, Bernard fit don de ses propriétés d’Iguerande à l’abbaye de Cluny nouvellement fondée.
En 956, Maimbodus, évêque de Mâcon, donna à Cluny les revenus de l'église Saint-André. Une petite communauté de moines vint s’y installer. A la fin du IXe siècle, la puissante famille de Semur fit un don afin de reconstruire l'église.
En 1088, la prieure de Marcigny échangea avec Hugues, abbé de Cluny, sa seigneurie de Brezé-la-Ville contre le prieuré d’Iguerande. Les bénédictines firent alors reconstruire l’église, celle que nous pouvons voir aujourd’hui.
Commencés à la fin du XIe siècle par le chœur et le chevet, les travaux se terminèrent vers 1120. A cette époque, Iguerande formait toujours une frontière, mais cette fois-ci entre la langue d'oïl et le franco-provençal. Nous verrons plus loin que cela revêt une certaine importance.
Les moniales quittèrent le prieuré au XVIe siècle puis l’église Saint-André devint paroissiale au XVIIe. Elle prit alors le vocable de l’ancienne église, Saint-Marcel. Les bâtiments du prieuré furent détruits pendant la Révolution.
L’église, consolidée au XIXe siècle, est tout ce qu’il reste de ce passé glorieux. Classée Monument Historique en 1913, l’intérieur fut restauré en 1977.
L’extérieur
L’église Saint-Marcel d’Iguerande, posée au sommet de la colline, s’aperçoit de loin. Avec son clocher carré trapu et ses contreforts, elle donne une impression de solidité et de simplicité.
La façade, légèrement en saillie au niveau de la nef centrale, possède un portail en plein cintre surmonté d’une fenêtre ébrasée. Le tympan, encadré par une archivolte composée d'un gros tore, n’est pas sculpté.
Les pieds-droits qui portent le linteau sont des demi-colonnes munies de bases et de chapiteaux à sculpture plate.
Le mur méridional, percé de trois fenêtres en plein cintre probablement agrandies par la suite, est flanqué de puissants contreforts en talus, très imposants, qui furent ajoutés au début du XIXe siècle par précaution à la suite de travaux dans le cimetière attenant.
Le chevet, totalement roman, est un peu défiguré par la sacristie moderne colée sur l’absidiole méridionale.
La corniche est portée par des modillons sculptés, où l’on peut voir la progression d’un acrobate.
Le clocher, construit au-dessus de la croisée du transept, possède deux étages. L'étage inférieur est percé au nord et au sud d'une ouverture en plein cintre ornés de baies géminées. L’étage supérieur possède sur chaque face des baies géminées avec doubles colonnettes et grandes archivoltes.
L’intérieur
Le plan cruciforme de Saint-André d'Iguerande est classique : une nef centrale peu élevée et donc dépourvue de fenêtres hautes (église dite à nef obscure, éclairée par les fenêtres des bas-côtés) et deux bas-côtés de trois travées, un large transept saillant, un chœur d'une travée prolongée par une abside en hémicycle entre deux absidioles.
Le plan est classique, l’orientation l’est moins. L’église, contrairement à l’orientation générale des édifices romans par rapport au lever du soleil à l’équinoxe de printemps, est décalée de 60° au nord/ouest, ce qui la met en ligne avec le lever du soleil au solstice d’été et le coucher du soleil au solstice d’hiver. Elle est également calée sur la date de la fête de son saint patron, André. Vous pouvez aller voir la symbolique d’André ici.
Vous pouvez aussi imaginer le rapport particulier de l’église à la course du soleil, ce qui va faire d’elle une voie de transformation réservée aux initiés (l’église a spécialement été construite, ne l’oublions pas, pour des moniales qui normalement devaient être au courant).
Le sens du parcours du pèlerin en est changé, et donc la lecture des chapiteaux se fera dans un ordre différent de l’habituel : nous partirons, dans cette église solaire, dans le sens lévogyre.
Les travées de la nef centrale sont voûtées en berceau, séparées par les arcs doubleaux.
Les bas-côtés sont voûtés d'arêtes et communiquent avec la nef par de grandes arcades en plein cintre.
Une coupole octogonale sur trompes en cul de four s'élève sur la croisée du transept.
L’abside centrale est divisée par sept arcatures sur colonnettes et chapiteaux. Les fresques représentant saint Pierre et saint Paul datent du XVIe siècle. Le décor peint sur les voûtes et arcs est quand à lui du XIXe.
