Notre-Dame de Verdale
Extrait du roman « Le chemin de la Dame », se passant au XIIe siècle entre Aurillac et Rocamadour :
Là, blottie au creux d’un rocher granitique surplombant la gorge profonde où grondait le Tolerme, entourée de châtaigniers, de chênes, de fougères et de bruyères, se tenait la petite chapelle Notre-Dame de Verdale. Bien longtemps avant sa construction, et même bien longtemps avant l’apparition du christianisme, se tenait ici le culte d’une déesse-mère, symbole de fécondité, maitresse de la création. En ce lieu, les forces naturelles du ciel et de la terre se rejoignaient. L’homme les avait canalisées, avait fait qu’elles s’expriment pleinement afin qu’il puisse s’en servir pour la guérison de son corps, de son âme et de son esprit. Théodore reconnaissait au fond de lui-même la présence de cette énergie féminine. Ici, l’ancienne déesse avait laissé son empreinte sous forme de légendes que les gens du coin se racontaient à la veillée :
- Il y a bien longtemps, une jeune fille très pieuse venant de la vallée voulut se retirer du monde afin de prier le Seigneur. Elle passa devant le moulin d’Aubié, grimpa sur le chemin, trouva une grotte et s’y installa. Las, une vilaine épidémie de peste survint. La jeune fille, tout à son amour pour Dieu, passa tout son temps à soigner les pestiférés. Elle ne fut jamais atteinte de cette vilaine maladie, ce qui tenait du miracle. Après sa mort, en reconnaissance, les habitants des alentours, suivis bientôt par quelques pèlerins ayant eu vent de l’histoire, élevèrent une première chapelle à sa mémoire, raconta le vieux Pierrot le meunier.
- Ah oui ? rétorqua Anselme, le tamelier* de Lentillac, qui ne supportait plus le meunier depuis une certaine affaire de farine de blé vendue pour de l’épeautre. Cette histoire ne tient pas debout, la peste n’est pas venue chez nous. »
- Justement, lui rétorqua Pierrot qui voulait toujours avoir raison, c’est grâce aux prières de la petite !
- Mais pas du tout, répliqua Anselme. Les enfants, écoutez donc l’histoire vraie: la jeune fille n’était pas pieuse, enfin, pas tant que ça. C’était juste une petite bergère, comme il y en a tant dans notre contrée. Un jour qu’elle gardait son troupeau sur les flancs escarpés de la vallée, elle vit une belle dame qui lui dit s’appeler Marie, mère de Dieu. La dame lui demanda de construire ici une chapelle pour elle. La jeune fille alla raconter l’histoire à son père qui ne la crut pas et la traita de folle. Une chapelle, en ce lieu, jamais personne ne voudrait y conduire ses bœufs pour transporter les pierres, ils seraient écornés ! Il lui opposa donc un refus catégorique. Le lendemain, allant porter du foin aux bêtes, il eut la surprise de voir ses bœufs écornés… Le brave homme comprit à ce moment là que sa fille disait la vérité. Il alla trouver les gens d’église et leur fit part de l’histoire. On commença bientôt la construction, mais en un endroit qu’avait choisi les religieux. C’était plus pratique pour le transport des pierres, donc moins onéreux pour eux, même si les voisins et les amis des voisins venant de tout le pays prêtaient main forte. Ces moinillons, ils sont toujours près de leurs sous, pas vrai ? Mais chaque matin on trouvait le mur monté la veille par terre. Un des tailleurs de pierre eut alors une inspiration et lança son marteau en l’air. Il demanda à ce que son bras soit guidé par la sainte Vierge et que là où le marteau retomberait, il poserait la première pierre. Surprise… Il atterrit exactement là où la bergère eut cette apparition. Voilà la vraie histoire !
- Moui, possible, maugréa le meunier. En tout cas, ce qui est sur, c’est que la statue de la Vierge et de l’Enfant fut trouvée miraculeusement dans un tronc de chêne juste à côté de la chapelle. Voilà un miracle qui ne peut qu’être vrai !
- Hum, hum… toussota Peire*.
