Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
lieux sacrés
27 décembre 2024

Les légendes et coutumes de l’île-de-Sein

L’île-de-Sein, habitée depuis très longtemps comme nous l’avons vu dans l’historique, fut de tout temps considérée comme un lieu sacré, une terre permettant l’accomplissement d’actes magiques, ce qui nous est dévoilé par la présence de sites tels que le tumulus de Nifran ou la chapelle Saint-Corentin.  Les Celtes qui s’y installèrent laissèrent derrière eux bon nombre de légendes, reprises par les premiers adeptes de la nouvelle religion chrétienne et agrémentées par la mythologie bretonne. La mémoire, l’imagination et la sensibilité des sénans permirent qu’on puisse, encore de nos jours, les raconter aux enfants. Et tout le monde sait que les légendes sont des récits qui s’inspirent du réel, le déformant, cachant entre ses lignes des vérités qui pourraient nous paraitre, à nous gens issus d’un monde sans poésie, contes imaginaires. 

 

Les druidesses

 

Les premières traces tangibles de la légende des druidesses furent écrites par Pomponius Mela au Ier siècle :

« L’île de Sena, située dans la mer Britannique, en face des Osismes, est renommée par un oracle gaulois, dont les prêtresses, vouées à la virginité perpétuelle, sont au nombre de neuf. Elles sont appelées Gallicènes (Gallisenae, Cènes ou Senes), et on leur attribue le pouvoir singulier de déchaîner les vents et de soulever les mers, de se métamorphoser en tels animaux que bon leur semble, de guérir des maux partout ailleurs regardés comme incurables, de connaître et de prédire l’avenir, faveurs qu’elles n’accordent néanmoins qu’à ceux qui viennent tout exprès dans leur île pour les consulter ».

Voyons ce que la mémoire populaire peut nous apprendre.

C’est dans un essai de René Coupigny, Voyage de Pythéas en Brittanie, que nous allons trouver de quoi travailler :

« Sur l’Ile de Sena, vivait une toute petite population d’hommes et de femmes dans un village au centre de l’île. Neuf de ces femmes n’étaient pas comme les autres. Elles ne vivaient pas dans le bourg, et refusaient les hommes. Elles refusaient l’argent. On les appelait les Neuf Gallesinae. On disait d’elles qu’elles étaient très belles et qu’elles vivaient en virginité perpétuelle. Il leur arrivait d’aller sur la mer et d’y rencontrer des hommes, mais au retour sur l’île, elles retrouvaient leur virginité primitive. Elles étaient connues de très loin principalement pour deux de leurs connaissances. Elles étaient savantes dans l’art de guérir l’inguérissable, et dans celui de l’augure : le pouvoir des plantes et la divination n’avaient aucun secret pour elles. De leurs chants, elles savaient provoquer à volonté les plus violents ouragans, ou calmer les mers les plus démontées. Elles commandaient aux vents, à la pluie et aux courants. La plus sollicitée était la plus savante, la plus belle et la plus jeune des neufs : Velléda. Elles honoraient l’ancien Dieu, vénérant en lui l’Entité Créatrice qui avait pour nom Oiv : l’être absolu figurant trois aspects : l’Amour, la Connaissance et la Puissance. Ce nom était si sacré que nul n’avait le droit de le prononcer. Mais elles fêtaient aussi Dana, la Terre nourricière, la mère de toute chose vivante, minérale, végétale ou animale, si présente sur Sena ; Lug, représentant la Lumière et la Vérité ; Belen, le symbole de l’Esprit Solaire et du disque flamboyant nécessaire à toute vie ; Esus, représentant la Foudre et la Force vivante ; Ogmios, représentant le Verbe emblème de l’éloquence ; et enfin Don, symbole de la Mer si ardente. Elles étaient filles de Dana et pensaient que la force d’Oiv était dans chaque parcelle de ce qui vole comme les oiseaux, court comme les biches, marche comme l’homme, rampe comme le serpent, saute comme la sauterelle, germe comme le grain, grandit comme l’arbre, roule comme le galet, tombe comme la pluie, chauffe comme le soleil. Druidesses, Prêtresses, Maîtresses de la porte entre les deux Mondes, sous la protection de Dana. ».

Ces 9 druidesses, selon la tradition, étaient considérées comme des médiatrices entre les humains et les dieux. Elles veillaient sur leur île, protégeant les marins de la profondeur mystérieuse des flots imprévisibles. Elles pouvaient soigner les maladies incurables d’un seul toucher, et certains récits leur attribuaient même le pouvoir de ressusciter les morts. Ce don de résurrection est rare dans la mythologie celtique et cela leur conférait un statut presque divin. Elles étaient comparées aux fées ou aux divinités protectrices de la nature.

