La légende

Spérie, fille de Sérénus, duc de Saint-Céré, et de dame Blanche, son épouse, naquit en l’an 740. Très pieuse, elle se voua à Dieu dès son plus jeune âge. Elle devint une magnifique jeune fille, très convoitée par les fils des seigneurs voisins. Ses parents moururent et ce fut son frère, Clarus, qui s’occupa d’elle.
Leur cousin, Hélidius, qui ne pensait qu’à accroitre son domaine de Sousceyrac en faisant la guerre à tout ce qui entravait ses projets, s’attaqua à Clarus. Le frérot connut des jours meilleurs, et pour éviter une guerre coûteuse, accepta la proposition de ses pairs de donner en épousailles sa sœur à son cousin.
Spérie, donc, apprit la bonne nouvelle de son futur mariage. Mais elle ne l’entendit pas de cette oreille, elle qui avait déjà fait vœu de chasteté. Elle se retira dans ses appartements, se vêtit d’habits de paysanne, et ainsi travestie, s’enfuit du château en compagnie d’une fidèle servante. Elle traversa la Bave, marcha environ deux lieues et alla se réfugier dans la forêt de Largentié, près d’Ayrac. À côté d’une source d’eau claire elle trouva un vieux chêne creux et s’installa à l’intérieur de son tronc. C’est ici qu’elle passa plusieurs mois, cachée aux yeux de tous, avec pour seule compagnie les animaux de la forêt. Sa servante lui apportait de temps en temps et dans le plus grand secret quelque nourriture.
L’Ennemi, l’adversaire, vint alors la tenter, lui susurrant que la virginité n’était pas la meilleure voie pour le salut de l’âme puisque Dieu avait ordonné aux hommes de se multiplier, qu’elle faisait preuve d’égoïsme et que par sa faute son frère et son cousin allaient entrer en guerre impliquant de nombreuses vies humaines sacrifiées. Spérie renvoya le tentateur et reprit ses prières.
Son frère Clarus la chercha longtemps, persuadé qu’elle avait un amoureux secret. Il ne la trouva pas, et se demanda si elle n’avait pas mis fin à ses jours par peur du mariage. Un peu plus tard, cette fois-ci accompagné de son cousin avec lequel il s’était arrangé, il reprit les recherches.
Alors que leur troupe passait non loin du chêne de Spérie, un des hommes voulut se désaltérer à l’eau du ruisseau qu’il remonta un peu afin d’en trouver la source. Il vit alors Spérie en prière dans son arbre, s’en revint vite raconter l’histoire à son maitre. D’autres disent que ce fut son lévrier qui la retrouva. Quoi qu’il en soit, Clarus et Hélidius arrivèrent jusqu’à la cachette.
Spérie sortit de son chêne et Clarus lui demanda de les suivre afin qu’ils puissent une bonne fois pour toutes sceller l’union des deux familles. La jeune fille refusa, disant qu’elle était déjà unie à son Seigneur jésus Christ. Humilié, Hélidius lui dit : « où tu seras mon épouse, ou tu ne le seras d’aucun. »
Devant le nouveau refus de Spérie, Hélidius la saisit par les cheveux, et dans un accès de rage, la décapita avec son épée. Alors la sainte prit sa tête dans ses mains et marcha jusqu’à une fontaine où elle la lava, puis elle mourut. Les habitants alentours, devinant qu’elle était bienheureuse et martyre, la déposèrent dans un sarcophage muni d’un trou rectangulaire afin de pouvoir toucher son corps béni, et construisirent une chapelle pour le protéger ainsi que la fontaine qui devint miraculeuse. Un pèlerinage fut organisé, et une foule nombreuse vint se recueillir devant le corps.
L’étymologie

