Les Cornards de Beaumont
Beaumont, à l’instar du Puy-en-Velay, fête ses cornards. Comme dans la capitale vellave, la légende n’a pas qu’une origine populaire et folklorique. L’histoire, ici, se déroule dans l’église Notre-Dame de la Rivière lors d’un office pascal au siècle dernier. Un bouc eut la malencontreuse idée de pénétrer dans le sanctuaire lors du sermon du curé qui, fâché, demanda à ce que l’on fasse sortir le « cornard » (nom du bouc en patois auvergnat mais aussi celui du cocu).
Certains disent qu’alors ce fut un malheureux boulanger, connu pour les infidélités de sa femme, qui fut mis dehors. D’autres encore affirment que ce fut la moitié des hommes qui se leva et partit… Depuis, chaque année le lundi de Pâques, les cornards sont fêtés à grand renfort de manèges, fanfares, danseurs, défilés avec chars décorés de fleurs jaunes. A la fin des festivités, l’effigie d’un bouc en papier est brûlée pour conjurer le mauvais sort.
Que se cache-t-il sous ces pratiques bien anodines en apparence ? Cherchons du côté des cornes. « La corne est un important symbole d’origine préhistorique, largement utilisé dans toutes les civilisations. Son sens est directement lié aux animaux à cornes, cerfs, béliers, taureaux, mais aussi la lune qui affecte la forme d’une corne quand elle croit et décroit. Les animaux cornus ont la réputation et la faculté d’être particulièrement puissants au sens sexuel et physique du terme.
D’où la notion de virilité, de fertilité, de puissance sexuelle et vitale associée à la corne. Cette fertilité par analogie sera associée à la terre par la corne d’abondance déversant ses fruits et ses fleurs ». La corne d’abondance est l’une des cornes d’Amalthée, la chèvre qui nourrit Zeus enfant de son lait. Zeus, ne maitrisant pas sa force, la lui avait arrachée. Les cornes d’abondance peuvent s’assimiler au chaudron celte.
Guénon dit que les cornes de bélier sont de caractère solaire et les cornes de taureau de caractère lunaire. La corne du bélier est un principe actif et masculin, le symbole solaire de la force et de la puissance, de la virilité, et, de par sa forme, du principe actif de pénétration. La corne peut devenir croissant de lune, porté par le taureau, symbole de la grande déesse. Principe passif et féminin, par son ouverture en forme de réceptacle, elle devient symbole de la fertilité, de l’abondance, de la création, un instrument de régénération. La corne peut réunir ces deux principes et amener à un équilibre parfait.
Le mot corne (du latin corna, proche de l’hébreu keren,du gallois carn ou cyrn, du breton karn et kern, le thème kern désignant en celtique le sommet de la tête) provient de l’indo-européen commun ker, qui veut dire « tourner ») possède une racine proche de la courone de l‘élu. CoRNe, CouRoNne.
On peut aussi le rapprocher de Cernunnos, le dieu du panthéon celtique porteur de cornes de cerf. Une théorie fait de Cernunnos un archétype issu du chamanisme ancestral, incarnant le cycle biologique de la nature et la régénération. Associé aux forêts, aux animaux, et à la chasse (comme Diane ou Artémis, la sœur d’Apollon Karneios), il est considéré comme le maitre de la vie et de la mort (ses cornes solaires de cerf repoussant chaque année), associé à la fécondité (corne d’abondance), garant de l’équilibre. Il est le parèdre de la Grande Déesse Mère, porteuse des cornes lunaires du taureau.
Du côté des cocus peu de choses. Difficile d’en donner l’étymologie, les uns disent qu’il vient du latin coculus qui signifiait coucou (oiseau dont la femelle pond ses œufs dans le nid d'autres espèces ce qui la rend volage). Mouais. Sur le site internet de « idees-beaumont.org », on trouve ce texte qui me semble plus approprié : « Le cocu du village gaulois était le premier marié de l’année, exploit qui faisait de celui qui avait dû être la coqueluche des femmes le coq de la petite communauté.
On le coiffait des cornes de Cernunnos, on l’admirait et on le fêtait. L’année écoulée, il passait son trophée à un successeur. Il a fallu beaucoup de temps pour que cette transmission de pouvoir soit assimilée à la déchéance d’un « cornard » et que le mot cocu prenne le sens que nous lui connaissons trop bien ».
Quant à la date… Pâques est fixé au premier dimanche après la première pleine lune qui suit le 21 mars (équinoxe de printemps, Ostara chez les païens qui donnera Easter, l'équivalent anglais de « Pâques », dérivé du nom de la déesse Éostre qui était célébrée à ce moment de l’année. Dans le druidisme c’est Alban Eilir, ce qui signifie lumière de la Terre). C’est une fête de la fertilité, du renouveau, de la lumière : les jours deviennent plus grands que les nuits. C’est pour Pâques que l’on sacrifiait le bélier puis l’agneau, en mémoire du sacrifice d’Abraham puis du Christ, agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde.
Nous sommes évidemment, avec cette fête des Cornards de Beaumont, dans une réminiscence d’anciens rituels dont la symbolique nous amène aux mystères des forces vitales de la Nature. On sait que les endroits élevés étaient dédiés aux dieux solaires. Beaumont a-t-il porté un culte à Cernunnos ou à Bel, ancêtres de saint Michel ? Notre-Dame de la Rivière est-elle la descendante de Belisama, de Sirona, de la grande Déesse des origines ? Les Vierges noires sont en bas, dans les profondeurs de la terre, dans les cryptes. Saint Michel, son protecteur, est placé en hauteur, sur les beaux monts. Saint Pierre a-t-il supplanté l’archange ? Les deux églises, complémentaires, ont-elles été bâties ensemble ?
http://www.idees-beaumont.org/A-propos-de-l-authentique-legende
« Le Puy, haut-lieu ésotérique » Jacques Derderian aux éditions Dervy