Abbaye Sainte-Marie de Fontfroide, historique
Allez, me direz-vous, encore un reportage sur l'abbaye de Fontfroide. De plus, ce n'est pas celle que je porte le plus dans le coeur, en rapport avec quelques parfaits de ma mémoire. Mais le temps passant et la sagesse prenant le pas sur les rancoeurs, je me suis dit que cette abbaye restait un lieu sacré. Je m'y suis donc rendue pour la deuxième fois, prenant le temps de m'impregner de la beauté des paysages.
La présence de l'homme est attestée dans les environs depuis fort longtemps. C'est dans le sud du massif des Corbières, à une trentaine de km de Fontfroide, que fut découvert l'homme de Tautavel, pré-néanderthalien, vieux de 450 000 ans. Deux sites de l'époque magdalénienne ont été découverts dans le massif même de Fontfroide et confirment cette implantation humaine.
A un mile romain (1,5km) de l'abbaye commence la plaine de Lézignan, passage obligé entre Corbières et Cévennes de tous les flux migratoires venus de l'est. Celtes, Volques, Ibères puis Romains et Wisigoths s'y implantèrent.
Vers la fin du XIème siècle, dans le massif de Fontfroide, un mouvement réunit des ermites dispersés, et le 12 des calendes de juin 1093, le Vicomte Aymeric II de Narbonne autorise une communauté de moines à se constituer sur ses terres de Fontfroide. Le lieu est propice, caché au creux des collines calcaires, encerclé et donc défendu par un torrent, abreuvé par la "fons frigida", protégé à quelques distances par les pitons fortifiés de Saint Pierre des Clars et de Saint Martin de Toques. La communauté suit la règle de Saint Benoit de Nurcie.
Mais la jeune communauté mène une existence obscure et ne joue aucun rôle important, semblant oubliée, même par la dynastie qui l'a fondée. Vers 1114, Géraud de Sales avait fondé l'abbaye de Grandselve au nord-ouest de Toulouse après avoir vécu dans un ermitage, où sa prédication comme ses dons de thaumaturge avaient amené de nombreux disciples. La notoriété de l'abbaye est telle que Fontfroide lui demande en 1144 des réformateurs pour appliquer la règle d'une manière stricte. Fontfroide devient ainsi la fille de Grandselve bien que créée avant elle, d'où son appellation de "filia ante mater", fille née avant sa mère.
Pour une plus grande explication des évènements qui se sont déroulés à Fontfroide, voir le site officiel de l'abbaye : http://www.fontfroide.com/
Et pour mieux comprendre les différents bâtiments, le livre de Nicolas d'Andoque, "Abbaye de Fontfroide", aux éditions Gaud, ainsi que l'article de Wikipédia.
Abbaye Sainte-Marie de Fontfroide, l’église abbatiale
Une analyse métrologique des constructions amène à conclure que l'unité de mesure employée à Fontfroide fut la "canne lombarde", équivalant à 188 de nos centimètres. Elle se trouvait subdivisée en unités appelées "pans" et organisée en "modules".
Ici, la largeur de la nef de 9,40m correspond à 5 cannes, en 12 modules. Celle des collatéraux en représente la moitié et le carré du transept multiplie de 12 modules par 12.
Le parti pris de dépouillement se retrouve à l'extérieur de l'église. Point de porche richement sculpté mais une simple porte qui ne s'ouvrait que pour recevoir les dépouilles mortelles des membres de la famille des vicomtes de Narbonne.
Le chevet exprime également parfaitement cet esprit de simplicité et de logique qui apparaît partout dans les abbayes et églises cisterciennes.
La nef
La construction de la nef fut entreprise dès l’affiliation à Cîteaux en 1145 ou, au plus tard, après la donation définitive par la vicomtesse Ermengarde de Narbonne en 1157. Contrairement aux usages, on commença les travaux par la nef.
Rythmées par cinq travées, la nef élève jusqu’à vingt mètres sa voûte en berceau brisé que soutiennent de massifs doubleaux rectangulaires. Ces arcs prennent appui sur des colonnes géminées, engagées dans de gros piliers carrés et s’arrêtant sur des consoles en quart de rond, à deux mètres du sol. Des stalles sont disposées de part et d’autre de la nef pour constituer le chœur des moines.
Cette nef est contrebutée par deux collatéraux dont la voûte en demi-berceau monte à quatorze mètres. Ils communiquent avec la nef par de grandes arcades, à rouleaux soutenus par des colonnes engagées dans les piliers et reposant sur des piédestaux, à la même hauteur que les consoles de la nef. Dans le collatéral sud s’ouvrent cinq chapelles qui datent très certainement du XVème siècle.