Le prénom du père, Sérénus, provient directement du latin serenus, qui veut dire sec, limpide en parlant du temps, mais aussi serein, calme, tranquille ou bien pur, brillant, clair. Le prénom Blanche est issu du germanique blank, qui veut dire clair, brillant, éclatant. La mère est appelée parfois Blandine. Clarus, le fils de Sérénus, est directement issu du latin clarus, clair, qui a l’éclat du jour, de la lumière. Le cousin, baron de Castelnau pour les uns, sire de Sousceyrac pour les autres, prend suivant les versions différents prénoms : Élidius, Ellidius, Hellidius ou Hélidius, qui font penser au dieu grec du soleil, Hélios. Ca fait déjà beaucoup de lumière, non ? Quand au prénom Spérie, il est issu du latin sperare, l’espoir.
Poussons un peu plus loin. Du latin serenus est issu l’adjectif serenator, qui rend le ciel serein, épithète (épiclèse) de Jupiter chez les romains. Cet adjectif est apparenté à seirios qui a donné Sirius, l’étoile de la canicule, dans la constellation du Grand Chien, l’étoile la plus brillante du ciel. La colline sacrée où a été édifié le premier oppidum porte donc le nom du roi des dieux. Jupiter eut un fils aussi brillant que lui, Apollon, le dieu de la lumière, des Arts et de la divination, qui parfois conduit le char d’Hélios, le soleil. La sœur jumelle d’Apollon, Diane, est une vierge farouche qui demanda à son père de garder sa virginité en raison de son aversion pour le mariage. Tout ça me rappelle quelque chose…
Nous avons donc une colline sacrée où se tenait probablement un culte à un dieu lumineux, qu’il soit appelé Gargan, Lug, Belenos ou Cernunnos, Jupiter ou Apollon, remplacés chez les chrétiens par saint Michel. Ici, la colline fut dédiée tardivement à saint Laurent, pas à saint Michel. Mais… Laurent est issu du latin laurentius, celui qui porte le laurier. L’arbre sacré d’Apollon, c’est le… laurier, porté ensuite en couronne sur la tête de ceux qui s’attirent gloire et victoire. Dans la chrétienté, le symbole va devenir la représentation de la victoire de la nouvelle religion sur le paganisme de nos ancêtres.
Nous allons retrouver dans la légende des éléments issus des anciennes traditions celtes : le chêne, arbre sacré des druides dans lequel la sainte trouve refuge, la source sacrée souvent reliée à une déesse-mère et au culte des eaux, et le nom de la forêt de Largentié. L’argent et les noms de lieux reliés à son étymologie sont souvent des endroits où se trouvaient les collèges de druidesses.
Le symbolisme

Les saints chrétiens portant leur tête après leur mort sont appelés des céphalophores, du grec képhalê, la tête, et phorein, le verbe porter. En général, l’hagiographie suit un même schéma, toujours très symbolique : le saint traverse de l’eau, grimpe une côte, rejoint un lieu choisi par lui pour sa future sépulture. Il lave alors sa tête dans l’eau d’une fontaine ou d’une source, la pose sur une pierre qui restera marquée par son sang.
La tête symbolise au départ l’esprit agissant, l’activité, la volonté, la force vitale. On retrouvera cette idée dans toutes les traditions, le symbole est totalement universel. Mais la tête est surtout le siège du mental. La perdre signifiera l’abandon des barrières mentales qui empêchent l’avancée sur la voie de l’initiation. La porter au niveau du cœur va montrer que c’est cette voie qui faut suivre, en maitrisant le mental et laissant l’ego en arrière.
Au final, la légende de Spérie nous propose une initiation. L’initiation et les mystères initiatiques ont de tout temps été perpétrés en secret, au sein des grottes, des cryptes, des souterrains, durant la nuit. Le « myste », celui qui va être initié aux mystères, va mourir au monde profane et devenir un homme nouveau. Il retrouvera alors au matin la lumière du jour. C’est l’équivalent des anciens rites de passage, où il fallait passer à travers une pierre percée ou un tunnel, un arbre creux, comme un nouveau-né passe par la vulve de sa mère pour sa naissance.
Spérie va laisser derrière elle ses habits de princesse pour revêtir les habits plus humbles d’une servante, elle va se dépouiller des biens terrestres, pour ne pas s’en encombrer, mais cela peut représenter aussi le fait de vider son esprit de toutes ses émotions afin d’accéder plus facilement à la connaissance. Le fait qu’elle traverse la Bave, la rivière, nous indique qu’elle possède une certaine maitrise des énergies. C’est une première étape. Ensuite, elle se réfugie dans un ermitage, le creux de l’arbre s’apparentant ici à la grotte. Là, elle maitrise les énergies telluriques. Elle se retrouve seule, en réclusion initiatique. La tentation va venir, sous la forme du malin. Elle va réussir son initiation, il ne manquera plus que sa transformation finale. Elle va l’obtenir en purifiant son mental, représenté par la tête. Elle la perdra donc, la posera au niveau de son cœur en la portant, montrant par là même qu’elle est sortie de la voie du mental pour prendre justement celle du cœur. Le mental ne sera plus son maitre mais la servira pour l’aider à sa transformation et à la maitrise des énergies. La sainte va alors suivre les courants telluriques, marchant en portant sa tête, jusqu’au lieu choisi pour sa dernière demeure, le lieu sacré par excellence. Elle va laver sa tête dans l’eau d’une source, la source représentant un commencement, une naissance. La sainte va pouvoir naitre à une nouvelle vie, à un niveau supérieur. Elle aura pour ça subi les épreuves initiatiques, purifié son mental et maitrisé sa transformation.