Le prieuré de Serrabone
Situé dans la vallée du Boulès au coeur des forêts de chêne verts, Serrabone est construit sur un des versants du Canigou. Cette région est habitée dès le néolithique final. Une stèle, dite du Mas Nou, est présentée à l'entrée du prieuré de Serrabone. C'est un bloc de schiste qui servait de seuil d'entrée d'un mas proche du col des Arques. La pierre mesure 1,30 m de long sur 0,40 de large. Les deux motifs gravés peuvent paraître anthropomorphiques : le premier, sans doute symbole féminin, est composé d'un axe vertical avec un petit trait horizontal au sommet. Un autre trait horizontal coupe l'axe au milieu et est surmonté de deux points. Dans sa partie inférieure, l'axe traverse un cercle incomplet.
Le second représente peut-être la partie masculine : l'axe corporel se termine par deux traits écartés, avec au-dessus deux parallèles. La partie supérieure montre un losange coupé d'un petit chevron au dessus duquel se trouve une cupule. Une autre cupule ovale occupe l'espace entre les deux motifs.
Sainte-Marie de Serrabone (Serra bona : la bonne montagne) est une église fondée au Xème siècle, la plus ancienne mention du lieu remontant à 1069, date à laquelle une église paroissiale dédiée à la Vierge est citée. C'était à l'époque un lieu de pèlerinage, où de nombreux miracles s'étaient produits. En 1082, sous le patronage de seigneurs locaux et du vicomte de Conflent, qui lui donnent des biens et des revenus, l'installation d'un collège de chanoines est décidée, suivant la règle de Saint Augustin.
Un désaccord surgit alors entre les fondateurs et l'évêque d' Elne, révélateur des tensions engendrées par la "réforme grégorienne", qui voudrait soustraire les fonctions religieuses de l'autorité des laïques. L'évêque entend se réserver la nomination du prieur, mais les riches fondateurs refusent. Un compromis est trouvé, seuls les chanoines éliront leur chef.
Les religieux augustins mènent une vie communautaire, comme des moines, mais assurent aussi le service paroissial. Dans la première moitié du XIIème siècle, à côté de l'église, ils construisent des lieux qui leur sont propres : cloître, salle capitulaire, réfectoire, dortoir... et dotent le prieuré d'une parure sculptée.
70 ans s'écoulent avant que l'église rurale ne se transforme en prieuré. En 1151 a lieu la consécration du nouvel édifice par l'évêque d'Elne. L'évocation de cette cérémonie est matérialisée par des croix gravées dans les murs de la nef et de l'abside. L'édifice fera alors l'objet d'importants travaux d'agrandissement et d'embellissement. Ils ont aussi élevé un clocher au sud, une galerie cloître et un bâtiment en angle comprenant trois salles superposées.
Le collège était mixte, car comprenant des hommes et des femmes (qualifiées de converses).
L'apogée du prieuré fut de courte durée : les troubles commencent aux XIIIème et XIVème siècles avec l'individualisme croissant des chanoines (la vie en communauté a laissé place à des cellules individuelles par exemple...). La décadence devient alors inéluctable et atteint un tel degré au cours du XVIème siècle que le pape sécularise alors le prieuré, comme tous ceux rattachés à la règle de Saint Augustin en Espagne.
Rattachée à Solsona en Catalogne (nouveau diocèse établi à cette époque), la collégiale devient église paroissiale et tombe lentement dans l'abandon et l'oubli.
L'église Sainte Marie reste pendant deux siècles la paroisse du petit village de Serrabone.
On signale que bergers et troupeaux se réfugient occasionnellement dans le cloître ou l'église. En 1819 toute la partie occidentale de l'église s'effondre, minée par les intempéries, de même on n'hésite pas à démonter, dans le cloître, la rangée intérieure de colonnes et chapiteaux pour constituer un retable dans l'abside.
En 1822 la commune de Serrabone, pauvre et dépeuplée, est supprimée.
