L'alpinisme
L'alpinisme est l'art de parcourir les montagnes en affrontant les plus grands dangers avec la plus grande prudence.
On appelle ici art l'accomplissement d'un savoir dans une action.
On ne peut pas rester toujours sur les sommets. Il faut redescendre...
A quoi bon, alors? Voici : le haut connaît le bas, le bas ne connaît pas le haut. En montant, note bien toutes les difficultés de ton chemin; tant que tu montes, tu peux les voir. A la descente, tu ne les verras plus, mais tu sauras qu'elles sont là, si tu les as bien observées.Il y a un art de se diriger dans les basses régions, par le souvenir de ce qu'on a vu lorsqu'on était plus haut. Quand on ne peut plus voir, on peut du moins encore savoir.
Tiens l'oeil fixé sur le sommet, mais n'oublie pas de regarder à tes pieds. Le dernier pas dépend du premier. Ne te crois pas arrivé parce que tu vois la cime. Veille à tes pieds, assure ton pas prochain, mais que cela ne te distraie pas du but le plus haut. Le premier pas dépend du dernier.Lorsque tu vas à l'aventure, laisse quelque trace de ton passage, qui te guidera au retour : une pierre posée sur une autre, des herbes couchées d'un coup de bâton. Mais si tu arrives à un endroit infranchissable ou dangereux, pense que la trace que tu as laissée pourrait égarer ceux qui viendraient à la suivre. Retourne donc sur tes pas et efface la trace de ton passage. Cela s'adresse à quiconque veut laisser dans ce monde des traces de son passage. Et même sans le vouloir, on laisse toujours des traces. Réponds de tes traces devant tes semblables.
RENE DAUMAL
Le chant des étoiles
En cette nuit là, le temps n'existait plus.
Pas de vent, pas de bruit. Seule la clarté de l'aurore grandissante rendait les rochers d'alentour plus sombres.
Dans
une vallée circulaire, baignée de lumière orange, un cratère béant dont
l'intensité du noir intérieur permettait de supposer la profondeur
inquietante.
Tout pres de ce cratère, sur un monticule, une
grande pierre sombre, droite comme un menhir. Sa silhouette se
détachait parfaitement sur la clarté de l'herbe environnante et son
ombre s'y déplaçait lentement, plongeant ce qu'elle recouvrait dans un
mysterieux violet.Plus loin, à terre, près du cratère, une
autre grande pierre, plate cette fois, luisait comme une large lame ou
comme un miroir géant regardant le ciel.
La grande pierre levée,
aux rudes contours d'un beau bleu sombre, ressemblait aux vestiges
lointains que des civilisations inconnues pointaient vers le ciel.
Plus
la clarté montait, plus les contours s'adoucissaient. Elle ressemblait
maintenant à une forme humaine qui aurait pris une grande robe de
pierre pour franchir sans crainte les siècles attendus. Puis elle prit
des formes plus précises, bougea lentement; se retourna, comme un golem
petrifié dont le poids et le long réveil auraient ralenti la giration.La métamorphose s'accomplit progressivement. Ses derniers aspects rudes se fondirent et s'évaporèrent dans un halo lumineux.
C'est
une femme qui se trouvait maintenant empreinte encore de la raideur de
son sarcophage de grès, reprenant peu à peu vie. Une grande robe
bleu-noir, couleur du firmament sous les étoiles, la couvrait toute
entière, un châle dissimulait sa tête et ses épaules et quelques mèches
blondes s'évadaient vers la lumière.
De visage, il n'y avait
point. Seules deux lueurs verdâtres phosphorescentes remplaçaient les
yeux et animaient ce visage de vide.
Ses bras bougèrent quelque
peu et ses deux mains, longues, fines, blanchâtres, glissèrent sur les
plis raides de sa robe. Un murmure grandissant sortit alors de sa
personne, prenant des sons plus précis pour former des mots que la
brise matinale emportait."Je suis demeurée fixée au regard des
étoiles, disait-elle, j'étais placée près de la bouche de la terre pour
entendre son chant et écouter la musique sans fin des astres qui nous
entourent.
Le mouvement a son rythme, sa lumière, sa mélodie et
le vide sa symphonie. Je me suis maintenue là depuis des siècles en un
corps dur et froid pour un enchantement de mon esprit. Ma compagne,
allongée dans l'herbe, est faite pour entendre et moi pour voir et nous
pouvons nous compléter.