On pourra remarquer le nombre 9, « principe de perfection réalisé sur les 3 plans : physique, mental et spirituel. Ce nombre sous-entend que ces 3 niveaux ont été harmonisés et maitrisés chacun dans leur propre triplicité. 9 est pour cela l’illustration du 3 que multiplie 3, la triple couronne et le nombre du Grand-Œuvre. L’Arcane 9 du Tarot est celui de l’Hermite détenteur de lumière, de la sagesse et de la connaissance ». Le 9 est souvent associé au sacré et au mystique dans la culture celtique. Selon une légende plus récente, les femmes de l'île-de-Sein seraient les descendantes de 9 sœurs, filles du roi des eaux, qui auraient autrefois protégé la mer et les navigateurs. Ces sœurs incarnaient des puissances féminines maritimes et des entités protectrices des marins.

Que dire de leur virginité ? Dans certaines traditions ésotériques, la virginité est associée à la pureté spirituelle, à la perfection intérieure et à l'absence de souillure psychique ou énergétique. Elle peut aussi symboliser un état de préparation ou d'initiation spirituelle, marquant le passage vers une compréhension plus profonde des mystères. Dans certains cas, la virginité est liée à la préservation et à la gestion de l'énergie créative et vitale, souvent associée à des pratiques de transmutation et de sublimation énergétique. Les druidesses commencent à nous parler.

Les druidesses, grâce à leurs chants, maitrisaient les éléments… Le chant sacré, c’est l’union de la parole et de la mélodie. La parole c’est le symbole du souffle créateur, le verbe. C’est une force à l’origine de la création du monde dans de nombreuses traditions. Le chant, qui assemble souffle et parole dans une harmonie rythmée et mélodique, devient une forme supérieure de cette force créatrice. Il transcende les simples mots pour incarner une puissance capable de façonner la réalité.

Selon d’autres légendes, les druidesses, qui connaissaient le passé et l’avenir et dominaient les éléments, vendaient aux marins des flèches enchantées qui, lancées à la mer par une main vierge, calmaient la tempête et les vagues. Elles siégeaient sur les pierres de Kador (le point le plus élevé de l’île) et, telles la Pythie de Delphes, se tenaient près de ces rochers afin de rendre leurs oracles. Il est dit qu’autrefois, sous les blockhaus du Kador, se trouvait une faille très profonde. C’est ce qui émanait de cette faille qui donnait leurs pouvoirs aux druidesses. 

Elles étaient censées être immortelles. Mais les temps changèrent et le christianisme s’empara des légendes. Elles furent toutes accusées d’être des sorcières et tuées au Ve siècle, quand l’île fut, selon ceux qui reprirent le pouvoir aux Dieux celtes, évangélisée par saint Guénolé.

Selon une vieille légende sénane, les femmes de l'île de Sein seraient les descendantes de neuf sœurs, filles d'un roi des eaux, qui auraient autrefois protégé la mer et les navigateurs. Ces sœurs incarnaient des puissances féminines maritimes et des entités protectrices des marins. Réminiscence des anciennes prêtresses ?

Au travers de ces légendes, on peut voir que les druidesses de l’île-de-Sein représentent une vision féminine du pouvoir spirituel de la mythologie celtique. Peut-être une réminiscence de l’époque où étaient vénérées les Déesses-Mères primitives ? L’île de Sein, dans ce contexte, peut être vue comme un sanctuaire inaccessible, un lieu mystique isolé, un portail entre le monde des vivants et celui des esprits ou des dieux.

 

La Légende du Diable

 

Plusieurs histoires se rapportent au Diable. Elles reflètent la lutte des insulaires contre les forces naturelles et surnaturelles, et montrent l’influence grandissante de la religion chrétienne. Le Diable, toujours présent quand il s’agissait d’inculquer la peur dans l’esprit des gens afin de mieux les tenir sous la coupe de cette religion nouvelle qui prit la place des anciennes croyances païennes, fut mêlé à toutes les sauces. Il ne restera pourtant que diaballein, celui qui sépare, face à symballein, son antonyme, celui qui rassemble (voir l’article sur le symbole ).

 

Ces légendes nous parlent donc de la lutte du bien (la religion chrétienne et ses saints) contre le mal (l’ancienne religion et ses figures diaboliques qu’étaient devenues les druidesses) et illustrent la peur viscérale des marins et des habitants de l’île face aux éléments et aux puissances mystérieuses qui semblent contrôler la mer et leur destin.

 

La première d’entre elles nous parle du pont de saint Guénolé, gallois d’origine, disciple de saint Budoc et fondateur de l’abbaye de Landévennec.

