Moussages
Il est des lieux plus puissants que d’autres. Cela tient souvent aux énergies du ciel et de la terre qui les ont façonnés et aux forces naturelles particulières qui en émanent. Situé au cœur du Massif Central, les Monts du Cantal, vestiges du plus grand stratovolcan d’Europe en font partie.
Cet énorme et unique volcan, dont l’activité débuta il y a environ 13 millions d’années, mesurait près de 70 km de diamètre. De son centre, une vingtaine de rivières puis de glaciers ont formé des vallées rayonnantes, découpant les plateaux basaltiques triangulaires ou planèzes. Bizarrement, chacune de ces vallées ou presque abritait en son sein ou menait à une Vierge Noire. L’étymologie du nom du Mont du Cantal, Mons Cantallu, nous renvoie au gaulois cant, qui veut dire brillant. Du temps des romains, il fut appelé Mons Celtus, traversé par la via Celtica.
Le Puy Mary, avec ses 1783 m d’altitude, fait partie des plus hauts sommets. Son nom provient non pas de la Vierge Marie comme on pourrait s’y attendre, mais de Marius, qui évangélisa la Haute Auvergne vers le VIe ou VIIe siècle (certains disent qu’il fut le disciple de saint Austremoine).
Le Puy Mary s’est formé il y a 6,5 millions d’années par l’accumulation de lave visqueuse autour de la cheminée centrale. Au Quaternaire il fut érodé par les glaciers, ce qui lui donna sa forme pyramidale. Il est entouré de 7 vallées glaciaires qui partent en étoile depuis son sommet.
La vallée du Mars est l’une d’elles. Le Mars prend sa source dans le cirque glaciaire du Falgoux, du nom du premier village de la vallée où se situe la ferme de mes ancêtres, et se jette dans la Sumène après avoir parcouru une trentaine de kilomètres.
La vallée, tout d’abord en forme d’auge ou en U, avec des pentes douces propices à l’implantation humaine (s’y trouvent des châteaux, des maisons de maitre, des moulins, des fermes, des granges et des burons), se termine en V après les villages de Pons et de Montbrun, avec des parois escarpées inutilisables.
Moussages
Près de ce verrou se situe le village de Moussages, éloigné de 3 lieues de Mauriac. Les premières traces connues d’une présence humaine remontent à l’époque romaine, comme le démontrent les fouilles opérées près de Valens, au lieu-dit Le Rampant.
Moussages, cité dans la charte de Clovis (la fausse charte dite de Clovis est un polyptique daté du IXe siècle -mentionné en 822- recensant les biens de l'abbaye de Saint-Pierre-le-Vif de Sens, dans l'Yonne), devint au Moyen-âge une seigneurie annexée à celle de Claviers, relevant des évêques de Clermont.
Le bourg possédait son château, la Valmaison, détruit pendant la Révolution. Il était dressé près de l’église romane dédiée à saint Barthélémy, l’un des 12 apôtres, celui que l'Église apostolique arménienne considère comme le « premier illuminateur du pays d'Arménie ». A noter, une ancienne coutume du village : les curés de Saint-Barthélemy de Moussages se devaient de donner à manger, une fois l’an, la veille de la fête du saint patron, à tous les chefs de famille du village.
L'église Saint-Barthélémy fut, d’après la datation de son portail (ici un ancien tympan déposé dehors), probablement construite au XIe siècle. Maintes fois remaniée, elle possède encore une abside du XIIe siècle dont les modillons ne laissent aucun doute sur le sens de l’humour des imagiers de l’époque.
Quel retournement, là où la tête de la bête, passant entre ses pattes, vient lécher la matière lourde sortant de son cul ! Quel chemin à parcourir avant de pouvoir devenir homme ! Celui-là tient entre ses mains sa barbe, symbole de connaissance et de sagesse. Mais elle est divisée en deux. Il est difficile de sortir de la dualité…
Le clocher est beaucoup plus récent.
A l’arrière de l’église, une fontaine à bassin octogonal en pierre, du XVIIIe siècle, montre une partie centrale décorée de mascarons (ornement représentant un masque, une figure humaine, à la fonction apotropaïque, c’est-à-dire servant à conjurer le mauvais sort ou à éloigner les esprits maléfiques) : ici des dauphins stylisés crachant l’eau et une tête d’homme barbu et ricanant couronnée de feuillages.
L’intérieur est assez sobre.
Le centre du chœur est occupé par une ancienne croix de cimetière du XVe siècle : un croisillon fleuronné surmonte d’un côté le Christ et de l’autre la Vierge Marie. Sous une stalle, peut-être un ancêtre gaulois avec ses moustaches
A l’entrée du chœur, sur la gauche, une niche en hauteur contient une statue romane de la plus pure tradition auvergnate, Notre-Dame de Claviers.
Cette Vierge noire en majesté se rapproche de sa sœur de Heume-l’Eglise et non pas de la Vierge Morgan du Metropolitan Museum of Art de New-York comme j’ai pu le lire sur le net. Mais elle n’est pas à sa place. En effet, elle est restée bien longtemps dans l’ancienne chapelle castrale de Jailhac.
Jailhac
Le hameau de Jailhac se situe à quelques encablures de Moussages. Un chemin bordé de talus en descend au milieu des champs vers une petite chapelle romane située aux pieds d’un éperon rocheux où se situait le château de Claviers dont dépendait la seigneurie de Moussages.