Le transept et le chœur
Élevé après la nef, à la fin du XIIème siècle, le transept a peut-être été remanié un siècle plus tard ou même au début du XIVème siècle. Au fond de la croisée du transept nord, un escalier relie directement l’église au dortoir des moines.
Dans chacun des croisillons s’ouvrent deux chapelles, toutes quatre orientées à l’Est. Les plus proches du sanctuaire ont une forme rectangulaire à chevet plat, les autres plus profondes, se terminent par une petite abside à cinq pans.
À la croisée centrale du transept, la clef de voûte est remplacée par une ouverture circulaire, un oculus. L’édifice de l’église a dû s’achever par le sanctuaire, comportant chœur et abside. Légèrement surélevé de deux marches, le premier est couvert d’une voûte d’ogives. Du côté de l’Évangile, on aperçoit les vestiges, très mutilés, de tombeaux dont on peut penser qu’ils furent ceux des vicomtes de Narbonne.
La vierge de Fontfroide
Personne ne sait d'où elle vient, cette merveilleuse dame, tenant l'enfant dans son giron (tous deux porteurs de la fleur de lys) avec son ventre laissant présager un nouvel enfantement. Assise sur sa cathèdre, surmontée de l'étoile à 7 branches, entourée des deux colonnes, ne dirait-on pas la papesse ? Seraient-ce les rois mages lui portant hommage ?
La crypte
Partie basse de l'église abbatiale, elle est creusée dans le rocher sur son côté sud. Elle est construite en pierres de taille dans ses parties nord. Elle rattrape ainsi la déclivité du roc et sert de fondation au monastère. Les murs massifs, la courbe large du choeur et l'épaiseur imposante des arcs en plein cintre au dessus du transept sont les traits essentiels de son architecture.
Ces éléments, hétités de l'antiquité romaine, caractérisent au XIIème siècle l'éclosion du style roman provençal. La taille parfaite de la pierre rend compte du savoir faire remarquable des carriers. Certaines pierres sont gravées de lettres majuscules, marque des confréries des tailleurs ou tâcherons. Les 7 chapelles de la crypte étaient vouées à la liturgie, à la célébration de messes privées et aux offices funéraires. Ainsi, un accès direct conduit au cimetière qui enveloppe le chevet.
Abbaye Sainte-Marie de Fontfroide, le cloître
Galerie ouest
Dans la ruelle des convers une porte de ferronnerie fait passer au cloître lumineux. La lumière y est diffusée par des arcatures et des oculi. Cette cour intérieure est le cœur même de l’abbaye. C’est par la galerie ouest longeant le bâtiment des convers qu’on aborde cet espace clos enserrant un petit jardin.
L’arc brisé ouvrant la première travée découvre la perspective des massifs fleuris qui entourent le puits devant l’angle des grandes arcades dominées par le clocher. Deux périodes de construction et deux styles différents se sont succédé ici.
Un premier cloître, bâti de la fin du XIIème au début du XIIIème siècle, fut élevé selon les règles de l’art roman. L’ensemble des parties basses, notamment la double procession des colonnettes et leurs chapiteaux à décor de feuillages supportant des petits arcs plein cintre, appartient à cette époque, mais c’est alors une charpente de bois avec son toit en appentis qui couvrait les quatre galeries.
Dans la seconde moitié du XIIIème siècle, quand Fontfroide, riche de multiples donations, entame le temps de sa plus grande prospérité, un important remaniement est réalisé suivant le goût et les techniques nouvelles, celles de l’âge gothique. Dans chaque travée, les colonnettes romanes, toujours en place, sont désormais surmontées d’un haut tympan, percé d’oculi différemment répartis et qui s’inscrit lui-même dans un profond arc brisé.
L’ancienne couverture de bois est remplacée par la pierre et, à l’intérieur des galeries, les voûtes d’ogives retombent le long des murs sur d’élégants culots, à deux mètres du sol. Il faut encore parcourir la galerie sud pour atteindre le portail donnant accès à l’église abbatiale.
Galerie sud
Elle jouxte le collatéral de l’abbatiale et fût bâtie la toute première, aussi bien lors de la construction romane que lors du remaniement ogival.
Les colonnettes sont ici groupées, dans chaque travée, en cinq paires : leurs marbres alternent le rose de Caunes, la griotte des Pyrénées, le blanc veiné de gris ou de vert ; leurs chapiteaux offrent les motifs végétaux les plus variés.
Au dessus, les deux tympans centraux s’aèrent par trois oculi, au lieu de l’unique, présent partout ailleurs. Mais ce sont les voûtes qui recèlent les particularités les plus curieuses. La croisée d’ogives y est accompagnée d’un lierre longitudinal torique et les compartiments très bombés sont appareillés en lit concentrique comme à la voûte du carré du transept dans l’église.
