Saint Patrick
Saint Patrick et la christianisation de l'Irlande
par Jean Guiffan, chargé d’enseignement à l’université de Nantes
Une
très ancienne tradition irlandaise fait de saint Patrick, de son nom
chrétien de naissance Maewyn Succat, l'évangélisateur de l'Irlande dans
le second tiers du Vème siècle.
Amplifiées avec le temps, de
nombreuses légendes courent autour de ce saint patron mais, faute de
repères historiques précis, il est difficile à son sujet d'extraire la
réalité du merveilleux. Les
documents anciens attribués à Saint Patrick ou à ses disciples, deux
écrits latins : la Confession et la Lettre aux soldats de Coroticus,
sont sujets à caution et les récits de ses premiers biographes, Muirchu
et Tirechan, ne sont pas très fiables : rédigés au VIIème siècle, lors
du conflit entre Rome et les chrétientés celtiques, ils épousent
manifestement les thèses de la cause romaine. C'est donc avec une
extrême prudence que Jean Guiffan, auteur d'une Histoire de l'Irlande,
a tenté de retracer la vie de saint Patrick.
La vie et la mission de saint Patrick
"Issu
d'une famille bretonne romanisée et christianisée (son père était
décurion et diacre), Patrick serait né vers 385-390 près de Dumbarton,
au nord de l'Angleterre actuelle. Il aurait été enlevé à seize ans par
des pirates scots, c'est-à-dire à cette époque irlandais, et emmené en
Ulster, dans le comté d'Antrim, devenant pendant six ans l'esclave d'un
druide.
Obéissant
à une vision divine, il se serait évadé, réussissant à rejoindre sa
famille en Grande-Bretagne. Là, si l'on en croit la Confession, il
aurait eu une autre vision dans laquelle les Irlandais l'imploraient
pour qu'il revienne parmi eux.
Patrick
va acquérir en Gaule la formation religieuse qui lui manque. Selon
certaines sources, il aurait rendu visite à saint Martin de Tours, ce
qui n'est chronologiquement pas possible. Une autre tradition tardive
qui le fait séjourner à Lérins, fondation monastique du sud de la
Gaule, semble également dépourvue de tout fondement. En revanche, il
est possible qu'il se soit fixé à Auxerre, comme l'affirme "La vie de
Saint Patrick de Muirchu", et même qu'il ait été consacré des mains de
saint Germain avant d'être envoyé en Irlande par le pape Célestin.
D'après
les Annales d'Ulster, Patrick serait arrivé dans l'île en 432,
débarquant à Saul, près de Downpatrick. Selon la tradition, c'est lui
qui aurait converti l'île païenne au christianisme en défiant les
druides dans des joutes singulières comme l'épreuve du feu et en
expliquant le mystère de la Sainte Trinité par la feuille trilobée du
trèfle qui deviendra, avec la harpe celtique, le symbole de l'Irlande.
S'adressant de préférence aux rois et à leur famille pour convertir
ensuite plus facilement le reste de la population, il aurait été
pendant une trentaine d'années, avec quelques disciples, l'infatigable
propagateur de l'Évangile en Irlande, baptisant des milliers de
personnes, fondant de nombreuses églises et l'évêché d'Armagh.
Si
des incertitudes planent sur la date exacte de sa mort, sans doute vers
461, (la légende parle du 17 mars, jour de sa fête actuelle) il n'en
demeure pas moins qu'à la fin du Vème siècle, l'Irlande païenne était
bien entièrement christianisée. On pense que la plupart des druides
devinrent moines, adoptant la religion chrétienne. Il est enterré aux
côtés de sainte Brigitte et de saint Columcille, tous deux également
patrons de l'Irlande."
La tradition face à l'histoire
"Sans
vouloir offenser la tradition irlandaise ni diminuer les mérites de
saint Patrick, il est difficile de croire qu'il ait trouvé en 432
l'Irlande vierge de toute influence chrétienne alors que l'île voisine,
la Grande-Bretagne, avait été touchée par la nouvelle religion au moins
deux siècles plus tôt. Il est probable que le message chrétien avait en
fait déjà été introduit dans l'île par des missionnaires venus de
Grande-Bretagne, d'Aquitaine, d'Espagne ou même d'Orient dès la fin du
IVe siècle ou les débuts du Ve siècle.
La chronique de Prosper d'Aquitaine, source généralement digne de confiance, nous apprend d'ailleurs qu'en 431 le pape Célestin avait envoyé en Irlande un certain Palladius comme évêque pour les Irlandais "croyant dans le Christ", in Christum credentes. Cela implique l'existence de communautés chrétiennes en Irlande avant l'arrivée de saint Patrick et souligne la volonté de Rome de les faire entrer dans l'obédience pontificale. On ne sait malheureusement rien de plus sur la mission de ce Palladius mais, comme le montre la création de l'évêché d'Armagh vers 445, c'est bien une Église épiscopale de type continental que Rome a cherché à implanter en Irlande.
Or
c'est sous la forme du monachisme que le christianisme va se développer
dans l'île aux VIème et VIIème siècles. Sans remettre en cause
l'organisation diocésaine existante, l'Irlande se couvre alors de
nombreux monastères indépendants les uns des autres qui deviennent les
véritables centres de la vie religieuse. Leurs saints fondateurs ne se
réfèrent jamais à Palladius ou à Patrick dont on semble même oublier le
nom. Isolée de la papauté romaine par les invasions barbares,
l'Irlande, comme les autres pays celtiques, va être pendant près de
deux siècles le grand refuge du christianisme occidental face à un
continent retombé en partie dans le paganisme, mais un foyer original
que Rome ne tardera pas à reprendre en main."
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