Maintenant, les temps sont venus. Je
peux parler et je veux bien révéler ce que je sais. Mais que personne
ne cherche à voir mon visage, ou à le reconnaitre. Je suis celle qui
demeure incréée, celle qui fut poursuivie pendant des millénaires et
que mon manteau de fille de la montagne dissimulait.
Une partie
de mon peuple dort encore, inerte dans ces hauteurs. L'autre partie est
disséminée sur la face de la terre, en autant d'êtres sensibles.
Certains sont devenus des choses utiles; d'autres des choses
glorieuses, d'autres enfin des choses sacrées.C'est à dire que
chacune de nos parcelles n'a eu que le langage que l'homme a bien voulu
lui donner. Mais c'est aussi par la faute de l'homme et par son
ignorance que d'autres sont perdues ou gâchées.
Rappelez-vous de moi.
Alors
vous apprendrez à vivre les pierres, celles qui sont levées dans les
matins du Nord, celles que l'on a empilées sous les cieux plus
limpides, celles qui sont sculptées pour des aurores plus douces.
Il vous faudra chercher leur nombre et le mien et celui de ma compagne qui dort encore."
Pendant
qu'elle murmurait ainsi, le bord du cratère était devenu un grand
cercle blanc et, lentement vers l'est, le soleil entamait sa course
quotidienne.
Le murmure reprit."Dans vos civilisations
successives, il y a toujours eu des hommes qui connaissaient les
mystères de la marche du monde. Ils avaient des doigts pour les
déterminer, pour figurer les symboles. Ils ont eu des pierres pour les
y graver. Du nombre est venu le signe, puis du signe le symbole et,
plus tard, le chiffre.
Par la voix de l'homme, le nombre prit un
son, puis une gamme et enfin un chant. Dans ce chant, il y avait un
rythme et tout cela provoquait une résonance, résonance du coeur de
l'homme sur le coeur de la nature, à travers le coeur des pierres et
ceci afin d'être compris par le coeur des dieux.
Et les dieux
envoyèrent sur terre des fées pour guider les hommes vers un
merveilleux perpétuel. Ces fées étaient des femmes, mais ces femmes
furent des rêves.
Il plait à l'homme de revivre ces rêves, il lui plait de rejoindre ces fées, parce que ces fées dorment dans la pierre.Et ces pierres furent les premiers médiums de l'homme vers la création et son harmonie."
C'est
dans un faible souffle que les derniers mots s'évanouirent. Une lueur
subite se fit dans la vallée verte, jaillissant au-dessus des cimes.
Les
yeux de la femme disparurent et une brume légère sortant de de sa face
vide, comme la rosée matinale, s'évapora doucement en la tiédeur des
premiers rayons du soleil.
On eut pu distinguer un sourire d'une
douceur ineffable et d'une indicible joie comme un envol vers un appel
mystérieux. Des volutes de ces vapeurs matutinales, rosée des
philosophes, pierres des sages, furent absorbées intimement en leur
montée allègre.
Il ne resta plus bientôt, au bord du cratère
toujours sombre, qu'une grande pierre figée dans le sol indiquant les
mystères d'un temps.
D'autres pierres seront d'autres femmes. Il
se peut que l'une d'entre elles, Venus hyperboréenne ou fille de
kheops, prêtresse du soleil ou odalisque orientale revenue aux bords de
la mer bleue vivre tout à son souvenir de cristal une réminiscence du
passé et une vibration de l'avenir, comme l'émeraude au milieu des
roses rouges.
Le nombre lui sera peut-être froid, mais elle
saura aussi que son ombre est celle du mystère qui voile les choses et
les rends plus vraies.
La connaissance apporte une joie et c'est cette joie que nous essayons de partager.
Maurice Guingand
Les lieux sacrés, définition
"Un lieu sacré, avant d'être utilisé par l'homme, fonctionne à l'état naturel comme point d'échange entre des forces du ciel et de la terre. Les rituels humains ne font que renforcer le processus et le mettre à la disposition des vivants. Le lieu peut se passer de l'homme et de l'appareil, le temple ne peut se passer du lieu, ni des hommes pour son entretien. Les hommes peuvent utiliser le lieu en se passant de l'appareil. Ils peuvent se passer de l'un et de l'autre à partir d'un certain stade d'évolution. La conjonction des trois permet parfois des miracles, lesquels n'existent pas, étant les reflets de lois naturelles intelligemment mises en oeuvre."