 

L’abbé Guénolé, ami du roi Gradlon, se rendait souvent sur l’île de seidhun. Ces nombreuses visites avaient attiré l’attention du Diable, nommé Polig, autrement dit petit Paul. Il s’intéressait fortement à ce petit bout de terre depuis qu’il avait entendu parler des Gallicènes, femmes de mauvaise vie qui y avaient élu domicile, et du culte qu’elles portaient à Nehalennia, leur déesse païenne. Il lui tardait donc de prendre possession des âmes des seidhunais. Il avait vainement essayé de faire la traversée en se cachant dans une des barques de pêcheur, mais ses sabots brûlants mettaient rapidement le feu aux planchers de bois.

Polig, épiant Guénolé, avait appris qu’il avait promis au capitaine de l’île de construire un pont entre la pointe du Raz et Seidhun. Fortement intéressé, il prit la forme d’un beau jeune homme et vint le trouver.

- Bonjour Guénolé !

- Que veux-tu, Polig ? (Le saint, qui n’était pas né de la dernière pluie, avait bien remarqué les sabots fourchus du Malin sous son apparence séduisante.)

- Oh pas grand-chose, juste t’aider à construire le pont et traverser jusqu’à Seidhun avec toi.

- Hors de question ! Jamais je ne te laisserai mettre un sabot sur l’île !

- Très bien. Alors construit ton pont tout seul et je le prendrai. Si tu ne le construis pas, tu seras parjure puisque tu l’as promis au capitaine et tu perdras ta sainteté : j’aurai ton âme !

Guénolé était bien embêté : d’un côté il perdait son âme, de l’autre ses ouailles. Il pria si fort que Dieu l’entendit et lui vint en aide. Il souffla un vent si froid qu’il transforma les eaux de la passe en un pont de glace très solide. Polig, ravi, s’élança le premier et courut le plus vite possible pour faire la traversée.  Mais ses pieds fourchus brûlants firent fondre la glace et il fut précipité dans les eaux furieuses du raz, en un endroit qui s’appelle depuis la cheminée du Diable, au lieu-dit l’enfer de Plogoff. Le réchauffement brutal des eaux sous la chaleur des sabots eut pour effet d’amplifier les courants déjà violents, ce qui mit les habitants de l’île à l’abri des assauts du Diable pendant longtemps. Les seidhunais, pour remercier Guénolé, se signèrent désormais à chaque fois qu’ils passaient devant la pointe du Raz.

 

La deuxième, qui met elle aussi Guénolé à l’honneur, est plus sombre.

 

L’histoire raconte qu’à une époque reculée, les habitants de l’île de Sein vivaient dans une grande misère. Les tempêtes détruisaient leurs récoltes et leurs embarcations, et les marins périssaient régulièrement en mer, pris dans les courants traîtres qui entouraient l’île. Désespérés, certains insulaires conclurent un pacte avec le Diable pour améliorer leur sort. Le Malin leur promis prospérité et protection contre les tempêtes en échange de l'âme de certains habitants qu’il viendrait chercher chaque année à une date précise.

Arriva saint Guénolé. Mis au courant de cette affaire, il décida de libérer les habitants de l’emprise du Diable. Un jour, le démon aux pieds fourchus vint sur l’île réclamer les âmes promises. Guénolé, armé de sa foi, se confronta à lui et un violent combat entre le Bien et le Mal éclata. De violentes tempêtes se déchainèrent et des éclairs illuminèrent le ciel. À la fin du combat, Guénolé fut vainqueur et chassa le Diable dans les profondeurs de la mer, où il fut enchaîné à jamais sous les eaux tumultueuses entourant l’île de Sein.

Certains sénans pensent encore que bien qu’enchainé sous la mer, le Diable continue d'influencer les éléments et qu’il peut périodiquement tenter les âmes des habitants, cherchant à les entraîner dans la damnation. L’invocation de saint Guénolé reste encore leur meilleure protection.

 

La légende des Arbres

 

L’île de Sein est dépourvue d’arbres, à l'exception de quelques rares spécimens protégés dans des recoins abrités. La présence constante du vent et l’environnement maritime rendent la croissance des arbres très difficile. Cette réalité géographique fut expliquée dans les légendes.

La première se plonge dans les racines culturelles de l’île.

Selon cette légende, l’île de Sein était, il y a très longtemps, couverte d’une forêt luxuriante. Les habitants vivaient en harmonie avec la nature, profitant de l’abondance de bois pour construire leurs maisons et leurs bateaux. Le temps passa. Les habitants, habitués à l’abondance et ne montrant aucun respect pour la terre qui les nourrissait, coupèrent les arbres sans mesure et surtout sans replanter de jeunes pousses.

