Le prieuré grandmontain de Saint-Michel se situe sur le point culminant du versant sud d’un plateau de grès du triasique, entouré de champs jadis défrichés par les moines, de forêts de chênes, de châtaigniers et de sapins.
Là se trouvait une source, là les anciens érigèrent des menhirs, construisirent des dolmens, creusèrent de larges bassins et de petites cupules dans les rochers. Comme tous les monts Saint-Michel, il fut certainement dédié bien avant l'ère chrétienne aux dieux solaires, Gargan au Néolithique, Lug ou Belen à l'époque celtique, Mercure ou Apollon chez l'occupant romain, tous préfigurant l’archange maitre des milices célestes, grand juge des âmes.
Historique de l’ordre de Grandmont
L’ordre de Grandmont fut créé à la fin du XIe siècle, lors du renouveau du monachisme. Il fut fondé vers 1076 par Étienne de Muret, fils aîné du vicomte de Thiers, juste avant que Bruno de Cologne ne fonde l’ordre des Chartreux (1084) et que Robert de Molesmes ne fonde Cîteaux (1098).
L’abbaye bénédictine d’Ambazac, près de Limoges, donna à Étienne la jouissance de terres situées dans les bois de Muret où il s’installa, bientôt rejoint par des compagnons attirés par sa vie austère, solitaire et contemplative.
A sa mort en 1125, les religieux furent expulsés par les bénédictins et durent s’installer sur le plateau granitique de Grandmont, sur des terres données par le seigneur du lieu, Amélius de Montcocu.
Étienne de Liciac, le 4ème prieur, écrivit en 1156 la règle selon les préceptes d’Étienne (canonisé en 1189), l’une des plus sévères et pourtant des plus populaires du moment (l’ordre de Grandmont fut l’un des rares à ne pas adopter la règle bénédictine). Solitude, jeûne et silence comme les Pères du Désert, refus des fonctions paroissiales mais accueil des défavorisés, pas de dimes et rude travail manuel, pas de possessions de terres éloignées et de gros troupeaux, pas d’archives afin de ne dépendre de rien, protection des paysans et actions charitables, tout cela fit que l’ordre naissant fut pris sous la protection des puissants et obtint l’affection des petits qui appelaient les grandmontains les « bonshommes ».
Grâce aux dons d’Henri II Plantagenêt, duc d’Aquitaine, la première église fut construite et consacrée en 1166 à Grandmont. L’ordre comprenait des convers, frères laïcs s’occupant des tâches matérielles, et des clercs, frères religieux se consacrant uniquement à la prière, l’originalité résidant dans le fait qu’un « dispensateur » était choisi parmi les premiers afin de diriger les seconds, sous l’autorité d’un correcteur et non d’un prieur, puisque les monastères, appelés « celles », ne prirent le statut de prieuré qu’en 1317. L’austérité de la règle et le manque de structure fiable fit que l’ordre ne connut pas le développement que fut celui des autres ordres contemporains.
En 1317 donc, le pape Jean XXII réorganisa l’ordre et érigea Grandmont au titre d’abbaye mère. L’ordre, qui ne comptait plus qu’une centaine de religieux, fut dissous en 1772, les prieurés furent vendus pendant la Révolution.
Les grandmontains sont quand même reconnus grâce à l’architecture particulière de leurs monastères, et grâce à leur trésor, composé d’orfèvreries, d’émaux et de manuscrits précieux,
comme la célèbre châsse d’Ambazac
ou l’autel majeur de Grandmont.
Historique du prieuré Saint-Michel
Seul prieuré de l’ordre dédié à l’archange Michaël et à Marie plutôt qu’à la Vierge seulement, Saint-Michel de Grandmont est entouré de mystères. Le site fut occupé depuis fort longtemps, comme en témoignent les mégalithes bordant le plateau, l’autel dédié à Jupiter retrouvé à proximité et les tombes wisigothiques du cimetière.