Les chapiteaux
Les chapiteaux d’Iguerande, datés de la fin du XIe siècle, et donc parmi les plus anciens du Brionnais, sont remarquables sur plusieurs points. Comme dit précédemment, ils furent sculptés pour des moniales et non pas pour le simple pèlerin.
Remarquons une première chose : les piliers de la nef sont de plan carré et chacune des faces est cantonnée d’une demi-colonne engagée, alors que ceux de la croisée des transepts sont de plan cruciforme avec deux faces plates (les demi-colonnes engagées, pour les deux premiers, sont situées sur la face tournée vers l'axe de la nef et sur la face orientale. Pour les suivants, c'est la face orientale et la face occidentale). Allez sur place avec votre boussole, et regardez la direction vers laquelle sont tournés les personnages sculptés des chapiteaux. Nous sommes dans la symbolique des orientations.
Partons maintenant sur les pas du pèlerin, qui, ici, comme nous l’avons vu, est normalement déjà un adepte, et commençons notre lecture des colonnes et des chapiteaux. Nous allons nous trouver en plein art du grimoire, avec le langage des oiseaux, et des symboles qu’il ne faudra pas lire au niveau du parlant, mais à celui du signifiant puis du cachant.
Première halte, côté solaire (c'est-à-dire au sud) où nous trouvons une embase de colonne sculptée d’un veau à la tête renversée, les yeux fermés. D’aucuns vous diraient qu’il est normal de trouver un veau dans un pays d’élevage comme le Brionnais… Certes, mais alors pourquoi la tête est-elle à l’envers et pourquoi ferme-t-il les yeux ?
Et de pencher la notre, pour voir vers quoi elle est tournée, donc vers le chapiteau, si nous ne parlons pas le langage des oiseaux. Car bien sûr, il ne faudra pas faire comme lui, se pencher, s’abaisser, s’incliner, se courber, en position de soumission, il ne faudra pas être des veaux. Des veaux, mais oui, dévots ! Au contraire, nous devons nous redresser, tels des initiés, afin d’apercevoir la promesse que le lieu nous donne.
Le chapiteau, la promesse, représente la Jérusalem céleste, dont la base n’est pas sur terre, mais bien dans le ciel, proche du tailloir. Nous allons trouver sur la corbeille des feuilles, puis des fleurs et enfin un fruit, signe d’une transformation de l’être assurée. Ce fruit n’est autre qu’une grenade, assimilée à la fécondité, à la prospérité, associée aux relations sexuelles et à la procréation.
La grenade orna les colonnes du temple de Salomon et aussi l’éphod, robe des Grands Prêtres hébreux. Robert-Jacques Thibaud en parle en ces termes : "La grenade, par la grande quantité de ses grains, symbolise la permanence et la multitude des expériences possibles ou nécessaires dans le monde physique. La grenade illustre aussi une communauté réunie, tels les membres d'une église". Le message est passé pour les petites moniales bénédictines du XIe siècle.
Les expériences, nous allons les faire lors du cheminement dans l’église. Les chapiteaux suivants présentent des feuilles, des fleurs et des fruits, en progression jusqu’au chœur. Là, nous allons une nouvelle fois parler le langage des oiseaux. Les piliers ayant une face côté chœur, donc visible uniquement par celui qui peut entrer dans le saint des saints, nous présente des chats (voir la symbolique ici).
Le chat fut peu représenté dans la sculpture romane. Il est vrai que l’église avait déjà commencé ses abus de pouvoir et transformé l’animal déifié égyptien en représentant du diable. Le premier, côté droit donc solaire, représente des chats qui, à première vue, tirent la langue. En regardant mieux, on s’aperçoit que les langues sont des dents pointues, des canines. Les chats possèdent donc des dents. Ces dents se rapprochent à leurs extrémités. Que disent les chats ? « Dent j’ai rapprochée ». Danger rapproché ?
Sur le deuxième pilier, de l’autre côté du chœur, au nord donc lunaire, les dents sont éloignées à leurs extrémités, les chats vont donc dire « dent j’ai écartée ». Danger écarté ! Mais quel est donc ce danger dont les sculpteurs de pierre du XIe siècle nous préviennent ? Les sensitifs le sentiront immédiatement : sous le premier pilier se croisent des réseaux telluriques.