Remarquée par les archéologues, elle est visitée par Mérimée en 1834 : elle devient l'un des tout premiers "monuments historiques".
A partir de 1836 les premiers travaux de consolidation sont réalisés, complétés au XXème siècle par de nombreuses campagnes de restauration qui vont assurer le sauvetage définitif de l'édifice. Offert au Département des Pyrénées-Orientales par la famille Jonquères d' Oriola en 1968, le Prieuré de Serrabone est depuis cette date ouvert au public.
http://www.cg66.fr/culture/patrimoine_catalanite/monuments/serrabone/index.html
Wikipédia
http://notes.romanes.free.fr/images/catalan66/serrabone/cadre.htm
http://histoireduroussillon.free.fr/Thematiques/Batiments/Histoire/PrieureDeSerrabone.php
L'église de Serrabone
L'église actuelle est formée par la nef de l'église primitive, constituée d'une nef unique, voûtée en berceau brisé. La venue de la communauté de chanoines entraîne au XIIème un important chantier de transformations : le chevet primitif est remplacé par un transept saillant à l'extérieur flanquée de deux absidioles encloses dans les murs.
Les bâtisseurs ont aussi élevé une deuxième nef au nord : il est probable que cette nef était celle qui servait pour les paroissiens de Serrabone. Le baptistère conservé rappelle cette destination. C'est dans ce collatéral que la population de Serrabone était baptisée, assistait aux messes. Un mur aveugle séparait la chapelle primitive, où se déroulait la vie clôturée, et le collatéral.
La nef, vaisseau long et étroit de 5 mètres de large, éclairé par des baies en plein cintre, est voûtée en berceau brisé et le collatéral en demi berceau. Les deux vaisseaux communiquent entre eux par deux arcades percées dans le mur les séparant (mur faisant partie de l'édifice du XIème siècle). La voûte en berceau brisé atteint 10 mètres de hauteur. Les trois absides sont voûtées en cul-de-four.
Les murs épais de la nef sont construits en schiste local débité en moellons allongés. L'appareillage de la seconde construction est plus élaboré, constitué de gros blocs de schiste taillés et ajusté avec soin. Les sculptures du cloître, du portail, de la fenêtre absidiale et de la tribune sont entièrement ouvragées en marbre rose du Conflent. Elles font un contraste étonnant avec le vert gris du schiste. Des traces de fresque subsistent encore sur le mur droit de la nef.
Le chœur est voûté en cul-de-four. Il est éclairé par une minuscule baie cintrée, encadrée de deux colonnettes surmontées de chapiteaux : à gauche, les feuilles d'acanthe, à droite, des lions ailés se métamorphosant en griffons. A demi mammifère, à demi oiseau, mi-terre mi-ciel, mi-matière mi-esprit...
Le portail, constitué d'un arc plein cintre, est orné d'un tore semi-circulaire en marbre reposant sur deux colonnes aux chapiteaux ouvragés, de 37cm sur 37 cm, traités au trépan (foret actionné par un arc qui permettait de perforer le marbre). Ces mesures sont celles systématiquement utilisées pour la totalité des autres chapiteaux du prieuré.
A gauche, le Christ en majesté est entouré de deux anges à 4 ailes ornées d'yeux, balançant leurs encensoirs. Il est assis sur le trône de la sagesse.
A droite, une seule gueule de lion s'ouvre sur deux corps séparés. Cette sculpture se retrouve dans le cloître et dans l'église.
Malheureusement volés en 2000, les chapiteaux ont été remplacés par des copies.
Le cloître
Il est accolé au côté sud de l'église, et ses arcades ouvrent sur le ravin à proximité.
Un petit jardin est ménagé à son pied, sur une des terrasses ménagées pour soutenir le prieuré.
Dans le mur nord se trouvait une porte de la chapelle d'origine. Murée afin de recevoir la tribune, il n'en reste qu'une niche.
Rythmé par trois piliers séparant des séries d'arcades, il est constitué d'une seule galerie. Le décor sculpté se déploie sur les huit couples de chapiteaux en marbre.