Face à cette ingratitude et à ce manque de respect, les anciens Dieux, en accord avec les Esprits de la Nature qui veillaient sur l’île, décidèrent de les punir. Une terrible tempête s’abattit alors et en une nuit tous les arbres furent arrachés du sol et emportés par la mer, ne laissant que des landes dénudées et battues par les vents. Le châtiment continua dans le temps et depuis ce jour, aucun arbre ne fut autorisé à pousser sur l’île.

 

La deuxième prend une connotation plus chrétienne.

En des temps fort reculés, la terre de la pointe s’avançait beaucoup plus loin et les arbres n’avaient aucun mal à pousser. Seidhun, la pointe de la pointe du bec du Raz, s’enorgueillissait de voir sur son sol des hêtres, chênes et autres bouleaux, en une belle forêt sous laquelle les druides par la suite aimaient à se promener. L’île un jour se sépara du continent et les arbres continuèrent à pousser. Lorsque le Sauveur naquit, Dieu demanda à tous les éléments de la terre, animaux et végétaux, de venir reconnaître l’enfant roi, ce qu’ils firent tous, sauf les arbres de Sein, effrayés par la traversée périlleuse et dont la foi n’était pas encore à l’abri de la crainte du voyage, comme en général dans les pays celtiques. A part les chênes, trop fiers, et les saules, trop occupés à faire de la musique, tous les autres arbres étaient bien trop craintifs. Ils restèrent donc sur l’île et aucun représentant des arbres de Seidhun ne fit le déplacement, ce que Dieu remarqua évidemment et il leur en demanda la raison. Lorsqu’il vit que les motifs étaient aussi futiles, et le manque de confiance qu’ils avaient en leur seigneur et maître, ainsi que leur absence de dévotion, il entra dans une très grande colère et fit souffler sur Sizun une énorme tempête qui en déracina tous les arbres ainsi que leurs jeunes pousses. Dieu promit de répéter ces bourrasques de façon régulière, afin qu’aucun descendant de ces végétaux impies ne puisse reprendre racine en ce lieu. Et c’est ainsi que, depuis deux mille ans, les tempêtes reviennent régulièrement souffler sur la pointe du Raz et l’île dont les végétaux ont manqué de foi en Dieu. C’est pour cela qu’il n’y a pas d’arbres à Sein et qu’il y a tant de tempêtes.

Tiré de l’Histoire de l’île-de-Sein, PDF.

 

Les légendes du Bag an Noz et des bateaux fantômes

 

Bag an Noz en breton veut dire le bateau de la nuit. L’île de Sein partage cette légende avec une grande partie de la Bretagne, et notamment avec la baie des Trépassés  qui, comme chacun le sait bien, tire son nom du breton Boë an Aon, la baie du ruisseau, devenu bien plus tard Boë an Anao, la baie des âmes en peine. Trépasser, comme on pourrait le croire, ne vient pas de « passer trois fois » mais de l’ancien français trespasser, de tres, issu du latin trans : au-delà, et du latin vulgaire passare, dérivé du latin passus, le pas : traverser. Trépasser représente donc l’action de passer de la vie à la mort, avec une notion de changement.

La base de la légende parle d’une barque aussi noire que la nuit, éclairée par un fanal lugubre, qui, surgissant de la brume à la tombée de la nuit, vient chercher les âmes des morts et les conduit en direction du soleil couchant vers les îles Bienheureuses où ils poursuivent leur destin. Au gouvernail se tient pendant un an le Tremeneur (qui mène vers l’au-delà), le premier noyé du mois de janvier, sauf sur l’île de Sein qui choisit le dernier de décembre. Si, par malheur, on la voit passer, il faut réciter le Requiescat in pace, prière pour les défunts prononcée lors de la messe de requiem :

Requiem æternam dona ei, Domine.

Et Lux perpetua luceat ei.

Requiescat in pace.

Amen.

Donne-lui le repos éternel, Seigneur.

Et que la lumière éternelle l'illumine.

Qu'il repose en paix.

Ainsi soit-il.

La plus ancienne histoire raconte que le Bag an Noz attendait sur le rivage de la baie des Trépassés les âmes des druides de Gaule et les emmenait sur l’île de Sein où se trouvaient leurs sépultures.

La légende se transforma avec l’arrivée du christianisme. Au Ve siècle, saint Patrick, après avoir évangélisé l’Irlande, revint en Bretagne. Proche de Dieu, il lui demanda de faire en sorte qu’une partie des âmes destinées au purgatoire irlandais, trop nombreuses, soient reçues sur l’île de Sein. Le bateau de la nuit et son capitaine d’une année, l’Ankou de la mer, qui récupèrait les âmes de tous les morts destinées au purgatoire le lendemain de la Toussaint, partait alors de la baie des Trépassés. Arrivées au milieu de la passe du Raz, les âmes, devenues de petites flammes, étaient prises dans un grand rayon de feu qui les conduisait autour de l’antique autel des druidesses sur l’île de Sein, le fameux dolmen entouré de menhirs, là où auparavant se tenaient les sépultures des druides.