Nous avons gardé la trace d’une ancienne chapelle dédiée à saint Michel, consacrée par l’évêque de Lodève Fulcran vers 975, dans un endroit appelé Cerclarias (devenu Sauclières) où un pèlerinage avait été mis en place. L’étymologie, en abandonnant le R, peut ramener à l’occitan celclaria, bois de châtaigniers, mais il n’y a aucune trace de castanéiculture avant l’arrivée des grandmontains au XIIe siècle. Le mot latin circulus, le petit cercle, semblerait plus approprié, l’endroit étant lié aux anciennes croyances des cercles des fées, des cercles de pierre, des enceintes druidiques, des espaces sacrés circulaires.
La chapelle Saint-Michel fut vraisemblablement détruite lors de la fondation du prieuré grandmontain. L’ancien sanctuaire apparaît en 988 dans le testament de saint Fulcran, en 1126 dans une donation de Raymond de Saint-Jean, puis en 1162 dans une bulle du pape Alexandre III, et la celle grandmontaine en 1186 dans un texte relatant un miracle dû à saint Étienne de Muret. La celle fut donc mise en place entre 1162 et 1186 mais personne ne sait qui en fut le fondateur. L’ancienne chapelle fut remplacée par l’église que nous pouvons voir aujourd’hui.
Au nord de l’église, hors clôture, fut construit un portique en bois, servant à l’accueil des fidèles ainsi que de parloir aux moines. Les dons affluèrent malgré le vœu de pauvreté collective voulue par la règle de l’ordre. Guilhem de Cazouls, ou Guillaume de Caselles, évêque de Lodève, donna au prieuré les revenus de l’église Saint-Vincent de Mazons et surtout la forêt qui entourait la celle. Il fut inhumé dans l’église grandmontaine en 1259.
En 1317, Saint-Michel fut élevé au rang de prieuré. En 1325, il fut placé sous protection royale et des fleurs de lys furent gravées sur les pierres. L’ancien portique en bois fut remplacé en 1335 par une chapelle qui restera indépendante de l’ordre, sous l'autorité de l'évêque de Lodève.
L’arrivée de la commende et la diminution des revenus firent qu’au XVIe siècle il ne resta plus que quatre religieux sur place. En 1772, lors de la suppression de l’ordre, Saint-Michel fut attribué au chapitre de Lodève.
Vendu lors de la Révolution, il passa aux mains de particuliers, devint domaine viticole jusqu’en 1957 où la famille Bec (entrepreneurs BTP)le racheta. Après s’être vu refuser la demande d’en faire un hôtel de luxe, elle le réhabilita avec l’aide du service des Monuments Historiques (classé en 1981).
A l’heure actuelle, le prieuré est ouvert aux visites en période estivale. Il est entretenu par l'association des Amis du Prieuré Saint-Michel de Grandmont. L’accueil est formidable, l’endroit bien présenté avec un audio-guide qui laisse prendre le temps de ressentir chaque mètre carré du domaine.
Petit bémol : le prieuré est loué pour des manifestations comme des rencontres culturelles ou des mariages. Pas de bol, je suis arrivée pile au mauvais moment, et il m’a fallu affronter les horribles décorations qui dénaturaient l’endroit. Pauvres grandmontains à l’austérité minimaliste, s’ils avaient vu leur église…
Description
Les monastères grandmontains, appelés « celles », furent toujours construits sur le même plan dans un carré d’environ 30 à 40 m de côté figurant l’espace sacré. Ils se devaient d’être éloignés du monde, au milieu d’une forêt par exemple, à l’intérieur d’un enclos monastique entouré d’un fossé ou d’un mur en dehors duquel nulle possession n’était possible. C’est dans cet enclos que les moines, peu nombreux (environ une douzaine par celle), avaient leur potager(A), leur verger (B) et leur étang (C) dans lequel ils élevaient des poissons.