Tout au long de la galerie existent des bancs où les moines venaient s’asseoir soit pour lire individuellement, soit pour se reposer en méditant ce que leur mémoire et leur cœur avaient retenu de la liturgie ou de la lecture. Dans cette même galerie, deux bassins de pierre servaient au rite du "mandatum", le lavement des pieds que les Cisterciens pratiquaient mutuellement chaque semaine.
Galerie est et salle capitulaire
Le mur de la galerie est, immédiatement contigu à la porte de l’église et laisse deviner, derrière une statue bourguignonne de la Vierge à l’Enfant et au panier de roses, l’emplacement obturé de l’armarium. Dans cet évidement ménagé sous l’escalier du transept étaient conservés les livres nécessaires aux offices, les textes de l’Ancien et du Nouveau Testament, les œuvres des Pères de l’Église.
La porte qui s’ouvre aussitôt après introduit à la sacristie, belle pièce voûtée en berceau. Cinq travées rythment la galerie Est et la travée centrale apparaît vers le jardin entièrement évidé, sans arcature de colonnettes au-dessus de la banquette et sans tympan, ouverture symétrique de celle qui, lui faisant face, constitue l’entrée de la salle capitulaire.
Le seuil servant de transition entre le cloître et la salle elle-même marie la sobriété et la majesté, la puissance et la légèreté. L’arcade centrale en plein cintre s’appuie sur deux groupes de quatre colonnes de marbre entourant une cinquième. La salle a vraisemblablement été construite entre 1180 et 1280.
Contre les trois murs pleins, arcs et nervures reposent sur les chapiteaux très simples de colonnes engagées. Au centre, ogives et doubleaux sont soutenus par quatre colonnes de marbre. Leurs chapiteaux évasés s’ornent de deux rangs de feuilles plates, représentations stylistiques du « citel », le roseau d’eau des étangs de Bourgogne qui a donné son nom à Cîteaux.
D’ici, à travers les colonnes du chapitre et de la galerie, répétée au-delà par celles des autres travées du cloître, se découvre une surprenante perspective : fûts de marbre et arcs de pierre multipliés imposent l’image d’une forêt au profond recueillement.
Deux bancs de pierre superposés courent le long des murs. À l’Est, trois fenêtres éclairent la salle Au-delà de la salle capitulaire, un passage conduit au second cimetière, celui de la communauté du XIXème siècle. À l’origine, il servait pour le rangement des outils que prenaient les religieux avant de rejoindre les jardins ou les ateliers.
Abbaye Sainte-Marie de Fontfroide, la chapelle des étrangers
A l’extérieur de la clôture et seule construction qui subsiste du premier monastère, elle permettait aux pèlerins et aux étrangers d’assister aux offices sans déranger les moines. Elle se trouvait à proximité de la seule porte d'entrée du XIIème siècle, blottie contre la colline.
Au XIVème siècle, des contreforts permettent de surélever le bâtiment et de construire une salle, peut-être utilisée comme chapelle par les pères abbés.
Près d'elle, contre la paroi, une source accueille les visiteurs, humains ou non.
Abbaye Sainte-Marie de Fontfroide, les cours
La cour d'honneur
Après avoir franchi le porche d'entrée, bâti vers 1777-1778, on découvre le long rectangle de la cour d'honneur. Il est cerné à droite par un mur de gros appareil et, en terrasse, les jardins à l'italienne.
À gauche, un grand bâtiment de structure médiévale qui fut d’abord occupé par les frères convers puis transformé et réaménagé, notamment par l’ouverture de larges fenêtres à meneaux, afin d’accueillir l’hôtellerie.
Au fond, l’espace est limité par une vaste arcature à trois baies dont
celle du milieu, fermée par une grille de fer forgé, s’orne d’un
fronton triangulaire classique.
La cour du XVIIIème siècle
Cette cour est souvent dénommée "Louis XIV", à tort, car les documents attestent que sa configuration actuelle provient des travaux effectués à partir de 1775. Dans le monastère médiéval, sur un espace nettement plus restreint, s'ouvraient au nord les ateliers des frères convers : la menuiserie, la forge et la boulangerie au droit du moulin enjambant le torrent. À l’est se développait l’aile du noviciat tandis que vers le sud plusieurs bâtiments proprement conventuels débordaient largement dans cette cour.
Tout l’ensemble se trouvait centré autour du puits, véritable citerne aux moellons parfaitement assemblés et qui s’approfondit en un gouffre creusé dans les calcaires fracturés. C’est la que se trouve une eau très froide, sans doute origine toponymique du nom Fontfroide (fons frigida) et en raison de la présence sur ce site de la première installation monacale. Toute implantation de monastère nécessite en effet une triple proximité : celle de la pierre, celle du bois et celle de l’eau. Tous ces éléments se trouvent réunis à Fontfroide.
