L'église Notre-Dame-de-la-Nativité de Bois-Sainte-Marie
Certains pensent que l’église fut commencée à la fin du XIe siècle, vers 1050, mais il parait plus probable qu’elle le fut au début du XIIe, le chœur datant d’environ 1115, la nef entre 1120 et 1130. Eugène Millet en refit une grande partie au XIXe siècle, mais, en homme avisé, il fit refaire les chapiteaux à l’identique, ce qui conserva tout le message des bâtisseurs du Moyen-âge. Il reste le tympan du portail sud, la fuite en Egypte, qui fait un peu tache à mon goût.
L’extérieur
On accède au portail ouest de l’église par un perron de 18 marches fait au XIXe siècle. La façade, dont seule la partie haute fut refaite, est scindée en trois partie, avec de chaque côté une grande arcade aveugle reposant sur des colonnettes à chapiteaux. Les deux contreforts matérialisant les trois parties sont agrémentés de colonnes engagées surmontées de chapiteaux, chose assez rare dans le monde roman.
Dans la partie haute de la travée centrale, on peut voir une baie à colonnes dont les voussures sont ornées de claveaux rouges et blancs.
L’arcature à gauche conserve un bas-relief sculpté effacé qui représente la Vierge assise portant l’Enfant.
Les chapiteaux de la partie basse sont romans. A gauche du portail, côté lunaire, ce qui pourrait être un âne musicien, et côté solaire comme il se doit des aigles aux ailes déployées.
Le chapiteau du contrefort droit porte deux anges. S’il a bien été refait à l’identique par Eugène, il se pourrait que l’on soit là en face de deux hommes ailés (les anges ont des auréoles, là, ils n’en ont point), dont celui de gauche, jupe relevée, est en position de se décharger de la matière lourde, pendant que celui de droite joue de la trompe, montrant tout les deux ce que l’église de Bois-Sainte-Marie est capable de faire.
De belles ferronneries ornent les portes, avec un petit clin d’œil à la symbolique du dragon ou du serpent, sans savoir si l‘artisan forgeron a pu le faire exprès.
Le clocher, remonté à l’identique au-dessus de la croisée des transepts, est orné d’une baie cintrée au premier étage et de trois fenêtres accolées au deuxième. Eugène Millet fit élever une tour quadrangulaire au sud-est du transept pour lui servir d'escalier.
Le haut du chevet, remonté par Eugène, est décoré de bandes lombardes.
Le bas possède 6 colonnes à chapiteaux, et nous retrouvons nos hommes ailés qui, cette fois, donnent l’impression d’être à genoux, commençant par là même leur retournement. Espérons que ce chapiteau aussi ait été refait à l’identique, le message est important.
Côté sud, par contre, un chapiteau est d’origine. Il représente un personnage ailé au centre, montrant un livre, symbole de la connaissance (le livre est ouvert, signifiant par-là que la connaissance en ce lieu n’est pas tenue secrète). Il est entouré de deux groupes de gens liés par une chaine.
Sur sa droite, trois hommes en prière, agenouillés, les mains jointes. Ils sont reliés par la chaine à un homme à gauche, nu, qui cache un démon cornu accroupi, lui-même se tenant devant un animal très abimé. Trois interprétations sont possibles. A vous de déterminer celle qui vous convient entre le parlant, le signifiant et le cachant. Tout le message de Bois-Sainte-Marie sera sur ce modèle, proposant différents niveaux de lecture du symbole.
Je ne peux m’empêcher de vous donner l’interprétation que j’ai trouvée sur le net de ce message parvenu jusqu’à nous : « il représente l’intercession d’un ange en faveur des victimes du péché enchaînées par les démons ». En allant encore plus loin, j’ai trouvé ceci : « Cette composition comporte huit personnages ; trois d'entre eux, revêtus de tuniques, à genoux sur de petits tabourets, sont de pauvres victimes retenues par une lourde chaîne. Leur attitude suppliante et désolée est rendue avec une parfaite expression de vérité. À droite, un démon accroupi tient les extrémités de la chaîne. Entre lui et les captifs, un ange, vu de face, les ailes éployées et également agenouillé, présente un livre ouvert. Sur la face de droite, un second démon parait maintenir une autre victime. C'est là, évidemment, l'image de l'âme des vivants détenus par les liens du péché dans l'esclavage de l'enfer et demandant, par la prière, le secours de la grâce divine. Les damnés et les âmes des morts sont en effet représentés sous la forme de personnages nus, dans la sculpture romane ; ici, les captifs de Satan sont vêtus et leur attitude n'est pas celle des réprouvés. L'ange qui les accompagne, à genoux lui aussi, intercède en leur faveur. »
Que j’aime ce « évidemment »… Brrr, ça fait peur. Ces gens ont oublié que le message roman, bien plus subtil que nous puissions l’imaginer, était porteur de joie, d’espérance, de promesse, d’enthousiasme, d’exultation ! Certes le message au premier niveau sera basé sur la dualité, sur le combat mené contre le mal, mais seulement celui que l’on trouve à l’intérieur de nous-mêmes. Ici, rien n’est plus clair : d’un côté les priants vertueux, de l’autre les diaboliques vicieux. Point de victime, point de démon, point d’enfer, de péchés et de damnés, juste des choix. Même le personnage central ne peut être pris pour un ange, car les gens simples du Moyen-âge savaient bien que les anges portent des auréoles.