L’architecture particulière de l’ordre de Grandmont fait ressortir l’idéal des moines : simplicité et austérité. Le monastère comprenait une église (A) posée à l’endroit le plus élevé, en général au nord, dont l’abside sortait du quadrilatère, et trois ailes de bâtiments conventuels entourant le cloitre au centre (B), comprenant la salle capitulaire (C), la salle des moines (D) surmontés du dortoir, parfois une remise au sud en saillie (E), un réfectoire (F) et une cuisine (G), une hôtellerie (H).
Les murs intérieurs en petit appareil étaient recouverts d’un enduit à la chaux blanche et peints d’un décor de fausses pierres délimitées par un trait rouge. Sur les murs en pierre de taille, seuls les joints étaient peints en rouge. Les fenêtres et des arcatures étaient entourées d’un trait rouge en dents de scie.
La visite commence par l’aile ouest de la celle, réservé traditionnellement à l’accueil des hôtes. Au rez-de-chaussée, une pièce carrée voûtée d’ogives (peut-être le réfectoire) dans laquelle fut installée une immense cheminée et dont les larges fenêtres datent du XXe siècle,
et le logis des hôtes au premier étage, éclairé par deux baies romanes géminées à colonnette centrale, transformé au XVIIIe siècle pour loger le prieur, puis au XIXe en appartement privé qui ne se visite pas. Dans le plan grandmontain, ce bâtiment ne joignait pas forcément l’angle de l’église, ce qui est le cas ici puisque la façade occidentale de l’église est en retrait.
Cette pièce communique avec l’ancien couloir, étroit et voûté de plein cintre, qui reliait la cour des communs (la porte fut murée) au cloitre.
Le cloitre fut construit au début du XIIIe siècle, après l’église. De gros piliers rectangulaires et des colonnettes jumelées finement taillées supportent alternativement les arcs géminés en plein cintre.
Les colonnettes sont surmontées de chapiteaux très sobres, aux décors de feuillages, de palmettes et de fleurons.
Un lavabo, alimenté par une source, se trouvait dans l’angle sud/ouest du cloitre, proche du réfectoire. Et promis, les moines ascètes ne mettaient pas un tonneau de pinard au milieu de la cour, ils avaient le sens des convenances et de l’esthétique, eux.
Les galeries nord, ouest et sud furent voûtées d’ogives probablement plus tardivement. La terrasse les surmontant date du XIXe siècle. La galerie nord était prolongée à l’est par un couloir étroit et voûté de plein cintre, donnant sur le cimetière, appelé le « couloir des morts ».
De la galerie orientale, à simple plafond charpenté, part un escalier qui desservait le dortoir des moines, l’infirmerie ou cellule du correcteur, ouverte sur l’abside de l’église par une baie qui permettait d’assister aux offices sans se déplacer.
Cette partie, qui ne se visite pas, fut remaniée entièrement au XIXe siècle et transformée en appartement. La façade fut percée de grandes fenêtres à croisillons et meneaux de style renaissance.
C’est dans cette galerie qu’un tailloir accolé au mur porte une embase particulière. Sous le tailloir est creusée une niche faisant office d’armarium (armoire en latin) dans laquelle les moines posaient leurs livres de chants et de prières.
L'embase est sertie de 11 entailles, la première sur la gauche étant la plus petite. La distance entre elle et la dernière est de 0,575 m. C’est une unité de mesure, la coudée grandmontaine, que l’on retrouve dans toutes les proportions du cloitre :
les galeries font à peu près 25 coudées de long et 5 de large, la cour intérieure est un carré de 12,5 coudées de large, ce qui fait qu’il mesure le quart de la totalité.
Une porte de la galerie nord du cloitre amène à l’église romane.
Datant de la fin du XIIe siècle, elle fut le premier bâtiment construit. Sans contreforts extérieurs, elle possède un portail au nord à trois voussures en arc brisé. Il est entouré de six colonnettes surmontées de chapiteaux très sobres. Il est surmonté de quatre corbeaux de pierre qui soutenaient jadis les poutres du portique.
La porte ouest fut ouverte en 1849, lorsque le bâtiment fut transformé en chai, afin que les tonneaux de vin puissent facilement être entreposés.