Quand l’abbaye, aux temps classiques, n’abrite plus ni convers, ni novices mais seulement un petit groupe de moines, ceux-ci détruisent les bâtiments devenus inutiles et modifient les constructions en les alénageant selon le goût de l’époque. Alors cette cour prend son aspect régulier, rectangulaire, par la réduction des surfaces de la cuisine, de la salle des moines (le scriptorium) et surtout du réfectoire. La surélévation du sol, de près de 30 centimètres, correspond aux déblais retirés de ces démolitions. Quant au noviciat, il fait place au logis du prieur conventuel avec une orangerie et, à l’étage, des logements spacieux. La façade cependant n’est qu’un décor de théâtre, placage sur la structure du XIIIe siècle.
Abbaye Sainte-Marie de Fontfroide, les bâtiments des convers
Le réfectoire
Une porte partant de la cour d'honneur permet l'accès au réfectoire des convers. Les imposantes dimensions de celui-ci, dont la longueur avoisine les cinquante mètres, amènent à imaginer une communauté de 180 à 200 frères.
Ce vaisseau construit au début du XIIIème siècle se divise en cinq travées ouvertes de voûtes d’ogives étalées. Les arcs doubleaux de profil carré, les ogives et les nervures se fondent dans les murs. L’éclairage est apporté par des baies géminées vers l’ouest et en simple arc plein cintre à l’est.
La ruelle des convers
Dans les abbayes cisterciennes normalement orientées, comme c’est le cas de Fontfroide, le sanctuaire étant disposé vers l’est, le cloître contigu et les bâtiments adjacents occupent la partie orientale du monastère. Les frères convers se trouvent donc installés dans la partie occidentale, tournée vers l’extérieur. Là s’ouvre la porte principale par laquelle ces ouvriers peuvent sortir pour gagner le lieu de leur travail. C’est à partir de cette entrée que s’organise la distribution intérieure des bâtiments. Celle-ci doit faciliter et en même temps réglementer la communication entre les deux groupes de religieux. Il s’agit d’établir, tout en maintenant la séparation, des points de contact entre les lieux de vie. Par elle les frères convers avaient accès au cellier et au réfectoire, au passe-plat de la cuisine, commune aux profès et aux convers.
C’est en cheminant sous cette longue voûte en demi-berceau qu’ils se rendaient au fond de l’église, sans déranger l’office psalmodié par les moines installés, eux, dans la partie opposée de la nef.
Au XVIIème siècle, les convers ayant disparu depuis longtemps, leur ancien dortoir, à l’étage, à été aménagé en spacieuses cellules pour des hôtes. Un grand escalier, que soutient un arc en anse de panier, conduit à l’entrée.
Le dortoir des frères convers
C’est une superbe salle à voûte de grès rose, en berceau brisé, sans aucun doubleau sur toute sa longueur. Dans sa partie la plus méridionale, cet espace contenait un grenier où les sacs de grains étaient hissés par des ouvertures latérales. La partie opposée représente ce qui subsiste du dortoir des convers après les transformations du XVIIIème siècle.
La porte romane et le cellier
La porte servait d’entrée principale au monastère. Un arc, vide de tout ornement, dessine un plein cintre. Les claveaux, finement taillés, épanouissent leur éventail en longues lignes trapézoïdales. Un imposant linteau constitué d’un unique bloc, soutient le tympan.
Le cellier est une salle basse, voûtée et de vastes proportions dans ces murs épais. Or, entre l’un de ceux-ci, à l’Est, et le mur voisin limitant la ruelle des convers subsistent les traces d’un escalier qui assurait la communication directe de ce cellier avec le dortoir situé au-dessus.
Abbaye Sainte-Marie de Fontfroide, la roseraie
Fontfroide offre depuis quelques années une nouvelle roseraie. Sur cet emplacement, au sud de l’abbaye, subsista durant de long siècles le double enclos d’un cimetière. Dans la partie orientale jouxtant le transept de l’église, étaient enterrés les religieux, moines et convers. Depuis le XIIème siècle, plus de deux mille sépultures se sont superposées.
Autrefois séparé par un mur, un second enclos vers l’Ouest recevait les dépouilles des laïcs, généralement de riches bienfaiteurs. Ce cimetière fut désaffecté dès 1668-1669 et réaménagé au XVIIIème siècle. Au XIXème siècle, les cisterciens avaient installés leur cimetière au chevet de l’église.
Le terrain de la nécropole, en friche, reçut la roseraie au début du XXème siècle. En 1986, un incendie criminel la ravagea et elle fut replantée en 1989. En tout, ce sont 2 500 rosiers qui embellissent Fontfroide et présentent onze coloris différents. Un peu plus haut, l’enclos Saint-Fiacre constitue un jardin de senteurs où sont réunis toutes sortes de roses anciennes anglaises associés à des plantes odorantes de la garrigue.