 

Le bateau semble aller à la dérive et être à l’abandon, toutes ses voiles dehors. Si les marins veulent l’aborder, le Bag Noz s’éloigne doucement, incitant les hommes à le suivre imperceptiblement toujours plus près des écueils acérés. Ceux qui l’ont suivi sont tous morts. Mais souvent, les pêcheurs informés comprennent qu’ils sont face au Bateau de la Nuit et ne le suivent pas. Un signe de croix est alors le plus sûr moyen de se protéger et d’éloigner la mort qui rode devant eux. Pourtant, ils savent tous que le Bag an Noz est annonciateur d’un décès prochain. Il ne leur reste plus qu’à rentrer au port et à prier pour la paix des âmes des trépassés. Ils savent que sous peu la mort va encore frapper. Doué da bardono an Anaon ! Dieu pardonne aux défunts ! Lorsque la tempête se donne en spectacle et que les embruns fouettent les visages, que les granits se transforment en de gigantesques remparts ruisselants et que le Bag Noz pousse des cris lugubres et froids, l’Ankou aime alors quitter sa barque et venir s’asseoir sur un rocher de l’Ile de Sein. Il aime regarder la mer se déchaîner et s’ouvrir en symphonie sur les écueils. Il sait bien que son travail sera rude à la suite de ce spectacle. Il va falloir prendre tous les morts et leur faire traverser la mer, loin, très loin, vers l’Autre Monde où reposent les âmes.

Tiré de l’Histoire de l’île-de-Sein, PDF.

Les sénans redoutaient également le bag sorcerez ou bateau des sorcières, qui, la nuit, transportait les veuves de l’ile que l’on appelle les vieilles du sabbat. Ces femmes, considérées comme de véritables sorcières, conversaient avec les mauvais esprits des eaux, utilisaient des pouvoirs surnaturels pour contrôler les éléments, provoquer des tempêtes ou guérir les malades. Lorsqu’un sénan par exemple souhaitait la mort de quelqu’un, il part voir une de ces femmes après la tombée du jour. Souvent elles logeaient entre le village et le phare, au lieu-dit an lliz, l’église. La sorcière se rendait alors à 3 sabbats et remettait au démon du vent et de la mer un objet appartenant à celui ou celle qui devait périr…

 

Encore aujourd’hui il se dit que le Bag an Noz peut surgir à tout moment devant les marins, ils sont nombreux à l’avoir vu.  L’île de Sein pourrait bien être le domaine des anaon, les âmes errantes, nombreuses sur l’îlot de Trevennec parait-il. Elles empêchent même les oiseaux de nicher. Ces fantômes sont appelés krierien, les crieurs, en raison de leurs cris et de leurs lamentations nocturnes. Regroupés par 7, ils sont habillés d’un ciré et portent le suroit, chapeau de marin imperméable. Parfois ils annoncent la tempête et on les entend crier « hola ! tenna ar bagou da siac’ha ! », « oh ! Tirez vos bateaux au sec ! »

 

La sirène

 

De nombreuses personnes ont vu, dans les environs de l’île de Sein, une sirène portant de longs cheveux. C’est peut-être une fée des eaux, une Marie-Morgane, créature issue du peuple des Morgan. En breton, mor signifie mer et ganet, né. Ce sont des êtres nés de la mer… Certains pensent que c’est l’âme d’Ahès-Dahut, la fille du roi Gradlon, qui prévient les marins qu’une tempête va se lever.

 

 

 

 

 

La cité d’Ys

 

Une autre légende semble puiser ses racines aux temps de la Grande Déesse, celle du roi Gradlon et de la ville de Ker Ys. Bien que fortement christianisée, empreinte des fautes et autres indicibles horreurs imputées aux femmes depuis l’arrivée des hommes au pouvoir, pétrie des bons sentiments des saints contrant les vilaines coutumes païennes, elle contient encore une merveilleuse symbolique : on y retrouve le mythe de la ville engloutie et celui des gardiennes des eaux ou de l’autre monde. Ker Ys aurait pu se situer, d’après certains, entre Sein et la baie des Trépassés.