Au-dessus d’elle, une petite baie est ouverte dans la façade, laissant passer les rayons du soleil couchant. Une troisième porte, ouverte au sud, donne sur le cloitre.
Le petit clocher octogonal, plus récent (fin XIIIe ou début XIVe siècle), construit sur une tour carrée, est coiffé d’un dôme de pierre. On passe du carré à l’octogone pour terminer au cercle, la quadrature est respectée. Plus on s’élève, partant du carré de la terre, plus on se rapproche du ciel et du cercle parfait.
L'église, d’une sobriété absolue, constituée de pierres taillées en grès, possède une unique nef en berceau continu légèrement brisé, délimitée par un cordon mouluré en quart-de-rond (la « vouta plana », spécificité grandmontaine).
Les murs, sans aucune décoration et sans ouverture laissaient les moines dans une semi obscurité propice au recueillement.
Le chevet en cul de four, légèrement plus large (spécificité grandmontaine), est quant à lui percé de trois fenêtres hautes et étroites, fortement ébrasées (spécificité grandmontaine). La lumière n’éclairait que le saint des saints, là où se tenaient les officiants, du côté du soleil levant.
Pas de sacristie chez les grandmontains : elle était remplacée par des niches voûtées aménagées dans la muraille : une piscine pour les ablutions et une armoire liturgique au sud, deux placards pour les livres au nord.
De la galerie orientale du cloitre, trois arcades en plein cintre sous un arc de décharge s’ouvrent sur la salle capitulaire. Carrée à l’origine, elle fut réunie à une autre pièce, la salle des moines ou salle de travail au XIXe siècle, voûtées toutes deux de croisées d’ogive toriques partant du sol.
Elle bénéficiait de deux fenêtres ouvertes à l’orient, fortement ébrasées.L’ancienne salle des moines était reliée à une petite salle voûtée en demi-berceau, ouverte sur les jardins et hors enceinte sacrée. Elle servait probablement de remise pour le matériel agricole.
L’aile méridionale de la celle, remaniée en habitation, ne se visite pas non plus. Elle était à l’époque occupée par le réfectoire des moines et la cuisine au rez-de-chaussée, par un grenier à l’étage.
Au nord, la chapelle gothique accolée à l’église fut construite hors clôture au XIVe siècle par Bérenger de Vailhauquès, abbé de Nant, à la place du portique en bois. Le bâtiment, flanqué de contreforts massifs, est voûté de croisées d’ogives.
Au-dessus de sa porte fut encastrée la pierre portant l’inscription de dédicace de l’ancienne chapelle : « consecrata est haec aula XI kl junii in honore sci michaelis archangeli », « ce sanctuaire a été consacré le 11 des calendes de juin en l'honneur de saint Michel archange ».
A l’est, le cimetière des moines, accessible à l’époque par le « couloir des morts », se tient comme il était d’usage chez les grandmontains devant le chevet de l’église. En 1983, des fouilles permirent de retrouver trois sortes de sépulture.
Les plus récentes, deux caveaux maçonnés, contre l’ouverture du couloir des morts et contre le chevet, orientés nord/sud, sans doute construits pour des notables. De simples tombes de moines en dalles de lauzes, alignées est/ouest, datant des XIIe et XIIIe siècles.
Enfin deux tombes accolées creusées dans le grès, typiques de la période wisigothique (entre les Ve et VIIe siècles), ce qui prouve que l’endroit fut sacralisé bien avant l’arrivée de Fulcran au Xe siècle.
http://monumentshistoriques.free.fr/abbayes/grandmont/grandmont.html
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ordre_de_Grandmont
http://www.limousin-medieval.com/grandmont
http://grandmont.pagesperso-orange.fr/index.html
https://saintsulpicelauriere.wordpress.com/labbaye-de-grandmont/
http://www.imagesplus.fr/Le-Prieure-Saint-Michel-de-Grandmont_a199.html
http://fmoreau.recit.free.fr/index.php?ref=MFQ9527