Ce croisement, appelé nœud, nous est donc indiqué par les chats qui, rappelons-le, captent l’électromagnétisme par leur vibrisses (autrement dit ses moustaches) et affectionnent particulièrement ces endroits pour y passer les heures de sieste. Une autre constatation : le pilier se trouve au point tangent des axes des équinoxes.
En face des premiers chats se trouvent des piliers représentant des feuilles. Entre elles, au centre, la première fleur alchimique, et sur le côté, un pilier d’église. Le pèlerin a déjà fait un bout de chemin, mais devra encore une fois faire attention à ne pas être dévot. Il peut regarder au fond de lui, trouver sa lumière intérieure, afin de progresser vers le divin. Cette maitrise demande un réel travail sur soi, et n’est pas sans danger, les chats nous ont prévenus.
près avoir lu, lu, relu les chapiteaux, prié devant l’oratoire du chœur, nous allons nous retrouver devant le pilier où se trouvent cette fois-ci les 3 fleurs alchimiques du grand œuvre, parfois portées par le pilier ecclésiastique. Les chats nous apprennent que le danger est écarté et nous allons pouvoir travailler (un dur labeur nous attends) et, poursuivant notre chemin, pourquoi pas trouver. Lege, lege, relege, ora, labora et invenies.
Le pèlerin va suivre sa route en descendant côté lunaire. Plusieurs chapiteaux feuillus laissant apparaître des fleurs mais surtout des fruits en forme de grenade, sculptés par trois sur trois niveaux : nous sommes bien sur le corps, l’âme et l’esprit.
Ces trois grenades par chapiteau (voir la symbolique ici), on les a trouvées une première fois attachées au ciel au début du chemin, encore inaccessibles, une deuxième fois plus proche de nous puis à notre portée, figurant les 3 éléments de chacune des phases de l’œuvre, noir, blanc puis rouge, à travailler 3 fois chacune pour arriver à la pierre philosophale.
Nous arrivons cette fois devant le pilier énigmatique que les guides Duchemin nous présentent comme étant la représentation d’un cyclope musicien et d’un joueur de harpe. Regardons tout d’abord les feuillages : ce sont des fougères.
Le joueur de harpe est un lion. Il est tourné vers le personnage au visage rond avec un œil unique et une corne sur le front qui joue de la flûte de Pan. Je vous invite à rechercher la symbolique de tous ces éléments (fougère-lion-harpe-cyclope-œil-flûte-Pan-corne), symbolique que je développe lors du stage que j'organise en Brionnais.
Nous terminerons avec le chapiteau des joueurs de trompe. Deux hommes sortant des feuillages portent chacun une trompe. Le mot « trompe » désigne tout instrument de musique à vent à embouchure, formé d’un simple tube évasé en pavillon.
La symbolique de l’olifant, du cor, de la trompe et de la trompette est donc sensiblement la même. D’après Eugène Viollet-le-Duc, « l'olifant était un cor de guerre et de chasse, servant à donner des signaux, à rallier les troupes. L'olifant était donc un instrument considéré comme noble que portaient les chefs, ou un homme qui les suivait. L'olifant était alors une marque distinctive de commandement, de dignité ».
Le cor, quand à lui, annonce des nouvelles, bonnes ou mauvaises, il alerte, il proclame, il signale.
J’ai trouvé une belle définition de la trompette sur le net : « La trompette, attribut de Gabriel, le Régent de la Lune et des anges, sert à sonner l’appel à l’éveil, souvent appelé le Réveil des morts ou le Retour au Royaume du Père, dans un éclat d’énergie. Elle règle les principaux moments du jour et annonce les grands moments historiques et cosmiques.
Elle associe le Ciel et la Terre dans une célébration commune, soulignant toute conjonction importante d’éléments et d’événements marqués par une manifestation céleste destinée à la Terre et à ses habitants. Elle lance l’appel victorieux de l’Esprit, le Principe unificateur et sublime de la Matière, et confère le plus haut degré de l’Initiation. Elle affirme la foi agissante qui permet d’organiser l’assaut et le triomphe sans combat ».
Un des personnages, celui de droite, regarde, les yeux bien ouverts, le soleil couchant, la disparition de la lumière, l’ouest qui porte la symbolique de la vie de l’âme, des racines profondes de l’être. Il a fini le chemin, il est devenu connaissant, de lui-même et de ce qui l’entoure. Il va faire passer son message par l’intermédiaire de sa trompe, qui va figurer le souffle divin, et dont on peut remarquer les ondes sortant du pavillon gravées dans la pierre.