On remarque l'activité de sculpteurs différents travaillant ensemble : les chapiteaux intérieurs sont une exécution plus habile que les extérieurs.
Nous trouvons des lions dressés, qui, comme sur le portail n'ont qu'une gueule pour deux.
Des lions "engoulants", gueules ouvertes, avalant ou bien faisant sortir (?) des pattes ou des bras...
Des lions ailés, dressés sur leurs pattes arrière, qui mordent la pointe de leurs ailes, alors qu'un personnage vêtu d'une longue robe plissée, chevelu et barbu (l'enseignant ?), encercle de ses doigts leurs pattes arrière. Ils sont encore dans la matière.
Quatre aigles, toutes ailes déployées, posant leurs pattes sur l'abaque du chapiteau. Encore dans la matière.
Les feuilles d'acanthe en bouquet végétal laissent apercevoir la tête d'un homme. Apparition de l'initié.
Les lions marchants : le premier est tellurique, la tête et le sexe baissés vers la terre. Au -dessus, une étoile et un homme couronné, au milieu de feuilles simples. Le deuxième, la tête relevée, le sexe épanoui regardant vers le ciel. Au-dessus, l'homme et l'étoile, au milieu de feuillages d'acanthe plus importants... No comment.
La Tribune
La chapelle du prieuré est divisée en deux parties par un portique en marbre rose, la tribune. Le transept et l'abside sont réservés au culte monacal alors que la partie ouest de la nef et le collatéral sont réservés à la mission d'évangélisation.
La tribune est considérée comme l'exemple le plus remarquable de travail de sculpture pour l'époque romane en Pays Catalan. La qualité du matériau, le marbre de Villefranche-de-Conflent, contribue à magnifier le chef d'oeuvre des artistes sans nom qui l'ont faite, sans doute peu avant 1150.
La tribune a une forme à peu rectangulaire de 5,60 x 4,80 pour une hauteur de 3,10 mètres. Une balustrade, dont il ne reste aujourd'hui que quelques restes sculptés, dominait cet ensemble sur une hauteur d'environ 1,50 mètre. Le dessus du portique est une simple plate-forme destinée aux chants liturgiques.
Les croisées d'ogives présentes sous la tribune ne sont en aucun cas une forme primitive de voûte gothique : elles ont ici un rôle purement décoratif, afin de cacher la voûte d'arête les surplombant sans jamais les toucher.
Trois arcades surmontées d'une corniche composent la façade. Son aspect ciselé en faible relief s'oppose aux chapiteaux en ronde-bosse.
Elle reprend dans son décor les symboles chrétiens tirés du texte de l'Apocalypse, placés dans les écoinçons des arcs. A l'extrémité, deux anges aux mains ouvertes, leurs ailes couvrant leurs corps. Le lion symbole de Marc est placé à côté de l'aigle de Jean. A l'opposé, le taureau symbole de Luc, voisine l'homme ailé de Mathieu.
Ces quatre représentations entourent l'image du Christ, représenté sous les traits de l'Agneau disposé dans une mandorle. Autour de ce message, un décor végétal varié, de palmettes, de rose à quatre pétales et de rinceaux occupe la surface.
A l'exception d'un chapiteau mettant en scène Saint Michel terrassant le dragon (normal dans une chapelle dédiée à la vierge, les parèdres sont toujours présents), la sculpture de Serrabone n'est pas narrative, mais symbolique. Et là, un livre entier n'y suffirait pas.
Citons quand même la présence de Cernunnos, en face du sagittaire qui le blesse de sa flèche, le tout observé par un homme tonsuré (l'ancienne religion terrassée?), puis un centaure et un lion, que l'homme tonsuré tient respectivement par la langue et par l'oreille ( la parole de l'ancienne tradition racontée à la nouvelle, ou bien Chiron enseignant le lion solaire).
Il existe même un lion acrobate, les pattes dressées vers le ciel...