Celui-là, personne ne savait vraiment d’où il venait. Les villageois avaient entendu dire qu’il était auvergnat, qu’il avait parcouru les routes comme troubadour. Lui-même racontait qu’il avait écrit bon nombre de poèmes, qu’il avait été reçu à la cour des plus grands, que le seigneur Ebles de Saignes le tenait en haute estime et qu’il était ami avec Uc de Saint-Circ d’Alzon, fils du seigneur de Thégra, petite bourgade située près de Rocamadour. Bien sur, personne ne le croyait. Il était bizarre, certes, mais que viendrait faire un si beau personnage au fin fond de leur campagne, hein ? Et tout le monde savait bien que personne ne pouvait faire confiance à un auvergnat, tous des menteurs. Au moins autant que les bourguignons. Même les gascons ou les barcelonais n’étaient pas aussi fourbes. Peire se mit donc à toussoter :
- Savez-vous que cette statue ne pouvait pas être trouvée ailleurs que dans un chêne, l’arbre sacré de vos ancêtres, leur dit-il, et que le marteau de ce brave tailleur de pierre pourrait fort bien être celui de Sucellos, l’ancien dieu gaulois de la Vie, qui avait comme compagne Nantosuelte, déesse le la fécondité. Ne voyez-vous pas surgir derrière ces contes pour enfants l’origine païenne de vos croyances ? Connaissez-vous Héphaïstos le grec, marié à la belle Aphrodite, et Thor le nordique, époux de Sif aux cheveux d’or, tout deux aussi porteurs d’un marteau ?
- Gare à tes fesses, Peire, gronda Anselme, encore heureux que frère Gauderic soit sourd comme un pot, tu pourrais bien finir tes jours plus vite que prévu si notre évêque avait vent de tes élucubrations.
Ainsi s’en allait-il à la veillée dans les chaumières des uns et des autres.
Théodore entra dans le sanctuaire. Comme à Escalmels, il sentit l’énergie de la Dame l’envelopper, tout en détectant dans cette douceur un peu plus d’autorité. Il posa son bagage, se mit en prière. Une fois terminé son hommage, il sortit un bout de pain et le reste du fromage que lui avait donné le frère cellérier. Il mangea, s’allongea, et ne mit qu’une seconde avant de s’endormir, bercé par les vagues d’énergie de la Terre Mère. Il faut dire que le garçon avait cette fâcheuse tendance qui consiste à dormir n’importe où très facilement, pourvu qu’il soit en harmonie avec l’endroit. C’est comme cela, disait-il, que je peux dialoguer avec les anges. Ce fut peut-être un séraphin qui le réveilla d’un coup d’aile, ou bien un rayon de soleil passant par le vitrail sud qui vint lécher son visage. Quoi qu’il en soit, il se remit debout, un sourire béat sur les lèvres, et reprit sa route. Il passa à Lentillac, arriva au confluent du Tolerme et de la Bave. Il suivit la vallée de cette nouvelle rivière et bientôt il aperçut les tours du château de Saint-Laurent, dominant le village de Saint-Céré.
1 - Tamelier ou talmelier: ancien nom des boulangers. Provient du francique tarewamelo, la farine de froment.
2 - Peire d’Auvergne ou d’Alvernhe : troubadour auvergnat né vers 1130 et mort vers 1190. Fils de bourgeois, très instruit, il était connu dans les cours de Provence, de Castille et fréquenta souvent la cour de Raimond Béranger IV, comte de Barcelone. Dante écrira de lui qu’il était l’un des plus illustres représentants de la langue d’Oc.
Les premières traces de la chapelle datent de 1020, inscription que les anciens du village ont vue sur une pierre. L’histoire de cet endroit au culte ancestral se poursuivit après le XIIe siècle. Les légendes s’adaptèrent, mais la symbolique resta la même.
Au XIVe siècle, la chapelle fut donnée, ainsi que l’église de Gorses dont elle dépendait, à l’ancienne commanderie templière devenue hospitalière de Latronquière. La chapelle, détruite par les protestants, fut rebâtie en 1615 et le pape Urbain VII accorda une indulgence plénière aux pèlerins de Verdale en 1636.
Les révolutionnaires de Figeac la brûlèrent en 1793, mais la statue de la Dame fut sauvée par un habitant de Peyrusse qui la cacha au creux d’un châtaignier avant qu’elle n’aille trouver refuge dans l’église de Gorses en 1800.
Puis les curés de Lacam d’Ourcet reconstruisirent et agrandirent la chapelle à partir de 1847, eux qui avaient pris dans les ruines de Verdale les pierres de construction pour leur nouvelle église.
De nombreux critères liés à Verdale font penser au culte d’une vierge noire, comme la présence d’eau, d’une grotte, d’un ordre monastique, d’un chemin de pèlerinage, la présence d’un arbre/cachette, d’un bœuf, de miracles impliquant la notion de voyage, d’ouverture de conscience.
C’est pour cela que je pense qu’il y avait là une vierge noire avant la statue que l’on peut voir aujourd’hui à Gorses qui n’en est malheureusement pas une.