Le personnage de gauche se tient encore au feuillage par sa main droite, mais ses pieds se retournent vers le ciel, comme un acrobate en train de se retourner. Il a les yeux fermés, cherchant encore en lui le miroir de son âme (l’œil est le symbole de la perception intellectuelle). Il tient sa trompe de la main gauche, qu’il porte à son oreille, écoutant le message du connaissant. Il regarde le nord, qui symbolise la promesse d’une résurrection.
Comme notre ami le cyclope, il porte une corne, mais double cette fois. La corne relie de terrestre au céleste. C’est un symbole solaire, principe masculin associé à la puissance et à la force, à la pénétration (le bélier), mais elle sera aussi lunaire (porté par le taureau), principe féminin du réceptacle, de la fertilité, de l’abondance.
Iguerande a mené à bien sa mission, la transformation de la force brute à l’harmonie, que l’on atteindra par l’éveil de la conscience et la maitrise des vibrations, qu’elles soient telluriques ou cosmiques, lunaires ou solaires, masculines ou féminines.Nous pourrons alors prendre le chemin de l'initié, au centre.
Nous trouverons alors, côté solaire mais face au nord, l'embase d'une colonne sur laquelle nous trouvons l'arbre de la connaissance...
Côté lunaire mais regardant le sud, toujours sur l'embase d'une colonne, deux animaux que les guides Duchemin nous présentent cette fois comme étant soit un lion à crinière, voire le Diable s’ils se sont levés du mauvais pied le matin même, et un veau. Regardons mieux. Notre lion a de bien belles moustaches de chat, comme ceux que nous avons vu dans le chœur.
Cette fois pourtant il est différent. Ce chat porte une chevelure totalement solaire et tient dans ses pattes un poisson. C’est un saumon, l’animal que les Celtes considéraient comme le symbole de la sagesse et de la connaissance. Homologue du sanglier, il détenait la science sacrée et reliait le monde lunaire invisible au monde solaire sensible. Et n’oublions pas que le saumon remonte à la source.
Notre veau a bien changé depuis tout à l’heure. Il est couronné, n’est plus dévot, cette fois ses yeux sont bien ouverts. Il est agenouillé, mais ses pattes se relèvent vers le ciel, signe que le chemin a bien été parcouru et que l’initié est parvenu à se transformer. Il regarde vers l’est, vers le lever du soleil à l’équinoxe.
Nous allons pouvoir remonter vers le chœur, où, au sud, côté solaire, nous trouvons des têtes de lions. Ils sont placés au sommet des deux colonnes du temple, les seules qui n’ont aucune utilité architecturale dans l’édifice. Elles n’ont pour unique fonction que de montrer la limite entre l’église haute et l’église basse, préfigurant l’entrée du sanctuaire.
Maitre des animaux depuis que les romains l’ont imposé à nos ancêtres celtes à la place de leur ours, le lion symbolise ici le pouvoir royal, la force et le courage. Sur le chapiteau, les lions sont situés au niveau supérieur de la corbeille, près du tailloir, donc symboliquement près du ciel. De leurs gueules s’échappent des végétaux, la parole de vie, qui vont aboutir à une stylisation de fleur. L’adepte est bien parvenu à la fin du chemin, il va pouvoir en récolter les fruits.
En face des lions, sur la deuxième colonne du temple, des aigles, équivalent spirituels du pouvoir temporel du lion. Nos aigles ont les ailes déployées, comme pour préfigurer un envol. Les pattes reposent sur le sol, le chemin est terminé. L’aigle représente l’apogée de la progression humaine, nous y sommes.
http://www.sitesclunisiens.org/article.php?sid=140
Jean Virey, L'Architecture Romane dans l'Ancien Diocèse de Mâcon, Mémoires de la Société Eduenne, tome XVIII (1890)
http://pjpmartin.free.fr/site/Iguerande_Virey.htm
https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89glise_Saint-Marcel_d'Iguerande*
http://www.iguerande.fr/iguerande-site-clunisien#clunisien
http://www.bourgogneromane.com/edifices/iguerande.htm
http://www.iguerande.fr/histoire-d-iguerande
http://www.arcturius.org/chroniques/le-symbolisme-des-instruments-de-musique/