 

« Il était une fois, au fin fond de la Bretagne, en Cornouaille, un roi bon et beau qui s’appelait Gradlon Meur. On le disait fils ainé du légendaire roi Conan Meriadec et de sainte Darerca, la sœur de saint Patrick. Lors d’un voyage en Irlande, il tomba amoureux de Malgven, reine du Nord, que certains disaient magicienne, d’autres même fée ou sirène. Mariée au vieux roi Harold, elle s’arrangea pour que Gradlon, devenu son amant, le tue en lui faisant boire un poison. Le forfait commis, ils s’enfuirent tous deux montant Morvarc'h, le cheval noir de Malgven qui soufflait du feu par ses naseaux et galopait sur les flots. Pour le malheur du roi, elle mourut en donnant naissance à leur fille, Dahut. 

Rentré seul chez lui, Gradlon fit construire une magnifique cité côtière, protégée des assauts de la mer par une immense digue, au milieu de laquelle se trouvait une porte de bronze dont il gardait précieusement la clé. Il éleva seul sa fille. Un jour, un saint homme, Guénolé, vint de l’abbaye de Landévennec pour les voir et les convertir à la religion du vrai Dieu. Dahut, devenue une belle jeune fille aux cheveux d’or, ne voulut rien entendre. Elle préféra continuer à mener une vie de luxure et de débauche, au milieu des soieries, des ors et des festins. Le saint homme mit en garde le roi, devenu pieux, l’avertissant que les péchés de sa fille pouvaient précipiter la chute de la ville.

Mais Gradlon aimait trop Dahut pour la punir. Un soir, elle eut la visite d’un séduisant étranger tout vêtu de rouge. Elle passa la nuit avec lui, et, au matin, il lui demanda la clé de la porte de bronze. Sous le charme, elle la vola à son père et le soir venu la remis au visiteur qui s’empressa d’ouvrir la porte avant de disparaître. Les flots envahirent la ville. Guénolé réussit à s’échapper avec le roi qui montait Morvarc'h, le cheval magique. Ils allaient arriver sur la terre ferme lorsqu’ils entendirent Dahut appeler au secours. Gradlon vit sa fille se débattre dans les vagues mugissantes. Il fit demi-tour, l’agrippa et la fit monter sur son cheval. Mais Morvarc'h ne pouvant porter le poids des péchés de Dahut, s’enfonçait dans les flots... Guénolé ordonna de l’abandonner à son sort. Gradlon s’enfuit donc sans sa fille à Quimper qui devint sa nouvelle capitale. »

  

Pas terrible pour un père d’abandonner sa fille même si elle a commis une erreur, et pas très charitable de la part d’un saint homme de conseiller la fuite… À moins qu’il ne faille remplacer « Dahut » par « ancienne religion druidique » et « Guénolé » par « la nouvelle, le christianisme ». Quoi qu’il en soit, Dahut, transformée en sirène, hanterait encore les eaux. En breton moderne, le préfixe ker se rattache à l’idée de ville ou de village, mais il provient du vieux breton caer, qui veut dire forteresse, citadelle. Ys serait issu d’izel, ce qui est en bas, ou sous quelque chose. Ker Ys serait donc la forteresse du bas, ou la forteresse dessous (la mer).

 

Les coutumes et traditions

 

Sur l’île de Sein, lorsqu’une femme est atteinte d’une maladie grave, il est de tradition que neuf veuves partent à la chapelle implorer saint Corentin. Elles apportent avec elles un cierge et du pain. Une fois le premier Pater récité, elles allument le cierge qu’elles placent sur un chandelier aux pieds du saint et déposent à côté le pain. Trois fois elles récitent cette phrase : « saint Corentin, guérissez notre sœur malade. Si vous ne pouvez la guérir, faites-la mourir promptement ». Puis elles sortent, et, précédées de la croix, elles font trois fois le tour de la chapelle.  Elles récitent une prière au Midi, à l’Orient, au Septentrion et enfin au Ponant. La plus âgée rompt alors le pain et chacune en mange un morceau. Ce qui reste est apporté chez la malade.

 

Une autre tradition faisait balayer la chapelle de Saint Corentin aux sénanes et disperser la poussière aux quatre vents pour obtenir à leurs maris une bonne traversée en mer.

 « Saint Corentin, guérissez notre sœur malade. Si vous ne pouvez la guérir, faites-la mourir promptement »

Coutume de pêcheurs

“ La chapelle de Saint-Guénolé, au port, qui est la paroisse de l’île, est bâtie depuis peu d’années et remplace la primitive dont la fondation remonte au XII ème siècle. On y voyait une petite statue du patron, tenant un navire dans sa main droite. Comme le poignet de la main était à pivot, le marin qui venait prier Saint Guénolé de lui obtenir un vent favorable donnait au navire la direction pour laquelle il le sollicitait, puis déposait dans le tronc quelques pièces de monnaie. La statuette a disparu.