C’est dans cet écrin que trouva refuge l’une des plus belles Vierges noires d’Auvergne. Des documents trouvés dans la chapelle parlent d’un ancien village, Corbeyre (racine pré-indo-européenne korb, désignant des lieux montagneux), entièrement détruit vers 1523 lors des guerres de Religion. Son église abritait une Vierge en majesté qui fut sauvée par un villageois et transportée dans la chapelle du château de Claviers dont elle tire son nom actuel.
La butte castrale domine la vallée du Mars. Du château ne restent que quelques pans de murs épars, montrant la présence une double enceinte.
En son centre se trouve une source (résurgence) abritée par un bâti en pierre. Les seigneurs de Claviers, connus depuis 1109, portaient le titre de baron. Le nom de Claviers provient du radical latin clavis, la clé, et du suffixe ier, désignant une personne réalisant une action, un métier. Donc, le seigneur de Claviers serait un maitre des clés…
Plusieurs légendes attachées à ce lieu nous sont parvenues.
L’une d’elles parle d’un baron de Claviers, homme détestable et tyrannique vivant au XIVe siècle, qui interdit le mariage de sa fille avec Rigaud de Montclar, dont elle était amoureuse, lui préférant le fils du comptour d’Apchon, de plus haute lignée. Le rejeton de cette illustre famille, dont la devise « haut et clair » fut reprise plus tard par toute l’Auvergne, était pourtant bossu et borgne. La jeune fille tint bon et refusa cette union. Le baron, furieux, blessa le jeune amoureux. La demoiselle le croyant mort, elle mit le feu au château de son père et mourut dans les flammes. Il ne resta que la chapelle… Fin de Claviers. Historiquement, un certain Brun de Claviers prit part à la révolte des nobles d’Auvergne qui défendirent leurs privilèges contre le clergé en 1328. Ceci expliquant peut-être cela. Un certain Rigaud de Montclar devint moine bénédictin et finit prieur du Port-Dieu en Corrèze vers 1335…
Une autre légende parle d’un jeune pâtre de Jailhac à qui un ange rendit visite, lui montrant une statue de la Vierge posée dans l’herbe près d’une source. L’enfant rapporta la statue chez lui, mais le lendemain, elle disparut. On la retrouva près de la source et on décida alors de lui construire en ce lieu une chapelle. Bientôt le nombre de pèlerins augmenta, l’eau de la source étant devenue miraculeuse.
Une autre encore parle des frères Guy et Raoul, coseigneurs de Scorailles, qui prirent le chemin de l’Orient lors de la première croisade en 1096. Raoul, avant de partir, fit don d’une statue de la Vierge à la chapelle de Jailhac. Etant très généreux, il en offrit deux autres, une au château de Scorailles et une à Saint-Christophe-les-Gorges. Ils revinrent en 1115 avec les chefs des saints Côme et Damien, qu’ils offrirent à l’abbaye de Brageac (Côme, saint patron des chirurgiens, et son frère Damien, saint patron des pharmaciens, nés en Arabie, souffrirent le martyre sous Dioclétien, en 303 ou 310. Ils sont dits « anagyres », sans argent, car ils soignaient gratuitement).
La chapelle castrale, placée sous le vocable de l’Assomption de la Vierge, date des XIe et XIIe siècles. Sa construction remonte en tout cas avant 1109. Elle devint église paroissiale en 1519 et fut presque oubliée jusqu’au XIXe siècle.
A cette époque, vers 1870, François Lesmarie, vouant sa vie à Dieu après la guérison miraculeuse de son cancer du visage par le curé d’Ars, s’y installe en ermite.
Aidé des paroissiens, il rénove le bâtiment et sculpte un chemin de croix sur la butte castrale, où il fait ériger une statue de la Vierge Marie.
Le pèlerinage reprit de plus belle, et tous les dimanches précédant le 15 août (une semaine avant l’assomption de la Vierge) et les 8 septembre (fête de sa nativité), une foule se presse sur le perron semi-circulaire qu’il fit aménager devant la chapelle.
La chapelle, de plan rectangulaire, possède un magnifique clocher-peigne et un chevet roman très dépouillé.
A l’intérieur, une abside semi-circulaire voûtée en cul de four dans laquelle, sur la gauche, s’ouvre une petite niche contenant la copie de Notre-Dame de Claviers ; l’originale, victime de sa notoriété, est conservée dans l’église de Moussages, sous verre et protégée par une alarme. Malheureusement, je n’ai pas eu le temps d’aller chercher le maitre des clés et la porte est restée fermée.
Notre-Dame de Claviers
Cette Vierge en majesté fait partie de la statuaire auvergnate romane. Elle fut remarquée par André Malraux qui vint en visite dans la région en 1944. Elle fut restaurée dans les ateliers du Louvre en 1958 : sous une couche de peinture noire apparut alors la polychromie d’origine.
Elle possède beaucoup des attributs des Vierges noires : datée de la première moitié du XIIe siècle, mesurant 81 cm de haut, posée sur un socle de 32 cm par 28, sculptée dans du chêne, la Vierge en majesté assise sur une cathèdre tient de ses mains démesurées l’enfant dans son giron. Ses pieds sont couverts de chaussures fines et pointues.
Elle prend une pose hiératique et son visage reste froid, ne reflétant aucun sentiment. Elle porte une robe bleu-vert plissée couverte d’un pallium, vêtement à capuche et à longues manches.
L’enfant, dont le visage parait plutôt adulte, est vêtu de rouge.
Elle fut trouvée près d’une source, et l’élément oriental est présent par le don qu’en fit un croisé.
Cliché de l’intérieur de la chapelle d’André Muzac, Archives du Cantal 1980