Depuis la plus haute antiquité, dieux et héros
sont honorés dans des lieux qui leur sont réservés ; ces lieux
s'appellent hiéron, chargé de puissance sacrée. Si tout endroit peut
devenir hiéron, certains ont une vocation particulière à l'être :
source, grotte, promontoire, sommet, lieu foudroyé, boisé, où les Grecs
sentaient naturellement la présence du divin. D'autres pouvaient le
devenir à la suite d'un oracle, d'un signe des dieux. (Sophocle, Oedipe
à Colone, Xénophon, Anabase)
Mais la tendance dès la fin de
l'époque géométrique, à la fin du VIII ème siècle, fut de délimiter
nettement espace sacré et espace profane. C'est ainsi que la fondation
d'une ville commence d'abord par une répartition entre terres réservées
aux dieux et terres allouées aux hommes. (Platon, Lois) Le terrain
délimité et consacré aux dieux porte le nom de téménos, ce qui signifie
précisément " coupé ", sous-entendu de la terre qui n'est pas sacrée.Chez
Homère un téménos est attribué à un héros, à un souverain pour
l'honorer et lui assurer des revenus. (Homère, Iliade) Le téménos
réservé à un dieu s'il peut être laissé en friche, est souvent, lui
aussi, exploité pour son compte. De là l'attention faite à sa
délimitation matérielle : il peut être simplement borné de pierres
dégrossies, reliées parfois par une corde, sur lesquelles est inscrit
le nom du dieu ou du héros propriétaire, ou encore clos d'une enceinte,
soit barrière de bois soit véritable mur, qu'on appelle péribole. Ces
bornes et ces clôtures sont l'objet d'un entretien et d'une
surveillance régulière ; tout empiétement sur le domaine des dieux est
un acte sacrilège, sanctionné comme tel . Quand il sert au culte, cet
espace sacré constitue un sanctuaire.
Les uns, sanctuaires
urbains, sont localisés à l'intérieur de la ville, sur l'acropole, sur
l'agora (l'agora d'Athènes est un téménos, entouré de bornes inscrites
et lieu de multiples cultes).
D'autres, sanctuaires suburbains, sont
situés à la limite ou à faible distance de la ville comme celui d'
Athéna Pronaia à Delphes.
D'autres enfin sont des sanctuaires
extra-urbains, établis dans le territoire de la cité, la chôra, à
l'écart des villes, parmi lesquels figurent les plus célèbres
sanctuaires panhelléniques, celui d'Olympie, de l'Isthme (au N.E. de
Corinthe), de Némée (dans le Péloponnèse, en Argolide). Ils constituent
souvent la frontière entre deux territoires ou un point de jonction
entre le monde cultivé et le monde sauvage. Dans tous les cas, ces
sanctuaires sont un lieu de rassemblement et un moyen de souder la
communauté.
Propriété des dieux, espace sacré, le sanctuaire est
l'objet d'une réglementation minutieuse visant à le protéger de toute
souillure (miasma) et d'acte sacrilège. La première règle valable
partout, est l'obligation de purification ; toute personne en contact
avec le sacré se doit en effet d'être dans un état de pureté rituelle,
l'hagnéia. (Homère, Iliade)
Le fidèle doit pour accéder au
sanctuaire se purifier avec l'eau lustrale mise à sa disposition dans
des vasques de pierre ou de marbre à l'entrée, les périrrhanthéria. Il
s'y trempe les mains ou s'en asperge avec une branche de laurier pour
se débarrasser de ses impuretés.