 

 

 

 

Us et coutumes

Il est encore d’usage, dans l’île de Sein, de se mettre à genoux devant la nouvelle lune et de réciter en son honneur l’oraison dominicale. Au premier de l’an, on fait une offrande aux fontaines, en y jetant un morceau de pain couvert de beurre, représentant, selon nous, les productions végétales que nous devons à la grande Koridgwen (Voy. la Vie de Michel de Nobletz, par le père Saint-André)

 

 

 

 

 

Le culte du soleil

La génération par le feu, folklore du Cap-Sizun et de l’île-de-Sein, rapporté par H. Le Carguet - BSAF-tome XXV - 1898

... Souvent, autour des feux de la St-Jean, lorsque le bûcher était près de s’éteindre et la foule retirée, nous avons remarqué des personnes âgées survenir, apportant chacune sa brindille de bois, attiser à nouveau le feu, et, pleine de recueillement, se livrer à des cérémonies toutes différentes des farces usuelles qui venaient de se passer. Nous avons observé, interrogé ces personnes ; nous avons prolongé notre enquête durant plusieurs années, et avons pu reconstituer en partie ces rites, tels qu’ils se pratiquaient dans l’ancien temps. Voici le résultat de nos recherches : Le bûcher était entouré d’un cercle de neuf pierres, appelé Kelc’h an tân, le cercle du feu. On l’allumait en neuf endroits différents, en commençant par l’Orient. Aussitôt que la flamme s’élevait, des jeunes gens, armés de torches ou de tisons pris au bûcher, alternant avec des jeunes filles, les cheveux épars sur le dos, et tenant à la main une tige verte d’orpin (sedum latifolium), défilaient processionnellement, devant le foyer, en faisant trois fois neuf tours. Nous n’avons pu déterminer, avec certitude, le côté par lequel commençaient les circonvolutions. Les jeunes filles inclinaient, au-dessus du feu, les tiges qu’elles avaient à la main, tandis que les jeunes gens agitaient, au-dessus de ces tiges, leurs torches enflammées, en décrivant des séries de trois cercles. Le dernier des tours achevé, la procession s’arrêtait. Les jeunes gens franchissaient, en sautant, trois fois, le foyer ; puis, s’emparant des jeunes filles, les balançaient neuf fois, au-dessus du feu, en faisant l’invocation : “ An nao !... An nao !... An nao !...” Les jeunes gens se répandaient ensuite à travers la campagne, décrivant, avec leurs torches, des cercles de feu, en criant, à tous les échos : “ An nao !... An nao !... An nao !...” pour indiquer que le rite mystérieux était accompli. Les jeunes filles, au contraire, entraient chez elles, pour accrocher, aux poutres, les tiges qui avaient été passées au feu, et qui devaient, comme conséquence de ce fait, sans terre, sans eau, suspendues en l’air, croître, fleurir er fructifier. A l’Ile-de-Sein, on allumait trois feux. La procession des torches se faisait au déchal (marée descendante qui découvre la grève) de la mer, à l’extrémité Est de l’île, en inclinant toujours la flamme vers l’Orient. Ces feux exerçaient une influence sur les éléments : ils ramenaient le calme sur la mer et dans l’air, pendant leur durée. Le lendemain des feux de la Saint-Jean, tout travail était interdit aux jeunes filles, même le travail de la maison. Ces cérémonies sont les restes du culte du soleil, ou la génération par le feu.

Le bûcher, tân-tad, le feu père, entouré d’un cercle de neuf pierres et s’allumant à l’est, du côté où le soleil se lève, c’est l’emblème de l’astre qui ranime la nature, donne le germe de la vie. La plante verte qui a reçu, par le feu, ce germe, est l’image de la terre, de la nature, fécondée par le soleil. An nao, les neuf, c’est le nombre des mois que l’enfant est porté dans le sein de sa mère ; l’espace de temps que la graine, confiée à la terre, met à germer, croître et fructifier. C’est aussi le nombre des degrés qui constituent la famille indo-européenne, comme le nombre trois, indiquant celui des degrés de parenté en ligne directe, est la base de cette famille. Une autre cérémonie qui se pratiquait anciennement à l’extrême pointe du Raz rappelle également ce mythe. Après qu’une lande était défrichée et que la terre avait reçu, pour la première fois, la semence, les laboureurs, avant de quitter le champ, réunissaient, en faisceaux, leurs instruments, les manches fichés en terre. L’un d’eux se hissait sur les fers, et debout, tourné vers l’orient, prononçait les mots magiques : “ An nao !... An nao !... An nao !”, qui devaient attirer la fécondation sur le champ. Actuellement, l’herbe de la Saint-Jean passe pour posséder des propriétés merveilleuses : Sortie de la flamme du bûcher, on la pose toute fumante, sur la figure, pour donner la clarté aux yeux, fortifier la vue. C’est un signe de vie dans la maison où elle croît ; un signe de mort, avant la fin de l’année, là où elle se flétrit, ou tombe. Lumière et vie ! toujours l’ancien culte du soleil.

