L'alignement mégalithique de Lagatjar
Camaret n’est pas seulement l’endroit où vivait un certain curé bien connu des amateurs de chansons paillardes anticléricales, c’est avant tout un petit port de la mer d’Iroise, situé dans une anse bien protégée entourée de plages somptueuses et de falaises vertigineuses.
Au nord-est, la presqu’ile de Roscanvel avec la pointe des Capucins, au sud-ouest la pointe du Toulinguet et la plage de Pen-Hat.
Sur la pointe du Toulinguet se trouve une succession de remparts. Dès la préhistoire les hommes s’en servirent comme un bastion naturel qu’ils fortifièrent, Vauban en 1695 et Napoléon en 1812 prenant la suite.
Pen-Hat, plage aux eaux transparentes et au sable fin, est très prisée des surfeurs et autres adeptes de glisse et de vitesse : les vagues cassent sur plusieurs endroits et la houle est la plus consistante de Camaret.
Plus au sud encore, la pointe de Pen-Hir, imposant promontoire supporté par des falaises de pans de roches à pic hautes de plus de 70 mètres, se termine par les rochers que l’on appelle ici les Tas de Pois.
Entre les deux se trouve l'alignement mégalithique de Lagatjar.
Il est écrit dans le dictionnaire de Jean-Baptiste Ogée en 1778 qu’il était composé de 600 menhirs, ce qui fut confirmé en 1835 par Fréminville (je l’aime celui là) dans son livre Antiquités du Finistère.
Entre cette époque et celle de la restauration du site en 1928, et ce malgré son classement aux Monuments Historiques en 1883, beaucoup furent détruits. Il fut une période où ils servirent de zone de camping, et même de terrain de foot.
En août 1928 les 21 pierres couchées parmi les restantes furent donc relevées. Saint-Pol-Roux, le poète symboliste né à Marseille mais breton de cœur, créateur de la revue « La Pléiade » en 1886, possesseur du manoir de Coecilian (dont on peut encore voir les ruines derrière les pierres levées) en prononça le discours d’inauguration, intitulé « Menhirs » :
« …ces pierres forment pour moi, solitaire de Lagatjar et leur voisin immédiat depuis un quart de siècle, un clavier gigantesque où la touche noire de l’ombre s’exprime en mineur et la touche blanche de la lumière en majeur… »
Aujourd’hui il ne reste que 87 menhirs et bases de menhirs. Les pierres les plus grandes font environ 3 mètres de hauteur.
L’alignement d’un peu plus de 200 mètres forme une ligne qui suit un angle de 37° dont partent à angle droit deux lignes parallèles légèrement courbes, distantes d’environ 77 mètres et d’un angle de 127°, c’est à dire la direction du lever du soleil au solstice d’hiver. Tout ceci délimite une aire quadrangulaire ouverte vers l’ouest, vers le soleil couchant.
Les dignes ancêtres des constructeurs de cathédrales se sont manifestement servis des orientations solsticiales, voire plus si l’on en croit l’écrivain et historien Georges-Gustave Toudouze qui émit l’hypothèse que les alignements étaient orientés par rapport aux Pléiades.
L’amas stellaire des Pléiades, de couleur bleutée, est situé dans la constellation du Taureau (où se trouvait le point vernal vers 4 000 ans avant notre ère). Les anciens grecs, ayant compté 7 étoiles très brillantes, lui ont donné son nom : les Pléiades, comme les 7 sœurs, filles du Titan Atlas (la force brute de la terre) et de l’Océanide Pléioné (la force brute de l’eau). La plus lumineuse d’entre elles se nomme Alcyone, puis viennent Astérope, Mérope, Élèctre, Maïa, Taygète et Célaéno.
En octobre, les Pléiades apparaissent à l’est au-dessus de l’horizon, signalant dans tout l'hémisphère nord le début des moissons. L’amas fait partie de l’alignement PAMS, avec les Pléïades, Aldébaran (alpha du Taureau), le Baudrier d’Orion dit les 3 Mages (Alnitak, Alnilham et Mintaka) et Sirius (alpha du Grand Chien).
Et notre Saint-Pol-Roux n’a-t-il pas créé une revue nommée « Les Cahiers de la Pléiade » ?
Mieux encore. La petite constellation prend parfois le nom de poussinière, de couveuse, de poule et ses petits, de troupe de pigeons. En breton on l’appelle Ar Yar, la poule. Or, dans la langue bretonne, lagad veut dire l’œil. Lagatjar, ou lagad-yar, serait alors l’œil de la poule, c'est-à-dire l’endroit où l’on peut voir, viser, les étoiles Pléiades.
Ouvrez l'oeil, poulettes et poulets... aux pattes noires, aux plumes blanches et à la crête rouge, et continuez de chanter le rythme du soleil et la rotation de la Terre.