Tout contact avec la mort ou la
naissance rend impur et écarte des lieux sacrés pendant une période
variable selon les sanctuaires ; ces "impuretés innocentes"nécessitent
de plus des purifications par l'eau faites à la maison. Au meurtrier
qui a versé le sang et qui se trouve de ce fait exclu de la communauté
et des sanctuaires, (Sophocle, Oedipe Roi) des rites spécifiques de
purification, les rites cathartiques, effectués notamment par le sang,
permettent d'éliminer sa souillure et de retrouver un état normal, en
règle avec le divin, état qualifié de hosion. (Eschyle, Les Euménides)
D'autres
règlements particuliers cette fois à tel ou tel sanctuaire, pouvaient
mentionner d'autres espèces d'interdits relatifs aux vêtements, au port
d'armes, de bijoux, à l'introduction de certains animaux. (LSG)Le
caractère sacré du sanctuaire se communique à tout ce qui s'y trouve (
eau, arbres, bosquets, objets consacrés) et à quiconque y pénètre : il
est asylon, lieu d'asile, ce qui signifie que nul n'a le droit de prise
(sylè) à l'intérieur de son enceinte. Aussi offre-t-il un refuge sûr à
ceux qui viennent s'y installer en suppliants dans la posture rituelle,
qui consiste à s'asseoir près de l'autel du dieu ou à côté de sa statue
avec le rameau d'olivier orné de bandelettes. (Eschyle, Les
Suppliantes)
Le non respect de l'asylie est considéré comme
sacrilège entraînant souillure et malédiction divine, et puni
sévèrement par les lois humaines. (Plutarque, Solon)
Si modeste
soit-il, un téménos destiné au culte, renferme au moins un autel qui
est le seul monument cultuel vraiment indispensable. L'autel,
généralement situé en plein air, est de deux sortes selon la nature des
sacrifices qu'on effectue : pour les sacrifices de type sanglant,
destinés aux dieux, avec partage et consommation des victimes, l'autel,
bômos, comprend un foyer surélevé sur un socle où l'on brûle les parts
des dieux et où l'on rôtit les parts des hommes.
Il est de taille
variable selon l'importance du sanctuaire et le plus souvent en pierre
ou en marbre ; on connaît grâce à Pausanias, un autel de Zeus à Olympie
formé uniquement de l'accumulation des cendres de sacrifice, ou encore
un autel d'Apollon à Délos composé entièrement de cornes de chèvres.
Pour les sacrifices dits chthoniens destinés aux divinités infernales
et aux héros, l'autel bas, désigné du nom du foyer, eschara, est déposé
à même le sol ; les victimes y sont entièrement brûlés (holocauste) et
le sang est versé dans un trou qu'on appelle bothros.
En plus de
l'autel un téménos quelque peu important, possède une statue de culte
et reçoit des offrandes qu'il faut abriter sous des édifices typiques
du sanctuaire grec classique : le temple, les trésors, les portiques.
Le
temple, naos, de la racine du verbe naiein "habiter", est la demeure du
dieu, non celle des fidèles. Il a une fonction utilitaire, dans la
plupart des cas, celle de renfermer la grande statue du dieu et les
offrandes qui lui sont faites. (Pausanias, Périégèse) On peut aussi y
conserver le trésor de la cité ; les richesses d'Athènes sont
conservées dans le Parthénon , les archives de l'Etat dans le temple de
la Mère des dieux, le Mètrôon.Certains temples toutefois ont
une fonction cultuelle, avec des autels à l'intérieur où se déroulent
les rituels, ainsi le temple d'Apollon à Delphes ou les temples
d'initiation aux mystères, comme celui d'Eleusis.
Temples-trésors ou
temples-sanctuaires, ils sont de plan rectangulaire - les temples
ronds, tholos, sont plus rares- et comportent trois pièces, le naos,
pièce centrale où se dresse la statue, un vestibule, le pronaos et
symétrique à lui, séparée du naos par un mur, une pièce arrière,
l'opisthodome.
Ces temples sont peints de couleur vive et comportent
des parties sculptées (les frontons, les métopes, la frise), illustrant
les grands moments de l'histoire des dieux et des hommes. Les trésors,
eux, sont plus petits que le temple ; ils sont construits et consacrés
par les cités pour conserver les offrandes de leurs concitoyens. Des
portiques enfin où les fidèles peuvent se reposer et converser, servent
également à abriter les offrandes ; ils sont ornés souvent de peintures
représentant d'illustres scènes de combat mythologique ou historique .Dans
la maison, les dieux ont aussi leurs emplacements réservés. A la porte,
est placé un pilier surmonté du buste d' Apollon Agyieus " de la rue"
ou d'hermès Propylaios " qui est devant la porte "; chargé de détourner
le mal de la maison, il est oint d'huile et couronné de fleurs les
jours de fête.
Dans la cour, se trouve l'autel de Zeus Herkéios, "de
la clôture", où le maître de maison fait sacrifices et libations. C'est
à l'intérieur cependant que se déroulent les actes rituels essentiels,
autour de l'autel d'Hestia, le foyer, qui est le vrai centre religieux
de la maison. Il en est de même de la cité : le Foyer commun, la Hestia
Koinè, dont la flamme est alimentée aux autels les plus purs, autel
d'Apollon à Delphes ou à Délos, en est le centre religieux et politique.
http://www.ac-versailles.fr/pedagogi/anti/religrec/lieuxcul.htm