Au deuxième niveau, nous saurons que la seule issue pour continuer le chemin sera de sortir de cette dualité. Le message se fera plus subtil, il prendra le nom de langue des oiseaux. Les ailes de l’homme central lui permettront de rejoindre le ciel (plus haut que les autres donc s’élevant), il prendra la voie du juste, du connaissant, montrant son livre ouvert, la marche à suivre, à tous. Le troisième niveau nous montrera le personnage central ayant réussi la maitrise des énergies. Il enseigne la façon d’accéder à la porte du ciel et comment Bois-Sainte-Marie peut nous y aider.
Trois niveaux de lecture. Je me souviens de ces deux triades bardiques, qui, même si elles ne datent que du XIXe siècle, restent d’une grande sagesse :
L'être humain possède trois privilèges qui sont :
- le discernement du bien et du mal ou comparaison
- la liberté de choix, donc de jugement
- un certain pouvoir limité de réalisation de ce choix, qui entraîne la responsabilité
Ces trois pouvoirs sont indispensables pour échapper à la fatalité pure et s'élever vers la plénitude.
Plus loin, il sera dit qu’il faut « placer le bien et le mal face à face, de telle sorte que l'un et l'autre puissent être connus ».
Nous pouvons aussi parler du « Per ipsum, et cum ipso, et in ipso ». « Par lui, avec Lui, en Lui », la formule qui donne un raccourci de la voie que l'adepte doit suivre pour atteindre le magistère.
Henri Blanquart nous dévoile ce mystère :
« Toute évolution individuelle, de même d'ailleurs que toute l'évolution de l'humanité, est résumée dans ces trois termes, symbole des trois parties de l'œuvre :
- l'œuvre au noir, où l'offrande est encore semblable à ce pain et à ce vin, produits élaborés et parfaits de la nature, non encore détachés d'elle, véritablement "dans le monde" et "du monde". A ce stade, il agit encore en croyant qu'il nait, qu'il meurt, qu'il est parmi d'autres, qu'il est petit en face de dieu, grand en face de la fourmi.
- l'œuvre au blanc, où le pain et le vin deviennent corps et sang du Christ amis restent encore séparés dans la dualité, où l'homme a atteint l'état de sainteté, mais n'a pas encore réalisé l'unité. Il est encore, à ce stade, face à son dieu. Certes il n'est plus manipulé "par Lui", il chemine maintenant "avec Lui", mais il lui reste une troisième étape à parcourir, la plus importante, la seule qui soit définitive et sans retour.
- l'œuvre au rouge, qui voit s'unir l'hostie et la coupe, le solide et le liquide, le yang et le yin, et se fondre dans l'unité du principe unique de toutes choses. C'est alors que le fils peut dire "Mon père et moi ne faisons qu'un". L'homme a dépassé à ce stade l'état de sainteté et a abouti à l'état de sagesse. Il est allé "au delà de dieu". Il ne subit plus "par Lui", il ne chemine plus "avec Lui", participant au plan de dieu en s'y conformant. Maintenant il est "en Lui" ; il n'y a plus pour lui de naissance ou de mort, ayant atteint la sagesse d'où il n'est plus possible de retomber dans l'illusion, alors que le saint, lui, reste encore faillible.
L'évolution de l'humanité est condensée également dans cette formule. En effet :
- par Lui sont menés les hommes qui ignorent les lois divines et veulent mener leur vie et les choses qui les entourent selon leur plan propre et leur volonté restreinte. C'est ainsi que se comportent actuellement nos gouvernants, nos savants, nos exploitants agricoles qui tuent le sol, nos chimistes qui empoisonnent le globe, nos pédagogues qui ne règnent que sur la sphère intellectuelle, négligeant le principal.
- avec Lui marchent les initiés qui savent que pour maitriser il faut obéir aux lois et non y contrevenir. Ainsi se comportaient il y a longtemps les chefs des peuples, les rois, les prêtres qui plaçaient l'évolution de l'individu avant le profit au dépens de la masse ou l'asservissement idéologique de cette masse.
- en lui enfin sont les hommes qui ont atteint l'état de sagesse et qui peuvent dire, comme leur modèle divin, "mon père et moi ne faisons qu'un". Tels étaient les hommes qui, dans leur temps très reculé, menaient les peuples vers l'accomplissement et les suprêmes réalisations. »
Ouf. Promis, je ne vous ferai pas ça à chaque chapiteau… Continuons notre visite.
L’intérieur
L’église se compose d’une nef de 4 travées flanquée de deux bas-côtés, d’un transept non saillant surmonté d’une coupole sur trompes et d’une abside semi-circulaire bordée par un déambulatoire. Elle fait 32m de longueur, 14,65m de largeur pour une hauteur sous voûte de 6m dans les bas-côtés, 12m dans la nef et de 24m sous le clocher.
La voûte en berceau brisé fut refaite en briques par Eugène Millet. Les bas-côtés, très restaurés, sont voûtés d’arêtes. L’éclairage provient de fenêtres hautes.
La croisée du transept est surmontée d’une coupole sur trompe qui porte le clocher. Les parties hautes des croisillons, voûtés en berceaux, avec un triforium à 3 arcatures aveugles, ont été faits par Eugène Millet.
On accède directement à l’abside sans travée de chœur. Elle est éclairée par 7 fenêtres dans sa partie basse, 3 dans la haute.
L’église possède un déambulatoire original, recouvert d'une voûte en compartiments d'arêtes. Les chapiteaux présente une facture très archaïque, ce qui laisse à penser qu’ils appartiennent à une église antérieure et qu’ils furent réutilisés.
Les voûtes des 7 arcatures reposent d’un côté sur des colonnettes posées sur un banc de pierre qui court tout le long de son mur extérieur, et sur des faisceaux de 4 colonnes à l’intérieur.