 

Les dictons

 

« Qui voit Molène voit sa peine. Qui voit Ouessant voit son sang. Qui voit Sein voit sa fin ». Ce dicton fait référence à la dangerosité des eaux entourant les îles, lieux réputés pour leurs récifs et courants traîtres. Il exprime la peur qu'inspiraient ces zones dangereuses aux marins.

« Sein est là où commence l'enfer ». Ce dicton souligne la réputation de l'île de Sein comme un endroit sauvage et rude, où les tempêtes sont fréquentes et la vie difficile. L'isolement de l'île et les dangers de la mer ont alimenté cette vision.

« À Sein, le vent n’est jamais loin ». Ce dicton illustre la nature venteuse de l'île de Sein, où les vents marins soufflent presque constamment. Il est utilisé pour rappeler la rigueur du climat sur cette petite île battue par les éléments.

« Qui se méfie de Sein ne fait jamais rien ». Ce dicton valorise le courage des marins qui bravent les eaux difficiles autour de l’île de Sein. Il signifie que la peur de cette région ne doit pas empêcher d'agir, notamment dans les activités de pêche ou de navigation.

« Sein bat sa mesure et fait danser la mer ». Ce dicton poétique fait allusion à la puissance des courants marins qui entourent l’île de Sein, donnant l’impression que l’île elle-même contrôle les mouvements de la mer. Il témoigne aussi du lien intime entre l'île et l'océan.

« Quand Sein se couvre, le marin découvre ». Ce dicton est une référence aux changements de météo souvent rapides sur l'île de Sein. Quand des nuages s'accumulent autour de l'île, les marins savent qu'ils doivent préparer leurs bateaux ou ajuster leur itinéraire, car une tempête ou du mauvais temps est imminent.

« À Sein, la mer est toujours reine ». Ce dicton reconnaît l'importance omniprésente de la mer dans la vie des habitants de l'île de Sein. La mer gouverne non seulement les activités quotidiennes des insulaires (comme la pêche), mais elle façonne aussi la culture et l'imaginaire de l'île.

« Les gens de Sein sont gens de bien, mais l’enfer est sous leurs pieds ». Ce dicton évoque la bravoure et la ténacité des habitants de l'île, qui sont réputés pour être des gens robustes et solidaires malgré les conditions difficiles. L’enfer fait référence aux dangers de la mer et aux récifs traîtres qui entourent l'île.

 

Ces dictons montrent la dureté des conditions de vie sur l'île de Sein et le respect des habitants pour la mer, tout en soulignant le courage et la résilience des marins et insulaires face aux dangers maritimes.

 

http://librenecessite.over-blog.com/article-le-bag-noz-ou-bateau-de-nuit-115540892.html

https://www.premar-atlantique.gouv.fr/uploads/atlantique/arretes/1408628046-index-2014-070.pdf

https://occidere.wordpress.com/wp-content/uploads/2010/03/histoire-de-lile-de-sein.pdf

https://bibliotheque.idbe.bzh/data/cle_217/ile__de__sein.pdf

https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%8Ele_de_Sein#L%C3%A9gendes_locales

https://pennarbed.fr/histoire-et-culture-de-lile-de-sein/

http://www.infobretagne.com/ile-de-sein.htm

https://occidere.wordpress.com/wp-content/uploads/2010/03/histoire-de-lile-de-sein.pdf

http://enezsun.chez-alice.fr/Tourisme/Eglise.htm

https://fr.wikipedia.org/wiki/Saint_K%C3%A9-Coll%C3%A9doc

Histoire de l’île de Sein, compilation chronologique de tous les documents - cartes, textes, légendes, dessins et photos - trouvés sur l’île et ses environs. file:///C:/Users/Utilisateur/Downloads/Sein_livre1_MB-2.pdf

Photo de saint Corentin : https://bretagne-en-3d.com/

Publicité
Commentaires
Publicité
Newsletter
Derniers commentaires
Visiteurs
Depuis la création 3 559 145
lieux sacrés
  • Symbolique. Voyage initiatique. Anciennes civilisations. Menhirs et dolmens, églises romanes et gothiques, cathédrales, cloitres, vierges noires et gardiens, sources, arbres, fontaines sacrées et temples. Tous les hauts-lieux énergétiques.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Archives
Publicité